Mais l’unité en haut et l’envie à la base, nous a quand même permis de faire vivre la grève reconductible dans notre entreprise comme dans de nombreuses autres.
Sur le secteur de Sotteville-lès-Rouen où je travaille (mais il est certain que cela a eu lieu dans la grande majorité des sites), le sujet qui revenait le plus avant de partir en reconductible était la nécessité de ne pas être la locomotive du mouvement ou en tout cas la seule locomotive. En effet il restait quelques rancœurs chez certains cheminots suite au mouvement de 2003. Mais nous savions aussi que face à l’arrogance et à la détermination du gouvernement, seule une mobilisation du public et du privé pouvait changer la donne.
Donc, dès le départ, la mobilisation a suivi le calendrier de l’interpro. Et finalement la question de la reconduction est apparue de façon presque naturelle. Il a suffi que la fédération CGT des cheminots s’exprime sur le sujet pour que les derniers doutes se lèvent. Et la forte mobilisation dans les raffineries a joué un rôle très important pour le moral des cheminots.
Pour répondre très pratiquement à la question, la reconduction a été votée chantier par chantier (atelier, dépôt, triage, etc.). Il y a eu presque chaque jour une AG par chantier pour faire vivre la grève. [**ÉÉ : Comment les cheminots ont-ils vécu leur implication dans un mouvement interprofessionnel ? Quels liens avec les autres secteurs ?*] O.P. : Le mouvement sur l’agglo de Rouen a eu effectivement un fort accent interprofessionnel grâce notamment à une structure « ouverte », l’AG unitaire interpro des syndicats et des AG en luttes. Cette structure a eu le mérite d’être un lien entre les secteurs et un outil au service de la mobilisation.
Pour autant la CGT cheminote a préféré voir les limites de cette structure ouverte (qui a eu parfois du mal à justifier sa légitimité du fait de la forte présence de personnes ne représentant qu’elles-mêmes…) alors qu’une implication plus forte de la CGT aurait permis de donner une autre dynamique à cette structure. L’UD CGT a fait le choix de travailler avec l’ensemble des secteurs en lutte, donc y compris avec d’autres structures syndicales, dont Solidaires. Cela correspondait à l’envie de sa propre base. D’ailleurs toutes les organisations syndicales reprenaient en AG les propositions d’actions proposées par l’AG unitaire. [**ÉÉ : Comment se passaient les liens « à la base » dans les AG ?*] O.P. : Le lien essentiel était le tract de mobilisation de l’AG interpro. Les liens les plus forts à la base se sont créés sur les actions de blocage, de distributions filtrantes et plus particulièrement sur le blocage du terminal pétrolier de Rubis. Le défi est de faire vivre ces liens maintenant que la grève est terminée. [**ÉÉ : Et aujourd’hui, quel est le climat sur le terrain après ce mouvement social ?*] O.P. : Finalement le climat est bon, les cheminots sont toujours debout après une année 2010 où certains ont eu deux mois de salaire retenus suite aux diverses mobilisations sociales.
Le gouvernement doit savoir que les cheminots sont plus réactifs que jamais. J’en veux pour preuve les différents mouvements sociaux qui ont eu lieu localement dans de nombreuses régions après le mouvement des retraites. Pourtant la direction a dû espérer faire céder les cheminots en ayant une politique revancharde suite au mouvement (refus d’étaler le retrait des jours de grèves sur plusieurs mois, multiples sanctions disciplinaires, etc.). Sur Sotteville, l’actualité sociale tourne autour du triage avec les multiples actions du comité de défense pour sauvegarder le site et les 2000 emplois qui lui sont liés. Les cheminots resteront donc mobilisés pour la défense de leur outil de travail, pour un véritable service public, seul garant d’une sécurité ferroviaire de haut niveau, mais aussi pour des luttes interpros.
Je pense aussi que l’unité dans l’entreprise entre les syndicats les plus combatifs en avril 2010 et pendant le mouvement des retraites permettra de mener à bien nos prochaines luttes et de faire vivre la démocratie dans les AG de bases. Car même si l’AG interpro a joué un rôle important, je pense que l’absence de comité de grève n’a pas permis une structuration forte à la base. Il faudra d’ailleurs pour faire vivre un comité de grève, dépasser pas mal de défiances de certains syndicalistes qui n’y voient qu’un outil de contournement du syndicat. Propos recueillis par Laurent Zappi.