Réforme de la formation des enseignant·es : Nécessité d’une réponse fédérale

Prétendument pour résoudre la pénurie d’enseignant·es, Macron puis Attal ont annoncé une nouvelle réforme du concours et de la formation initiale des enseignant·es. Le pouvoir veut aller vite : le concours pourrait être avancé en licence pour la session 2026 voire dès 2025, ce qui suppose que l’architecture complète de la formation soit revue pour mars 2024. Ces annonces, dans la continuité libérale-autoritaire de la politique éducative des ministres de Macron depuis 2017, nécessitent une réponse offensive, et fédérale.

C’est par opportunisme que la macronie instrumentalise les problèmes d’attractivité pour détruire encore davantage la formation universitaire au profit d’une con-formation par l’employeur. D’ailleurs, si le gouvernement veut vraiment résoudre ces problèmes, on se demande bien pourquoi il ne commence pas par améliorer les conditions de travail des enseignant·es et leurs salaires au lieu de proposer une énième réforme, alors que le recrutement et la formation initiale connaissent une réforme continue depuis 2009. Or, il va bien falloir recruter des enseignant·es en nombre, au moins 329 000 à l’horizon 2 030 d’après la Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares). Et également, faire baisser le nombre de démissions qui, même s’il reste faible au regard du nombre d’enseignant·es, a été multiplié par 4,5 entre 2011 et 2021 (1). Améliorer les conditions d’entrée dans le métier est un levier. Cela passe par une formation universitaire de haut niveau, rendue d’autant plus nécessaire que le métier est vécu comme de plus en plus difficile.

Que proposent Macron et Attal ?

Dans un lycée d’Orange (Vaucluse) lors de la prérentrée, Macron promettait : « On les accompagne, on leur apprend la pédagogie dès les premières années, on leur apprend les savoirs fondamentaux et on limite un phénomène qui crée de la frustration avec certains enseignants qui entrent avec un cursus universitaire parfois disproportionné et qui ont fait trois, quatre ou cinq ans d’enseignement supérieur. » Cette sortie, qui n’est pas sans rappeler celle du ministre Darcos en 2008(1), en dit long sur le mépris de la macronie pour nos métiers, ainsi que sur le projet politique que ces annonces dessinent : elles se réfèrent à un passé mythifié et fantasmé de l’école passée. En témoignent les déclarations d’Attal le 5 octobre dernier, qui veut « inventer les écoles normales du XXIe siècle. »

Derrière cette idée se cachent les parcours préparatoires au professorat des écoles (PPPE), mis en place à la rentrée 2021. Il en existe actuellement 49. Le parcours s’étend sur trois ans, partagé à égalité entre une formation aux « fondamentaux », en lycée, et quelques enseignements à l’université, dans le cadre d’une licence-support qui peut être sans rapport avec l’éducation. La FSU est très critique sur cette formation au rabais, appréciation qu’accrédite l’Inspection générale dans un rapport publié en juillet 2022(2). La généralisation de ce modèle menacerait les contenus de formation : s’agit-il pour les futur·es enseignant·es de n’apprendre que des « savoirs fondamentaux » et un peu de pédagogie ? Réduire les inégalités d’apprentissage entre les élèves suppose pourtant de connaître les savoirs à enseigner de manière approfondie, d’avoir une maîtrise seconde des disciplines de l’école (une connaissance de leur histoire, de leur épistémiologie), d’avoir appris leur didactisation (la manière de les transformer pour les enseigner), d’avoir étudié l’institution scolaire avec l’aide des disciplines académiques comme l’histoire, la sociologie, la psychologie, etc.

