Inclusion, porter un projet émancipateur

L’acte 2 de l’école inclusive augmente la déréglementation et aggrave la position des accompagnantes des élèves en situation de handicap (AESH). La FSU défend une autre vision de l’inclusion, émancipatrice pour toutes et tous

Le principe de l’inclusion fait largement consensus tant il participe d’un projet émancipateur de l’École, du « toutes et tous capables » dans le cadre de la démocratisation scolaire. Pour autant, l’idée que chacun·e a sa place à l’école ne définit en rien quelle est cette place ni quelles ambitions sont assignées à cette école en termes d’apprentissage et d’émancipation. Depuis des années, cette ambition n’existe pas et la question de l’école inclusive se limite aux situations de handicap, à des annonces chiffrées diffusées à grande échelle. Dans l’école libérale, l’inclusion masque le tri social : les fondamentaux pour les plus faibles avec une orientation précoce vers le monde du travail et la culture de l’excellence pour les plus à l’aise. Depuis la loi Fillon et l’école du socle, le renoncement de l’institution à remédier et prévenir en son sein la difficulté scolaire qu’elle engendre est patent.

Du côté des moyens, c’est un principe d’économies qui domine et entrave l’épanouissement des personnels tiraillé·es entre les besoins des élèves et les injonctions contradictoires de l’institution, avec une formation initiale, continue ou spécialisée de plus en plus réduite. Sous prétexte d’école inclusive, les gouvernements successifs détruisent les dispositifs spécialisés d’aide aux élèves en difficulté et les aides médico-sociales, mettent sous pression les coordonnateur·trices Ulis en surchargeant les effectifs, font porter le poids de l’inclusion sur les enseignant·es de classes ordinaires et des AESH toujours précarisé·es. Ces dernier·es, mutualisé·es, toujours sans statut et sans salaire décent, sont aujourd’hui l’unique réponse à la diversité des situations relevant de l’inclusion.

L’école inclusive se base sur une hyper-médicalisation et une hyper-individualisation des parcours, un saucissonnage de projets personnalisés niant le principe même de l’école comme dispositif collectif. La vision biologisée des difficultés (galaxie des dys en particulier) compare systématiquement à une norme-étalon élitiste, renonce au principe d’éducabilité de toutes et tous et amène à externaliser la prise en charge de tout écart à la norme en culpabilisant les familles. Ces situations qualifiées de particulières décrivent des groupes sociaux que le projet libéral a délibérément choisi d’abandonner pour que persistent les inégalités.

Ubérisation et privatisation des moyens de l’inclusion

L’acte 2 entend scolariser en milieu ordinaire tou·tes les élèves d’établissement ou service social ou médico-social (ESMS) dans le but de fermer les structures ou de les transformer en plateformes de diagnostic. Cela empêchera les familles les moins aisées d’accéder à des prises en charge. Ces structures partenaires participent pourtant du toutes et tous capables en permettant une scolarisation adaptée, souvent partagée avec l’ordinaire.

Le remplacement progressif des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) par des pôles d’appui à la scolarité (PAS), constitue une déréglementation de plus, marquant la fin du rôle de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Les PAS, soumis à la pénurie de moyens et aux pressions des familles et de l’institution, n’auront d’autre choix qu’une gestion comptable. La transformation des AESH en accompagnant·es à la réussite éducative (ARE) en feront des moyens malléables de surveillance et d’éducation et non plus des moyens uniques d’accompagnement. Cela nous éloigne encore d’un statut et de la reconnaissance d’un métier bien spécifique.

Les 12 mesures annoncées pour « l’école pour tous » sont dans la droite ligne de la politique néolibérale et antidémocratique fragmentant les services publics et ouvrant la voie au privé. Des plateformes d’intervention, dignes du fonctionnement du géant Amazon, seront le « sésame » de l’accessibilité à l’école.

Les personnels comme les usager.es déplorent le manque de personnel qualifié et la destruction du service public d’éducation nationale, de la santé et du secteur médico-social. L’offre privée et désocialisée gagne du terrain, capte des subventions publiques, principalement pour les familles les plus aisées : recours aux soins dans le libéral au détriment de la lutte pour recomposer les centres médico-psychologiques (CMP) et ESMS, intensification de la ségrégation scolaire par le biais des écoles privées, des cours particuliers et des AESH privées…

L’acte 2 de l’école dite « pour tous » poursuit cette politique, imposée sans concertation ni bilan de l’acte 1, au sein de l’école publique qui, attaquée et affaiblie par des logiques libérales, n’est pas préparée à ce changement de paradigme. L’annulation, comme cavalier législatif, de l’article 53 de la Loi de finances 2 024,généralisant les PAS, est une première victoire. La lutte doit se poursuivre pour que l’État concentre les moyens budgétaires dans les secteurs les plus pertinents pour réduire les inégalités sociales et scolaires.

Imposer notre vision émancipatrice d’une inclusion de la réussite

L’inclusion libérale, axée principalement sur le handicap, n’a pas d’avenir et son seul objectif est de participer à la baisse des coûts de l’Éducation nationale comme à la fin de la démocratisation scolaire. Les familles issues des milieux favorisés ayant les codes trouveront les moyens de contourner les manques de l’Éducation nationale. Face à cette perspective inégalitaire, notre responsabilité est grande et sérieusement engagée.

En tant que force du syndicalisme de transformation sociale, la FSU et ses syndicats doivent défendre l’inclusion, et nous, École émancipée, devons contribuer à renforcer les mandats dans ce sens et œuvrer à la construction de mobilisations. Cette question d’un mouvement social est centrale et nous devons travailler à une convergence avec le médico-social car il n’est pas question de se mettre en concurrence pour garantir nos missions et métiers. De nombreux syndicats de la FSU sont partie prenante de ces mobilisations ce qui renforce le cadre fédéral des débats sur l’inclusion.

Nous devons aussi réfléchir à nos liens avec les associations de parents d’enfants en situation de handicap, les collectifs tels que le Collectif Santé en danger mais aussi travailler à des convergences à l’intérieur de l’Alliance écologique et sociale et Convergence des services publics.

Dans l’immédiat, mettons en avant les revendications prioritaires et consensuelles pour permettre l’inclusion :

✓ baisse du temps en responsabilité devant élèves pour dégager du temps de concertation ;

✓ baisse drastique des effectifs des classes à tous les niveaux d’enseignement y compris dans les structures et dispositifs spécialisés ;

✓ défense des revendications des AESH ;

✓ formations initiale et continue de qualité et le problème de l’enseignement privé.

L’inclusion sera centrale dans les congrès à venir. Face à la politique éducative rétrograde d’Attal et au démantèlement organisé du service public d’éducation, nous devons, le plus unitairement possible, imposer notre projet de démocratisation scolaire. ■

par Fabienne Baroni, Agnès Dumand, Magalie Trarieux, Bernard Valin