Alors que le Conseil d’État vient d’annuler le décret de dissolution des Soulèvements de la Terre, Jean, agriculteur en Loire-Atlantique a répondu à nos questions.
➤ École émancipée : Comment Les Soulèvements de la Terre (SLT) ont-ils vu le jour ? Quelles sont leurs spécificités par rapport aux autres mouvements ?
Jean : Le point de départ, c’est janvier 2021, lors d’une première rencontre, avec un constat partagé entre différentes histoires, mouvements, après la lutte de Notre-Dame-des-Landes, notamment : les luttes écologistes n’arrivent pas à réinventer la manière de soutenir le rapport de forces, les luttes des ZAD ne sont plus aussi opérantes. On est parti aussi de l’analyse que le mouvement paysan, notamment le syndicalisme paysan à travers la Confédération paysanne, est un peu enfermé dans sa stratégie qui est d’avancer sur ses deux jambes : l’institutionnel et la lutte sur le terrain. Au plan institutionnel lors des dernières échéances électorales au sein des chambres d’agriculture, la Confédération perd du poids dans ces instances ; le syndicalisme paysan a des difficultés à se réinventer.
Enfin, le mouvement climat, la jeunesse pour le climat (les marches…) s’essoufflent, et la stratégie qui consiste à sortir massivement dans la rue n’est pas si opérante.
Le pari de départ, en créant cette force composite, c’est de surmonter l’isolement des différents mouvements, modes d’action, pratiques, stratégies… Chercher donc à agir ensemble. Plutôt que d’essayer de privilégier la recherche d’accords politiques, c’est essayer de faire des choses en commun, en expérimentant des actions, des luttes et c’est depuis cette expérience partagée qu’on pourra construire une confiance collective.
Ce qui a déterminé notre champ d’action, c’est aussi un autre constat, indépendant de nos dynamiques propres, avec le virage de l’agriculture en France : vu le très grand nombre de départs en retraite de paysan·nes, un tiers du territoire agricole français va changer de main ; et face à cela on se confronte à une logique agro-industrielle avec l’accaparement et l’artificialisation des terres. Nous avons voulu combattre ensemble cette logique dans ce moment historique.
Tout cela est notre point de départ . Ensuite, les discussions, les actions que nous avons menées ensemble nous ont permis d’apprendre les uns des autres et de comprendre quels étaient les héritages politiques de chacun·e, les manières d’agir. Nous avons fait le pari que cette diversité, ces différents moyens d’action pouvaient se coordonner, s’agencer ensemble pour gagner en puissance.
➤ ÉÉ : Peux-tu expliciter la stratégie de SLT ?
Jean : On ne prétend pas inventer l’eau chaude ! Les pratiques de lutte qu’on met en avant, blocages, désarmement, occupations… existent depuis longtemps. Nous sommes inspiré·es par la ZAD de NDDL ou par d’autres luttes récentes, contre les grands projets écocides ou même par l’histoire de la combativité paysanne des années 1970 (travailleurs paysans). Nous observons que les luttes qui ont abouti à des victoires partielles ou totales sont celles qui ont su conjuguer différentes manières d’agir à la fois sur le plan juridique, sur le plan symbolique avec des manifestations de masse mais aussi sur le plan de l’action directe. C’est-à-dire, qui impacte économiquement les projets ou les objets contre lesquels on lutte. Il s’agit de trouver une dynamique de discussion et d’élaboration pour articuler ces différentes formes d’actions et faire grandir les rapports de force, là où on nous sollicite. Blocages, occupations, sabotages – désarmements plutôt – nous semblent être les registres qui permettent, à un certain stade d’une lutte locale, d’engager un rapport de force plus conséquent que les seuls recours juridiques et les grosses mobilisations, ce qui ne les exclut pas. Tout cela doit avancer ensemble. Nous avons, dans notre registre d’actions directes, une expérience à partager.
L’exemple de Sainte-Soline est assez éclairant : si on combine tout ce qu’on avait organisé avec Bassines non merci ! et la Confédération paysanne dès 2021 et jusqu’à 2023, on voit bien la gradation du rapport de force. À partir du moment où on a décidé de pénétrer dans les chantiers, désarmer les machines, bloquer le chantier, cela a permis que des associations, des syndicats, des scientifiques… tout un tas de gens qui avaient des raisons de s’inquiéter du fait que les bassines allaient vider les rivières se positionnent plus clairement. Ces pratiques font grandir le rapport de force et cela participe à contrer l’isolement et à favoriser des prises de position beaucoup plus tranchées de toutes sortes de personnes.
➤ ÉÉ : Après Sainte-Soline notamment, le mouvement est confronté à une lourde répression Quel bilan fait SLT de cette situation et comment envisager la suite ?
Jean : La répression a en effet pris plusieurs formes : en premier lieu, la répression policière (plus de 200 blessé.es à Sainte-Soline, dont deux extrêmement gravement). C’est un objectif clairement assumé par l’État de briser l’élan, briser les corps et briser les gens. Il y a aussi les poursuites pénales liées à Sainte-Soline et à l’action contre le cimentier Lafarge, qui sont même diligentées par les juges antiterroristes ! Et des poursuites pour manifestations interdites en plus de la procédure administrative de dissolution. Toutes ces procédures menées de front laissent penser qu’il y a clairement un objectif d’anéantissement, mais cela ne semble pas réussir, bien au contraire. Cela a suscité un énorme mouvement de soutien du monde politique, culturel, de toute la sphère écolo et a montré que Les Soulèvements de la Terre n’est pas un groupuscule, mais un vrai mouvement avec 200 comités locaux. C’est ce soutien qui a permis de suspendre (note de la rédaction : puis d’annuler) la procédure de dissolution. On a incité tout·es les signataires de la tribune Nous sommes les Soulèvements de la terre à se porter requérant·es dans le recours contre la dissolution, et il y a autour de 10 000 personnes qui l’ont fait. Ils n’ont pas réussi à briser l’élan collectif. Il est plus fort que jamais. On a le sentiment de sortir victorieux de cette séquence. ■
Propos recueillis par Sophie Zafari
■ « La saison 5 des Soulèvements de la Terre prolonge cet élan. Elle sera rythmée par une mobilisation par mois, aux quatre coins de la France ! Elle sera marquée à la fois par des actions publiques de masse, des surgissements inopinés, des moments de réflexion stratégiques et de formation. Notre angle d’attaque thématique reste le même : la défense de la terre et de l’eau comme bien commun face à l’accaparement par le complexe agro-industriel et face au bétonnage par la méga-machine métropolitaine. Notre orientation stratégique également : d’une part cibler et désarmer des infrastructures emblématiques, des projets d’aménagement structurants et des multinationales destructrices ; d’autre part jeter les bases de ce qui pourrait être un mouvement de reprise de terres. »
Source : https://lessoulevementsdelaterre.org/blog/appel-saison-5