Réaffirmons les valeurs d’égalité

  • Intervention de l’école émancipée au CDFN de septembre 2023, par Grégory Bekhtari –

Le coup de projecteur décidé par Gabriel Attal sur le port des abayas et qamis à la rentrée de septembre a été une opération de communication préméditée. On sait en effet grâce à la responsable éducation de Libé que le cabinet du ministre a démarché activement des journalistes pour venir dans huit établissements présélectionnés couvrir ce sujet. C’est sans aucun doute une diversion pour éviter tout débat sur le délabrement de l’école publique dont le gouvernement est responsable. Mais ça n’est pas que ça.

Dans le même temps, ce coup médiatique, ainsi que la circulaire d’interdiction qui lui sert de justification, s’inscrivent dans la continuité d’une offensive raciste et islamophobe plus large et nourrie depuis plusieurs années par les droites conservatrices et extrêmes, mais aussi par le pouvoir secondé par le Printemps Républicain (comme l’illustre le scandale du Fonds Marianne) : polémique initiée par Blanquer à la rentrée 2019 contre la FCPE et les accompagnatrices portant le foulard, loi “séparatisme” et dissolution du CCIF, innombrables polémiques sur le port du burkini à la plage et à la piscine, et plus récemment, signalements du taux d’absentéisme le jour de la fête de l’Aïd ou affaire montée en épingle des prières soi-disant musulmanes dans les écoles à Nice.

A chaque fois, le récit d’une prétendue offensive islamiste est mobilisé pour motiver une réaction politique.

On retrouve les échos de ce récit dans les éléments de langage du discours de rentrée d’Attal parlant d’une “République testée”, de “coups de boutoir, d’attaques et de tentatives de déstabilisation”. La secrétaire d’état à la citoyenneté parle “d’attaque en règle de certains réseaux séparatistes (…) pour tester les capacités de la République à résister aux lois de la religion”, et le président évoque même le meurtre de Samuel Paty pour justifier l’interdiction de l’abaya. On est ici au coeur des mécanismes d’une politique de la peur et du soupçon qui cible les musulman·es et participe à gangréner la démocratie. En effet, la visibilité de l’islam affichée par de simples croyant·es d’un côté, la propagande de prédicateurs rigoristes qui souhaitent exercer une influence dans le contrôle des moeurs de leurs coreligionnaires pour s’assurer une forme de pouvoir sur elleux de l’autre, les terroristes djihadistes enfin : ces trois phénomènes bien distincts sont amalgamés dans le terme épouvantail “islam politique” pour légitimer des mesures liberticides et discriminatoires. La stratégie du bouc émissaire qui consiste à mettre la focale sur un soi-disant “problème musulman”, qui n’est plus l’apanage de l’ED et qui a contaminé un spectre politique plus large, est aujourd’hui au centre d’une politique gouvernementale. Il s’agit “en même temps” de conquérir une partie de l’électorat de l’ED et tenter de conforter une majorité dont Macron ne dispose pas. De fait, agiter la peur de l’islam permet de créer un consensus politique autour de son action et de faire passer un certain nombre de dispositions sécuritaires qui n’ont pas lieu d’être.

Les adolescentes qui portent l’abaya (car dans les faits, aucun cas de jeune homme en qami n’a été rapporté) sont les dernières victimes de cette politique cynique, qui dévoie au passage la laïcité à des fins sécuritaires. Elle joue sur les préjugés, la peur et les fantasmes islamophobes pour mieux les entretenir. Ce faisant, le gouvernement enrichit le terreau de discriminations, qui profite aux droites extrêmes, mais aussi à la propagande des courants islamistes les plus réactionnaires, et risque ainsi de renforcer ce qu’il prétend combattre . On se souvient que le débat sur la loi de 1905 avait tranché la question des interdictions de tenues vestimentaires, la soutane à l’époque, en mettant en avant la sauvegarde de la liberté individuelle des individus : la nouvelle circulaire ouvre ainsi la voie à une potentielle fuite en avant en termes d’interdictions vestimentaires et expose inutilement les agent·es. entraîné·es dans cette logique.

Nous devons participer activement à montrer que cette vision dévoyée de la laïcité est dangereuse, et que la priorité du combat laïque est dans l’accueil de tout·es les élèves au sein de l’école publique et la lutte contre le séparatisme et la ségrégation sociale organisés par l’école privée qui a le vent en poupe dans la période. Face à un gouvernement qui lui déroule le tapis rouge, réaffirmons les valeurs d’égalité et notre mandat d’argent public pour l’école publique.