L’épouvantail de la guerre scolaire a été ressorti face aux récents rapports sur l’Enseignement privé (EP). Maître dans l’activation des paniques morales, le Secrétariat général de l’enseignement catholique (SGEC) communique régulièrement sur ce thème. Le but est de diaboliser toute tentative d’exploration de l’EP (catholique à 96 %), dont les conclusions pourraient justifier la nationalisation que revendique historiquement la CGT.
En 2023, le SGEC estimait faire « économiser » 9,6 milliards d’euros à l’Éducation nationale. Certes, les enseignant·es du privé, agent·es public·ques, « coûtent » moins cher aux rectorats (avancée de carrière plus lente jusqu’en 2017, précaires plus nombreux·ses) et les charges de l’immobilier sont — en théorie — assurées par la seule contribution des familles. Mais cette analyse ne tient pas compte de tout ce que le contribuable verse sous forme de subventions, de forfaits… En réalité, l’EP sous contrat coûte 12 milliards d’euros (rapport Vannier), est subventionné à 75 % et milite activement pour obtenir davantage : hausse des forfaits, scolarisation dès 3 ans (2020), avantages fiscaux…
On constate que malgré cette manne financière publique, les salaires et conditions de travail des personnels de droit privé^1 ^restent déplorables. Où va l’argent ? Il est urgent de le vérifier via des contrôles précis systématiques.
Autre problème : la concurrence au détriment de l’enseignement public. Selon 63 % des Français·es, l’école privée serait de meilleure qualité. Cette appréciation subjective ne résiste pas à la réalité sur le terrain. Non, les personnels du public ne font pas moins bien que ceux du privé. Par contre, les contraintes imposées au public (règlement comptable, appels d’offre, carte scolaire…) avantagent le privé. En découle un séparatisme social clairement démontré. L’argent public sert à entretenir une école à deux vitesses au sein même du service public d’Éducation nationale. Pire, le privé bénéficie d’une marge de manœuvre grandissante dans l’application des textes réglementaires et programmes au nom d’un caractère propre, à qui l’on fait tout dire car non défini réglementairement.
Caractère propre encore : le volet confessionnel. Les statuts de l’enseignement catholique ne sont pas ambigus : il s’agit d’éduquer à la lueur des évangiles. Objectif qui ferait scandale s’il s’agissait d’établissements musulmans : l’inégalité de traitement entre les lycées Averroès et Stanislas a démontré une laïcité à géométrie variable. Récemment, nous observons la multiplication de présentation de reliques, conférences sur l’exorcisme et autres bénédictions des cartables… imposées aux élèves, voire aux personnels de l’EP. Religion ou superstitions bigotes ?
Intégrer les personnels du privé
Les enseignant·es du privé étant formé·es par des organismes^2 ^de l’enseignement catholique, on risque un développement de ces manifestations. Largement subventionnées, ces formations sont peu contrôlées par l’État et leurs contenus peuvent être problématiques. Sous des appellations fourre-tout (« anthropologie chrétienne ») il arrive que l’on retrouve des analyses issues de courants catholiques rétrogrades en EMC, en SVT… Il est urgent de revenir à une formation commune public-privé des personnels : moins dispendieuse, elle assurerait plus clairement la diffusion des principes fondamentaux : laïcité, libertés de conscience, d’expression…
La coexistence de deux systèmes éducatifs coûte cher et ne se justifie pas, sinon par les profits financiers et idéologiques qu’en tire l’enseignement catholique au détriment des personnels (sous-effectif, bénévolat imposé, pressions hiérarchiques…). La nationalisation^3^ de l’enseignement privé sous contrat permettrait de réinvestir ces sommes en faveur de toutes les familles et de mettre un terme à l’ensemble des dérives observées (séparatisme social, prosélytisme voire radicalisme religieux, surconsommation d’argent public…). Concrètement, il serait possible d’intégrer au sein de la fonction publique, les enseignant·es/AESH de droit public comme les personnels de droit privé actuellement en exercice et de récupérer les locaux des établissements (ils ont été largement subventionnés). Il s’agit d’une décision politique forte mais nécessaire pour réaliser l’école pour tou·tes, progressiste et émancipatrice pour laquelle nous militons syndicalement.
Pascale Picol, bureau national CGT-Enseignement privé
1 Personnels de droit privé : personnels d’éducation, d’entretien et administratif.
2 Accord Vatican-Kouchner de 2009 reconnaissant les diplômes délivrés dans les établissements supérieurs catholiques (ISFEC Formiris).
3 Cf. les précédents, notamment le lycée du Grand Blottereau à Nantes.