Après la désignation officielle de Kamala Harris comme candidate à la présidentielle, l’espoir d’une alternative à la menace trumpiste renaît dans le camp démocrate.
par Clara Sebastiani doctorante en civilisation américaine au Laboratoire de recherche sur les cultures anglophones (Larca) à l’Université Paris Cité.
La convention nationale démocrate qui s’est tenue à Chicago du 19 au 22 août a entériné la nomination de Kamala Harris et de son colistier Tim Walz comme candidat·es à la présidence et à la vice-présidence des États-Unis. Après des premiers mois chaotiques, marqués par la polémique autour de la santé du président Biden, la campagne démocrate prend un nouveau départ.
Selon une compilation de sondages nationaux réalisée par l’agence FiveThirtyEight au 26 août 2024, Kamala Harris mène actuellement la course présidentielle avec 47,1 % des intentions de vote contre 43,7 % pour Donald Trump. De telles prédictions restent cependant à nuancer, les instituts de sondage ayant sous-estimé le score de ce dernier à la fois en 2016 et 2020.
Un espoir de renouvellement modéré
De bien des manières, le binôme formé par Kamala Harris et Tim Walz semble incarner à la fois le rêve américain et une réconciliation nationale que n’osait plus espérer le camp démocrate : la première femme noire vice-présidente des États-Unis, fille de parents immigré·es (un père jamaïcain et une mère indienne) et un ancien militaire, enseignant et coach de football américain devenu représentant puis gouverneur du Minnesota.
Tout au long de la convention, l’engagement de Kamala Harris en tant que procureure dans la lutte contre la pédocriminalité, le trafic de drogue et la rapacité des banques lors de la crise de 2008 a été mis en avant. Son colistier Tim Walz fait état quant à lui d’un bilan exemplaire dans le Minnesota : codification du droit à l’IVG, repas gratuits pour tou·tes les écolier·ères, restrictions sur les ventes d’armes à feu et gratuité des études supérieures pour les familles à faibles revenus. Soutenu par une large coalition allant de Bill Clinton et Nancy Pelosi à Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, le binôme Harris-Walz semble ainsi offrir l’opportunité d’union que cherchait désespérément le Parti démocrate.
Le panégyrique de la candidate présidentielle tente cependant de faire oublier les accusations de participation à l’incarcération de masse lorsqu’elle était procureure du district de San Francisco (2004-2011) et procureure générale de Californie (2011-2017). Une incarcération qui touche majoritairement les populations noire et latino-américaine. L’État avait par ailleurs fait l’objet d’une condamnation de la Cour suprême en 2011, celle-ci ayant estimé que ses prisons surpeuplées constituaient « une peine cruelle et dégradante »^1^.
Au-delà de la politique domestique, la question palestinienne apparaît comme le point aveugle de cette tentative de réconciliation du camp démocrate avec une partie de son électorat aliénée par la politique de soutien inconditionnel à l’offensive militaire israélienne depuis octobre dernier.
En dépit des assurances unanimes lors de la convention que la vice-présidente travaille « nuit et jour »^2^ à la conclusion d’un accord de cessez-le-feu, le programme démocrate pour 2024 contredit les espoirs d’un changement d’approche concernant la guerre à Gaza. Celui-ci met en avant « le plan historique de quatorze milliards de dollars pour aider Israël à se défendre et fournir un milliard de dollars supplémentaires pour l’aide humanitaire à Gaza » voté par le Congrès à l’hiver dernier. Le caractère inconditionnel de l’aide militaire n’y est pas remis en question, pas plus que dans le discours de Kamala Harris. Qui plus est, la mention de la situation à Gaza par la candidate se fait toujours de manière elliptique (« ce qui se passe à Gaza depuis dix mois », « tant de vies innocentes perdues »^3^) et présente les pertes palestiniennes — 40 000 mort·es à la fin du mois de juin selon les autorités gazaouies — comme une fatalité malheureuse à la responsabilité non attribuée, contrastant avec la clarté de sa condamnation des crimes commis par le Hamas le 7 octobre 2023.
L’enjeu électoral est pourtant réel. Lors des primaires présidentielles démocrates au printemps dernier, un mouvement « indécis » (uncommitted) était né, appelant les électeur·ices à cocher cette mention en signe de protestation contre l’aide militaire à Israël, atteignant des scores significatifs, notamment dans certains États clés dits « pivots »^4^ comme le Michigan (13 %). En dépit de la mobilisation du mouvement, représenté par 29 délégué·es à la convention, aucun·e intervenant·e palestien·ne n’a pu s’exprimer sur la scène principale, tandis que les parents d’un otage israélien y ont pris la parole.
En maintenant le cap d’un soutien sans condition à l’offensive militaire israélienne à Gaza, le camp démocrate prend ainsi le risque de se couper d’une partie de son électorat, notamment les jeunes et la population arabo-américaine. Une part mince, mais qui pourrait être amenée à jouer un rôle décisif, notamment dans les États pivots.
Une offensive conservatrice savamment orchestrée
Parallèlement, la campagne de Donald Trump et de son colistier, le sénateur de l’Ohio J.D. Vance, a été galvanisée par la tentative d’assassinat contre l’ancien président le 13 juillet dernier.
En marge de la campagne républicaine, le Projet 2025, lancé en 2022 à l’initiative du think tank conservateur Heritage Foundation, avec le soutien d’une centaine d’organisations conservatrices, propose une feuille de route de 900 pages pour une transition vers un régime néoconservateur et une transformation du gouvernement fédéral des États-Unis. Bien que Donald Trump et sa campagne se soient distanciés du projet et que le site internet Project 2025 affirme ne soutenir aucun·e candidat·e en particulier, l’agence de presse Reuters affirme que plusieurs des collaborateur·ices et coauteur·ices du projet ont travaillé au sein de l’administration Trump, et seraient de possibles recrues dans le cas d’une victoire républicaine en novembre^5^.
Outre un retour de la société états-unienne à des valeurs traditionnelles centrées sur la famille, le Projet 2025 prône ainsi une restructuration de l’administration passant par le reclassement massif d’employé·es gouvernementaux·ales et leur remplacement par des employé·es loyaux·ales au projet.
Une telle restructuration aurait pour conséquence de placer l’ensemble du pouvoir exécutif sous l’autorité du président, favorisant ainsi la concentration des pouvoirs.
La démocratie états-unienne à la croisée des chemins
Dans un contexte de polarisation extrême, de répression des mouvements de protestation et de violence politique exacerbée, la démocratie états-unienne se trouve à une croisée des chemins. La menace de dérives autoritaires, ravivant le souvenir de l’attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole, est renforcée par l’affaiblissement du contre-pouvoir judiciaire. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait en effet pu nommer trois des neuf juges à la Cour suprême, qui avait ainsi basculé durablement du côté du conservatisme. Celle-ci a d’ailleurs établi un dangereux précédent le 1^er ^juillet dernier, statuant que l’immunité présidentielle s’étendait présumément à tous les actes officiels du président6.
Aux démocrates, la responsabilité d’être à la hauteur de l’enjeu. Les partisan·es de Donald Trump, elles et eux, seront là.
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Bown vs. Plata, décision du 23-05-2011,
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Kamala Harris, Convention Nationale Démocrate, le 22-08-2024.
3. Ibidem.
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État pivot : État susceptible de basculer dans l’un ou l’autre camp d’une élection à l’autre.
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Reuters, article 06-07-2024
6. Trump vs. United States, decision du 01-07-2024.