Un monde secoué par les crises

ECONOMIE

■ pp. 24-25 du numéro 103 de la revue de l’Ecole Emancipée, par Nicolas Béniès –

La configuration de l’économie mondiale a de quoi étonner. L’économie chinoise entre

en déflation, confrontée à une faiblesse de la demande et à une offre excédentaire qui devrait faire chuter les prix, alors que l’Argentine fait face à une hyperinflation

et à une crise de la dette qu’une aide du FMI voudrait combler.

Le monde post-Covid est marqué par l’inédit et une incertitude renforcée.

La crise climatique est aussi un facteur de dérèglements économiques.

La pandémie avait révélé l’hypermondialisation, l’interdépendance des économies et l’importance, pour les firmes multinationales, des filiales d’atelier asiatiques, surtout chinoises. La politique de réponse à la crise sanitaire, de confinement des populations, par les autorités chinoises, a puissamment désorganisé les chaînes de valeurs internationales. Les discours sur la souveraineté nationale ont fleuri, des investissements ont été réalisés partout avec des subventions publiques, l’Allemagne en tête. Les États-Unis, pour se réindustrialiser, sont devenus protectionnistes. Une nouvelle mondialisation est en train de naître, difficilement, dans ce contexte de crises qui obère les logiques d’investissement.

Les risques de pénurie de l’énergie – du gaz surtout – accentués par la guerre de Poutine en Ukraine – un conflit qui, sans être mondial, se mondialise – ont fait s’envoler les prix du gaz, de l’électricité, indexé sur celui du gaz dans l’Union européenne (UE), du pétrole puis de l’ensemble des matières premières. La spéculation sur les marchés financiers a contribué à une hausse des prix jamais enregistrée depuis 1985. Les grandes entreprises ont augmenté leurs profits en 2022, distribuant des dividendes importants au détriment de l’investissement productif. En France, l’industrie agroalimentaire, après avoir baissé ses marges fin 2021, les a fortement relevées fin 2022 pour atteindre son plus haut taux de marge depuis une vingtaine d’années (1). L’Insee se paie le luxe de parler d’une « boucle profits-prix ». Sur deux ans, la hausse des prix de l’alimentation a atteint 21 % en France. Les augmentations des dépenses contraintes accroissent les inégalités et la pauvreté.

Le pouvoir d’achat a fortement baissé, diminuant la consommation des ménages, facteur traditionnel de la croissance depuis la grande récession qui a suivi la crise financière et systémique de 2007-2008. Baisse renforcée par la hausse de l’épargne – la collecte du livret A atteint des sommets – au grand dam des économistes officiels. L’investissement des entreprises n’a pas massivement pris le relais. Résultat, les taux de croissance, particulièrement dans l’UE, sont très faibles, 0,5 % pour la France (2). L’économie allemande sera en récession en 2023, déprimant toutes les économies européennes. Le recul des exportations chinoises, image de la mise en place d’un modèle de développement plus autocentré, met à mal le modèle industriel allemand.

Un monde disparaît… mais fait de la résistance.

La réponse des banques centrales, à commencer par celle de la FED, la banque de réserve américaine, a été brutale. Une augmentation rapide des taux directeurs jamais vue depuis au moins trente ans. Un passage, en l’espace de quelques mois, d’un taux proche de 0 % à 3 % pour arriver en juillet 2023 à 5,50 %. L’endettement des entreprises, des ménages, des États – très endettés avec le « quoi qu’il en coûte » – devient de plus en plus difficile à gérer, dans un environnement où l’absence de création de richesses ne permet pas de le financer. Les autres banques centrales des pays développés ont suivi. La Banque centrale européenne a monté ses taux jusqu’à 3,75 %. L’objectif est toujours le même, 2 % d’inflation et ce, dans tous les pays développés.

La conséquence la plus marquante – et attendue – en est la dépression de l’économie. La baisse de la demande pour faire diminuer les prix dégrade la situation des salarié·es, accusé·es, suivant la théorie dominante, de faire monter les prix par la spirale « salaires-prix », ce qui n’est pas démontré dans le contexte actuel. L’augmentation des taux se répercute aussi – fortement – sur les comptes publics et plus encore à partir de 2028.

Cette hausse est aussi une des causes des faillites des banques américaines – dites régionales – en mars-avril de cette année, ce qui n’a pas donné lieu à des enchaînements récessionnistes immédiats par l’intervention rapide de l’État. Mais cette crise bancaire n’est pas terminée. Les risques de faillite des grandes sociétés immobilières chinoises – Country Garden après Evergrande – qui dépriment les Bourses du pays pourraient aussi avoir des effets sur les fonds d’investissement américains et les banques.

La crise immobilière chinoise provoque la baisse de la demande en minerai de fer, se répercutant sur l’activité de BHP, la plus grande compagnie minière mondiale, australienne, qui a vu ses résultats reculer de près de 40 % et a divisé son dividende par deux. L’effet « boule de neige » est possible, provoquant un séisme de grande amplitude alimenté par tous les autres bouleversements.

Les mesures d’urgence doivent s’inscrire dans un plan pour offrir une perspective d’ensemble. La hausse des prix actuelle – l’inflation – signe la fin d’un monde, ouvert en 1985, qui avait représenté l’avènement d’une forme de capitalisme financiarisé et mondialisé. Compétitivité et privatisation en étaient les deux mamelles principales, l’idéologie dite néolibérale servait de règle de conduite. Ce monde-là a vécu. Sa survivance a pourtant des effets en forme de catastrophe pour toute l’humanité. Ainsi « la guerre de l’eau » est déclarée (cf. notre revue, n° 102). L’eau va se faire plus rare. Des spéculateurs veulent en faire un produit financier coté sur les marchés comme les autres matières premières. Une appropriation du vivant. La pandémie a démontré la nécessité des services publics pour le bien commun de toutes les populations.

Quelles réponses ?

Le contexte actuel est inédit. La nécessité de s’adapter aux dérèglements climatiques oblige à transformer l’environnement, à repenser l’architecture, les villes, à effectuer une révolution copernicienne dans la manière de penser. Ce mouvement, qui conduit à entrevoir une relation différente avec la terre, avec le vivant, rebat en même temps les cartes de l’organisation du travail en obligeant les responsables d’entreprises à envisager des modalités différentes et rend impérative la réduction du temps de travail. Il est aussi porteur d’une autre croissance, d’une autre manière de créer des richesses. En France, le Président est enfermé dans ses bunkers idéologiques(3) et dans une pensée surannée qui ne sait raisonner qu’en baisse des dépenses publiques et des impôts pour les plus riches. La réalité des crises commande l’augmentation des dépenses publiques pour investir dans les énergies renouvelables et dans tous les domaines qui permettent de faire des économies d’énergie, comme le préconisent le rapport Pisani-Ferry et la plupart des scientifiques qui s’engagent dans le débat public et politique, faute d’être entendus. Des investissements énormes qui ne peuvent être financés que par l’endettement. Politique économique qui suppose une vision d’avenir pour justifier ces dépenses et un changement fondamental des règles de fonctionnement de nos sociétés. ■

Notes :

1. Voir Alternatives économiques de juillet-août 2023 et la note de l’Insee de juin 2023.

2. Faible croissance qui a des répercussions sur les recettes de l’état, faisant baisser les recettes de la TVA.

3. Alternatives économiques juillet-août 2003 : « L’impasse libérale, comment le libéralisme plombe l’économie française ».