Une formation pour les besoins des patrons

Ces « écoles normales du XXIe siècle » sous-entendent une formation hors des universités, à la main de l’employeur, avec une volonté de parachever l’entreprise de caporalisation, déjà largement amorcée avec la transformation des IUFM en Éspé, devenues Inspé en 2019, dont les directeur·rices sont d’ailleurs nommé·es par le ministre. Les élu·es des personnels et des étudiant·es dans les conseils d’institut sont devenu·es minoritaires. Le nombre d’universitaires dans les équipes de formateur·rices n’a cessé de diminuer, et l’employeur occupe une place prépondérante dans le processus d’évaluation et de titularisation de l’année de stage. La dernière réforme des concours, qui date seulement de 2022, a introduit une épreuve dite « professionnelle », où l’employeur veut que soit vérifiée la capacité des candidat·es à appliquer des réponses toutes prêtes définies par lui, en dehors de toute considération disciplinaire et éducative.

Construire une réponse offensive et fédérale

Le scénario présenté en novembre aux organisations syndicales comporte un concours en fin de licence et une formation rémunérée de deux ans en Inspé. Mais de très nombreux détails sont pour l’instant passés sous silence, et on sait que le diable y est… Les deux ans de formation permettront-ils d’obtenir un diplôme de master ? Comment se déroulera la préparation des concours ? Surtout, le ministère annonce une reprise en main très contrainte de la formation en Inspé, ce qui contredit son caractère universitaire. Combattre la réforme à venir et promouvoir une formation améliorée suppose donc une démarche fédérale.

La FSU dispose d’ailleurs d’un corpus conséquent et solide concernant la formation, sur lequel nous devons nous appuyer. On peut citer le mandat issu du congrès du Mans, non remis en cause depuis : « le niveau master est requis pour tous et toutes. La FSU s’oppose à tout décrochage du niveau de qualification pour être titularisé·e, entre les différents degrés et filières d’enseignement ». Réclamer un même niveau de qualification à la sortie n’est pas suffisant. Même si, dans la FSU, Snes et Snuipp ont des mandats différents sur le sujet (le Snes revendique un concours après le master, le Snuipp après la licence), une architecture de formation différente entre premier et second degrés comporte de nombreux risques. La réforme ne peut pas être combattue par les syndicats de la FSU isolément les uns des autres, au risque de faire entendre un discours contradictoire, qui n’échapperait pas au pouvoir et affaiblirait la fédération et chacun de ses syndicats. La FSU ne peut pas accepter que les professeur·es des écoles (PE) soient formé·es principalement à appliquer les recettes éducatives définies par l’employeur. Une dissociation du recrutement, de la formation et de la qualification des enseignant·es selon le degré d’enseignement provoquerait une forte déstabilisation de la FSU.

Dénoncer le projet Macron-Attal de réforme de la formation au motif qu’il risque d’occasionner une baisse de salaire, comme l’a fait le Snes-FSU, est par ailleurs en deçà des enjeux. Même si cela n’est pas exclu dans un contexte où la macronie veut faire des économies sur le dos de la fonction publique, la menace est bien plus large : elle porte sur les contenus de formation, sur les concours eux-mêmes, et sur le système scolaire dans son ensemble, y compris l’enseignement supérieur, dans une forme d’emboîtement avec le reste des réformes ultralibérales. Dans ce projet d’école qui vise l’employabilité la plus précoce possible pour le plus grand nombre d’élèves, plus besoin d’enseignant·es concepteur·rices formé·es à haut niveau pour les faire toutes et tous réussir. Ce qu’il faut, ce sont des enseignant·es exécutant·es qui sachent rendre acceptable aux yeux des élèves et des familles la séparation précoce de leurs parcours.

Nous ne devons pas avoir peur du débat et de l’élaboration entre nous, quand ce qui nous menace professionnellement et syndicalement, c’est la politique éducative que tentent d’imposer Macron et Attal. ■

Par Mary David, Marie Haye, Justine Pibouleau, Laurence Pontzeele

Notes :

  1. Bilan social du ministèrede l’Éducation nationale, 2020-2021.
  2. « Est-ce qu’il est vraiment logique […] que nous fassions passer des concours bac +5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer des couches ? »
  3. https://www.education.gouv.fr/la-premiere-annee-de-fonctionnement-des-parcours-preparatoires-au-professorat-des-ecoles-pppe-343993