Élections aux États-Unis : Trump plie, mais ne rompt pas

Les élections de mi-mandat aux États-Unis sont traditionnellement un
mélange de référendum pour ou contre le Président en exercice, et
d’enjeux locaux. Les résultats des dernières en date offrent une image
contrastée du paysage et des rapports de forces politiques actuels
dans ce pays. Le Parti Républicain perd la majorité à la Chambre des
Représentants, mais la conserve au Sénat. Le président Donald Trump,
qui a sillonné le pays pour soutenir des candidats républicains
victorieux, résiste ainsi en radicalisant sa base électorale, et
renforce sa mainmise sur le parti. Son camp tire profit de nombreux
dispositifs législatifs qui vont à l’encontre de l’égalité des droits
des citoyen-nes devant le vote, pénalisent de facto l’électorat issu
des classes populaires et des minorités ethniques et assurent un
avantage inique au vote républicain.

Mais il est dans le même temps favorisé par un Parti Démocrate
dépourvu de leadership, qui ne présente pas en soi une alternative
politique en mesure de susciter un raz-de-marée électoral. L’aile
progressiste des Démocrates gagne du terrain, avec notamment
l’élection symbolique de deux militantes, socialistes revendiquées, au
Congrès – un événement inédit depuis les années 1920 – mais n’est
qu’au tout début de son travail d’implantation. Ainsi, à l’issue de
ces midterms, malgré l’impopularité de Trump et sa pratique effarante
du pouvoir, les conditions garantissant sa défaite aux prochaines
présidentielles de 2020 ne sont pas encore réunies.

Une défaite des Républicains ?

Le Parti Républicain a subi d’incontestables revers lors de ces
élections de mi-mandat. Alors que la participation était fortement en
hausse (48,5 %, soit 12 points de plus qu’en 2014), il obtient 7
millions de voix de moins que les démocrates (45,9 % contre 52,4 %)
pour les élections à la Chambre des Représentants. Selon un sondage
sorti des urnes effectué par CNN, sa prééminence par rapport aux
Démocrates s’effrite pour des électorats clés comme les habitant-es de
zones rurales (14 % de plus seulement contre 28 % en 2016) ou
l’électorat blanc des États anciennement esclavagistes du Sud (20 % de
plus contre 30 % en 2016). Le Parti Démocrate est assuré d’être
majoritaire à la Chambre, avec déjà 227 élu-es (+ 34 sièges), contre
198 pour les Républicain-es, et devrait même voir son avance confortée
lorsque la totalité des 435 élu-es seront officiellement connu-es.

Quand les Démocrates gagnent au moins sept postes de gouverneur-e
(chef-fe de l’exécutif, équivalent du Président à l’échelle d’un
État), les Républicains en perdent au moins six. En particulier, les
défaites de Scott Walker dans le Wisconsin ou Kris Kobach dans le
Kansas sont symboliques de la résistance aux politiques austéritaires
et racistes inspirées du trumpisme. Enfin, le Wisconsin, le Michigan,
et la Pennsylvanie, les trois États clés qui avaient permis à Trump de
remporter la présidentielle il y a deux ans, ont tous des
sénateur-trices et des gouverneur-es démocrates à l’issue de ce
scrutin.

Radicalisation à droite

Pourtant, malgré de réels déboires, le Parti Républicain ne sort pas
écrasé de ces élections. En effet, le Sénat reste majoritairement
républicain, et il se pourrait même que les Démocrates perdent jusqu’à
3 sièges. Dans le Texas, le sénateur ultraconservateur Ted Cruz a été
réélu face au progressiste Beto O’Rourke qui représentait pourtant une
figure du renouvellement du Parti Démocrate, favorable à la couverture
santé universelle.

Les victoires d’Andrew Gillum, militant afro-américain soutenu par
Bernie Sanders, au poste de gouverneur de Floride, et, en Géorgie, de
Stacey Abrams, qui pourrait être la première femme noire élue
gouverneure, étaient attendues comme des démonstrations d’un
changement flagrant du climat politique intérieur. Elles sont encore
très incertaines, puisque le recomptage des votes est encore en
cours. Autre exemple symbolique : des terres démocrates comme le New
Hampshire, le Massachusetts et le Vermont (où Sanders est élu sénateur
indépendant) ont toutes élu des gouverneur-es républicain-es.

