Attal, comme ministre de l’Éducation nationale, a annoncé des mesures qui visent le tri sélectif des élèves, érigeant en principes de fonctionnement les ratés du système éducatif, responsables du creusement des inégalités scolaires dont les milieux populaires sont les premières victimes. Ces mesures sapent le fondement de l’autorité des enseignant·es qu’Attal prétend pourtant restaurer : la transmission des savoirs.
« Le taux de réussite au brevet et sans doute au bac diminuera dans les années à venir. J’en ai conscience et je l’assume. » C’est en ces termes qu’Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, a défendu sa stratégie du « choc des savoirs » présentée le 5 décembre dernier. Si jusqu’à présent les ministres se targuaient d’avoir pour ambition l’augmentation de la part d’une classe d’âge amenée jusqu’au bac, tout en menant des politiques en contradiction avec cette ambition, l’objectif est aujourd’hui explicitement abandonné. Pour justifier cette stratégie, Attal s’appuie sur les résultats de l’enquête Pisa qui montrent que les acquis scolaires s’affaiblissent globalement, et encore plus vite pour les élèves issu·es des milieux populaires, car l’école française creuse, année après année, les inégalités scolaires entre les élèves selon leur origine sociale. Mais le « choc des savoirs » ne vise pas l’élévation générale des acquis scolaires et leur égalisation entre classes sociales, pire il y renonce pour des raisons idéologiques et financières, en limitant encore davantage l’accès aux études longues des élèves les plus fragiles, où les milieux populaires sont surreprésentés.
Dynamitage du collège unique
Le collège concentre une part importante des mesures les plus emblématiques du « choc des savoirs ». Si Blanquer avait formulé l’objectif de « rompre avec le collège unique », c’est Attal qui le réalise.
Il instaure en effet des groupes de niveau en français et mathématiques, de la sixième à la troisième. Dans la lignée de l’heure de soutien ou d’approfondissement mise en place cette année en sixième, les élèves y seront réparti·es en fonction de leurs résultats aux évaluations nationales, généra
lisées à tous les niveaux de la scolarité obligatoire dès la rentrée prochaine. De fait, même si le ministère prend une précaution toute sémantique en ajoutant le terme « flexible » à ces groupes, ce sont bien des classes de niveau pour ces matières (au moins) qui seront déployées, avec des objectifs d’apprentissage différents, assignant aux élèves des milieux populaires des petits savoirs, quand les autres continueront de bénéficier d’une école ambitieuse.
Le brevet (DNB) change de statut pour devenir le ticket d’entrée au lycée, un véritable examen couperet. Les élèves ne réussissant pas un brevet où la part des épreuves terminales est augmentée se verront proposer une année de prépa-lycée, aux contours suffisamment flous pour laisser craindre un renforcement de l’orientation vers l’apprentissage.
Les programmes du socle commun de connaissances, de compétences et de culture seront réécrits. Celui-ci substituera à l’acquisition d’une culture commune par toutes et tous une « culture générale » appauvrie. Attal martèle les fondamentaux blanquériens visant la promotion du « lire, écrire, compter » au détriment des autres apprentissages pour les milieux populaires, le pilotage par les évaluations nationales et le contrôle des pratiques enseignantes. Symptôme de cet objectif de mise au pas, Attal entend instaurer une labellisation des manuels scolaires. Seul le régime de Vichy s’était autorisé une telle mesure.
Attal prétend rendre du pouvoir aux enseignant·es en rétablissant les redoublements, alors qu’il les dépossède de leur métier. C’est avec la même démagogie qu’il s’adresse aux « Français des classes moyennes [qui] financent par leur travail le fonctionnement de nos services publics » dont les enfants seraient selon lui « empêchés de s’envoler ». À cause de la présence parmi elles et eux des enfants de pauvres ?
