Glissement vers une « démocratie illibérale »

  • Edito de la revue de l’école émancipée n°102 –

La journée d’action du 6 juin a été la dernière probablement du cycle des journées d’action contre la réforme des retraites entamé en janvier. Après 14 journées d’action, il ne semble plus y avoir de possibilité rapide d’abrogation de la réforme. Le combat n’a pas été gagné, mais paradoxalement, il n’y a pas d’expression forte d’amertume ni de déprime dans les équipes militantes. En effet, le combat n’a pas non plus été perdu complètement, car le soutien de l’opinion publique s’est maintenu et constitue un désaveu clair de la politique Macron. Il nous faudra revenir sur cette séquence et l’analyser, pour en titrer les enseignement en vue de futurs mouvements sociaux. Une tentative de bilan de ce mouvement se poursuit dans ce numéro, mais la réflexion est à poursuivre dans les cadres les plus larges possibles.

Le gouvernement a été obligé de recourir à de multiples artifices législatifs, permis par la Constitution pour faire passer en force sa réforme, contre la population. Cette Constitution, qui avait été qualifiée à juste titre de « coup d’État permanent » par ses opposants, permet le glissement vers une « démocratie illibérale » dont commencent à s’inquiéter certain⋅es, en France et à l’étranger. Cette inquiétude est renforcée par le déploiement démesuré de forces de police face aux manifestations, ainsi que par le soutien plus ou moins implicite du gouvernement aux violences policières commises à l’occasion de mouvements sociaux ou écologistes. On observe même, au contraire, une volonté de criminaliser ces mouvements. Le discours de certains membres du gouvernement renvoie systématiquement dos à dos l’extrême droite et « l’extrême gauche », entrenant ainsi la confusion à dessein. Sans combattre fermement les discours haineux de l’extrême droite, le gouvernement au contraire, recycle en partie ses idées, par exemple dans le projet de loi sur l’immigration, pour faire diversion et masquer sa politique au service des intérêts des plus riches et des grands lobbys financiers, industriels ou agro-industriels. Preuve si besoin était que l’extrême droite n’est pas l’ennemie du grand capital mais est bien utile pour l’aider à préserver ses intérêts.

Criminaliser le mouvement écologiste, dissoudre les soulèvements de la Terre, sont autant de moyens d’affaiblir l’opposition à ce modèle capitaliste dépassé face aux enjeux climatiques. Il s’agit de laisser le champ libre aux politiques inégalitaires et destructrices de l’environnement que le gouvernement mène en réalité. Les tensions ne peuvent que se renforcer, en particulier autour de l’eau, avec la multiplication des sécheresses et leurs conséquences. C’est l’objet de notre dossier.

Ces tensions ne seront pas qu’internes à notre pays, de plus en plus de conflits sont à prévoir autour de l’accès à la ressource en eau, y compris entre États. L’avenir fait peur. Mais il nous faut garder l’espoir, et travailler à la prise de conscience et aux propositions à porter pour un autre modèle de société, dans des alliances larges. Le mouvement retraite a montré qu’on pouvait rallier l’opinion publique à notre cause. À nous d’utiliser le point d’entrée ainsi créé et de continuer à porter le discours de la justice sociale et écologique pour un monde meilleur. ●

Claire Bornais