Inégalités devant le vote

Ainsi, Trump, qui avait pris le risque de se mettre ostensiblement en
avant, tient bon. Même si elle n’atteint pas les 50 % et qu’elle s’est
affaiblie, il existe bien une base sociale qui approuve ses mesures
ultra-réactionnaires et xénophobes, inspirées par une idéologie
protectionniste vis-à-vis des emplois, en particulier industriels, qui
seraient menacés par la puissance de la Chine. Des mesures également
imprégnées par une islamophobie violente (Muslim Ban), par un
suprématisme blanc ancré dans l’histoire esclavagiste du pays
(attaques contre Black Lives Matter) ou encore par un nationalisme
ethnique qui cible les immigré-es (surtout latinos) comme des
criminel-les. Cette politique de la haine et du ressentiment a connu
un certain écho en fin de campagne quand le Président a concentré ses
attaques sur la « caravane des migrants », une initiative lancée par
plusieurs milliers de migrant-es parti-es du Honduras qui veulent
entrer ensemble sur le territoire étasunien et remettre ainsi en cause
sa politique de fermeture des frontières. Le dernier clip électoral
financé par Trump à ce sujet a même été jugé trop raciste par NBC,
Facebook et… Fox News !, qui ont décidé de ne pas le diffuser.

Il faut cependant avoir à l’esprit que les performances électorales du
Parti Républicain sont aussi la photographie d’un rapport de forces
électoral déformé par le poids de mécanismes institutionnels
antidémocratiques. Le Sénat par exemple est un cadre qui donne un
pouvoir disproportionné aux États ruraux moins peuplés mais bien plus
favorables au vote républicain : en son sein, 16 % de la population
américaine est représentée par 50 % des sièges.

D’autre part, le découpage électoral, datant de 2010, est extrêmement
défavorable aux Démocrates, et de nombreux élu-es républicain-es, tels
Brian Kemp, le concurrent de Stacey Abrams au poste de gouverneur en
Géorgie, ont continué lors de leur mandat à redéfinir les limites de
leur circonscription de manière à assurer leur réélection. Sa fonction
de secrétaire d’État, qu’il a conservée pendant qu’il était candidat,
lui donnait la responsabilité de gérer les registres électoraux et la
bonne tenue des élections. Il a ainsi fait adopter plusieurs
règlements extrêmement procéduriers qui ont permis à l’État de
Virginie d’exclure 1,4 million de personnes de ses listes
électorales. À cela s’ajoutent d’autres méthodes dissuasives :
fermetures de bureaux de vote dans les quartiers populaires et à
majorité noire et/ou hispanique, entraînant des heures de queue
interminables dans les bureaux restant, machines de vote
dysfonctionnelles, etc. Les scrutins ont par ailleurs toujours lieu
sur des jours ouvrés. Or, cette année, seules 44 % des entreprises
américaines ont accordé du temps à leurs employé-es, sans retrait sur
salaire, pour qu’ils/elles puissent aller voter et c’est un record (37
% en 2014).

Avenir du parti démocrate et alternative à gauche

Alors que les résultats de ces midterms sont une preuve que, plus de
cinquante ans après l’adoption des Voting Rights Acts qui accordaient
l’égalité formelle devant le vote aux citoyen-nes noir-es
américain-es, la bataille démocratique pour les droits civiques est
toujours d’actualité et concerne même aujourd’hui plus largement les
catégories populaires, le Parti Démocrate n’apparaît pas comme un
outil efficace pour mener cette bataille. Nancy Pelosi, la responsable
du parti à la Chambre et sa future présidente, s’est empressée de
tendre la main aux Républicain-es. Incarnation de la ligne
ultralibérale et réactionnaire sur de nombreux sujets de la direction
du parti, elle assume la fonction de ce dernier qui consiste à se
partager le pouvoir avec les Républicain-es dans un régime politique
gouverné par des ultra-riches. Toujours très réticente à reprendre des
revendications en faveur des classes populaires et des minorités
ethniques (couverture santé, école et université gratuites, réforme de
la justice criminelle, abolition de la police des frontières…), la
majorité des Démocrates n’a pour l’instant ni leader, ni programme, ni
stratégie propre face à Trump. C’est à sa gauche que se joue en ce
moment le renouvellement et, à terme peut-être, l’alternative,
essentiellement incarnée par les premier-es concerné-es par la
politique régressive du Président : des femmes, souvent plus jeunes et
non blanches, comme la progressiste Ihlan Omar, première réfugiée et
musulmane élue à la Chambre, et les militantes de Democratic
Socialists of America (DSA) Rashida Tlaib, d’origine palestienne, et
Alexandria Ocasio-Cortez (AOC). Tout jeune mouvement politique situé
dedans-dehors du Parti Démocrate, il a atteint 50 000 membres en moins
de 2 ans, et fait élire, en plus de Tlaib et AOC, une dizaine de
militant-es dans des chambres et sénats d’État, une trentaine dans des
conseils locaux ainsi qu’un juge à Houston. Il a dans le même temps
participé à mobiliser les majorités électorales qui ont imposé en
Floride que les ancien-nes détenu-es (plus d’un million) recouvrent
leur droit de vote ou que les entreprises high-tech payent une taxe de
300 millions pour financer le logement des SDF à San Francisco. Son
rôle croissant dans les mouvements sociaux et dans le soutien à une
possible candidature Sanders en 2020 est un des rares espoirs nés de
la polarisation en cours dans l’Amérique de Trump.

Grégory Bekhtari