Des mesures en rupture avec les consensus scientifiques
Dans la suite de Blanquer, Attal rompt avec les consensus scientifiques pour marteler des mesures marquées idéologiquement à droite. Il promeut les redoublements, alors que la recherche a, de longue date, démontré leurs effets négatifs lorsqu’ils interviennent avant le lycée. Les systèmes éducatifs les plus performants – qui sont aussi les plus égalitaires – y ont d’ailleurs tous renoncé, en même temps qu’ils ont retardé certains paliers d’orientation.
Les groupes de niveau sont eux aussi condamnés par la recherche. Une note récente publiée par le programme Ideé (Innovations, données et expérimentations en éducation) rassemblant pourtant des chercheur·es appartenant pour la plupart au Conseil scientifique de l’Éducation nationale (CSEN), rappelle que les méta analyses sont unanimes pour pointer une absence d’effets, voire un effet négatif des classes de niveau ou des regroupements pérennes par niveau. La note précise que « ni les élèves les plus performants ni les élèves les moins performants ne bénéficient de la mise en place de classes de niveau ». La même note met en avant un effet moins négatif des groupes flexibles (groupes de besoin constitués de façon non pérennes, sur des problèmes d’apprentissage bien circonscrits) : « plusieurs méta analyses indiquent que les groupes de besoin au sein de la classe ont un effet positif sur les performances des élèves. » L’effet positif est toutefois inférieur à celui mesuré pour des petits groupes hétérogènes engagés dans un travail coopératif.
Le Centre national d’étude des systèmes scolaires (Cnesco) avait déjà pointé les aspects négatifs des dispositifs d’aide individualisée, où œuvrent des mécanismes participant de l’augmentation des inégalités des acquisitions scolaires produisant « une tendance à déconnecter les élèves en difficulté du temps didactique principal de la classe. » Ils sont en effet propices à « une dissociation d’un groupe restreint d’élèves en difficulté du collectif de la classe », avec « des objectifs [qui] seraient notamment d’autant plus modestes que les élèves sont faibles ». Or, « une aide pensée en différé, c’est-à-dire déployée après la séance d’apprentissage [conduit à un amenuisement des] exigences in situ avec certains élèves ».
Les groupes de niveau sont par ailleurs propices à des mécanismes de différenciation passifs et actifs conduisant, comme le soulignent Jean-Yves Rochex et Jacques Crinon, à une « fréquentation d’univers de travail intellectuels et de savoirs différenciés et inégalement productifs. » S’articulent ainsi une indifférence au fait que des savoirs, des modes de pensée, supposément acquis hors de l’école, ne le sont que par une partie des élèves, et une surestimation des difficultés conduisant à un morcellement des tâches et une réduction des exigences pour certain·es élèves.
Le parachèvement d’une école inégalitaire
Avec ses annonces, Attal parachève le déploiement d’une école du tri social. L’essentiel des politiques éducatives menées depuis vingt ans, et particulièrement depuis Blanquer, avait participé du démantèlement d’une école de la réussite de toutes et tous. Depuis les attaques subies par l’école primaire exacerbant les inégalités scolaires en fonction de l’origine sociale, à la mise en place d’un lycée modulaire, en passant par les réformes de la voie professionnelle et l’introduction de la sélection à l’entrée dans le supérieur via Parcoursup, les inégalités scolaires avaient déjà été amplifiées. Aujourd’hui avec le torpillage du collège unique, c’est l’ensemble du système éducatif qui est organisé autour d’une ségrégation des acquis scolaires.
La nécessaire résolution des crises climatiques, sociales, politiques devrait nous inciter à offrir à toutes et tous l’ensemble des savoirs permettant de penser le monde pour le transformer. Les politiques éducatives menées visent au contraire à exacerber la ségrégation scolaire, en garantissant aux milieux privilégiés l’accès aux savoirs permettant d’exercer une position dominante dans la société, tout en diminuant les acquis pour les milieux populaires. Ce qui se joue dans le champ éducatif est un miroir de l’offensive générale menée par les classes dominantes pour conserver leurs privilèges. ■
■ Par Mary David, Marie Haye, Adrien Martinez