MEDIAS
- pp. 39 du numéro 103 de la revue de l’Ecole Emancipée, par Véronique Ponvert –
Si Vincent Bolloré est connu de tous et toutes comme l’un des plus riches et des plus réactionnaires milliardaires de France, connivent avec les gouvernements de droite (on se souvient qu’il a prêté son yacht à Sarkozy pour fêter sa victoire), il faut désormais acter qu’il va plus loin : agrandir son empire et son emprise pour servir un projet politique d’extrême droite.
Bolloré a hérité d’un patrimoine familial confortable et, sa vie durant, il a construit une richesse personnelle colossale. Le groupe Bolloré se développe dans plus de 150 pays (d’abord en Afrique d’où il tire le plus gros de ses bénéfices), dans l’énergie et le transport (le groupe est actionnaire de Vivendi), la publicité (il a racheté Havas) et surtout de nombreux médias. C’est là que le bât blesse : l’impact de la concentration de ces médias dans un seul groupe. Cela met en danger la liberté de la presse, le contrôle de l’information, l’indépendance des lignes éditoriales ; c’est d’autant plus inquiétant quand les directions des médias sont confiées à des personnalités ouvertement liées à l’extrême droite.
Bolloré a construit par la force un empire médiatique : il possède des médias télévisuels (Canal+, CNews), une chaîne de radio (Europe 1). Vivendi a acquis le premier groupe de presse magazine en France, Prisma média (Télé loisirs, Femme actuelle, Capital…). À chaque fois, il procède avec brutalité : on se souvient de la rédaction de I-Télé, de la contestation de l’équipe de journalistes et du départ d’une grande partie d’entre elles et eux avant la naissance de CNews. C’est de la même façon qu’il a agi au JDD : il décide de nommer à la tête du journal Geoffroy Lejeune, issu de la direction de Valeurs actuelles et passé également par un autre journal d’extrême droite, Minute. L’équipe de la rédaction entame alors une grève exemplaire pour contester cette nomination, grève qui durera six semaines et se soldera par le départ de 60 % de l’équipe : Bolloré passe en force, il impose l’éditorialiste à la tête d’un journal national populaire. Quant au « nouveau » JDD, il est composé début août avec une partie des « ami·es » de Lejeune, et sort le 6 août avec une équipe de « remplaçant·es » qui viennent tou·tes de journaux d’extrême droite. Le journal est de piètre qualité, il accumule des erreurs grossières (comme la photo de Une qui évoque un fait divers tragique, mais qui n’est pas celui relaté dans l’article…) Peu importe. Pour Lejeune, la forme compte moins que le fond, et l’objectif est atteint : le JDD a changé de braquet, il s’est clairement décentré vers des problématiques chères à l’extrême droite.
Un empire au service du ruissellement des idées d’extrême-droite
Les magazines populaires, les chaînes d’info continue, les radios et journaux « grand public » sont des vecteurs très efficaces pour la diffusion des idées fascisantes auprès d’un large public. Le JDD n’a pas vu son audience baisser dans sa nouvelle formule, bien au contraire ! Il faut aussi pointer la complaisance du gouvernement à l’égard de V. Bolloré dans l’affaire du JDD : « il n’appartient pas au gouvernement d’interférer dans la gestion des médias, quels qu’ils soient », a indiqué mi-juillet Élisabeth Borne. Et le premier « nouveau » JDD a publié un entretien avec la secrétaire d’État à la Ville Sabrina Agresti-Roubache… Ce qui avalise le coup de force de Bolloré et confirme la bienveillance de la Macronie envers ce projet funeste. On se souvient qu’E. Macron, en 2019, avait donné un entretien dans Valeurs actuelles.
La liberté de la presse est en danger, il faut se battre pour obtenir des garanties démocratiques : assurer l’indépendance face aux actionnaires, conditionner les aides à la presse, penser des mécanismes pour empêcher une concentration des médias… Une commission d’enquête sur la concentration des médias a bien eu lieu, mais « Bolloré a baladé les sénateurs en répondant à côté »(1). La banalisation qui s’opère face à la prise de pouvoir des militant·es fascisant·es dans divers domaines, notamment dans le champ de l’information, doit nous inquiéter au plus haut point ! Ne laissons pas faire. ■
1. Julia Cagé, La Croix, 19 janvier 2022.