Si le front entre Israël et le Hezbollah s’est brièvement embrasé le 24 août, la perspective d’une guerre régionale étendue à l’Iran s’est pour l’instant estompée. Pendant ce temps, alors que les négociations s’enlisent, le génocide se poursuit à Gaza, avec la complicité occidentale.
par Alain Gresh, directeur du journal en ligne Orient XXI.info , auteur de Palestine, un peuple qui ne veut pas mourir, éditions Les Liens qui libèrent, 2024.
Depuis les attaques du 7 octobre 2023 et l’invasion de la bande de Gaza par l’armée israélienne, le conflit a pris une tournure régionale. Les affrontements à la frontière libanaise avec le Hezbollah n’ont pas cessé ; les houthistes, un mouvement qui contrôle l’essentiel du territoire yéménite, se sont attaqués à la navigation dans le Golfe d’Aden, perturbant le commerce international ; des milices alliées à l’Iran ont visé des cibles militaires américaines.
Pour comprendre, il faut revenir sur la stratégie des « deux camps », celui qui soutient Israël et celui qui appuie les Palestinien·nes. Comme le note une universitaire américaine dans la revue Foreign Affairs : « avant l’attaque du Hamas, la confiance d’Israël avait atteint son paroxysme. Israël en était venu à croire que les États arabes l’accepteraient même s’il n’avait pas résolu son conflit avec les Palestiniens et qu’il pourrait frapper l’Iran et ses alliés pratiquement sans conséquences et sans mettre en péril le soutien dont il bénéficie de la part des États-Unis. Puis, presque du jour au lendemain, cette confiance s’est transformée en un sentiment de profonde vulnérabilité. […] L’attaque du Hamas a brisé les hypothèses les plus fondamentales des Israéliens : leur supériorité militaire et technologique pouvait dissuader leurs adversaires, ils pouvaient vivre en sécurité derrière des murs et des frontières fortifiées, et ils pouvaient prospérer économiquement sans faire d’avancées majeures vers la paix avec les Palestiniens^1^. »
C’est d’ailleurs ce que cherchait le Hamas par son attaque du 7 octobre, briser le sentiment d’impunité israélien, la dérive vers l’annexion pure et simple de la Cisjordanie et remettre la question palestinienne au centre des débats. De ce point de vue, il a réussi.
Soutien américain
Les leçons tirées de cette attaque par le gouvernement israélien, par ses alliés américains et européens était non seulement qu’Israël « avait le droit de se défendre », mais qu’il lui fallait rétablir sa capacité de dissuasion. Y compris par guerre génocidaire menée désormais depuis bientôt un an. Aucun·e dirigeant·e israélien·ne n’imagine que la solution est politique et qu’elle consiste à reconnaître le droit des Palestinien·nes à l’autodétermination.
Le soutien américain a été total, malgré des tensions ponctuelles entre le président Joe Biden et le Premier ministre Benyamin Nétanyahou. Les livraisons d’armes massives, sans lesquelles Israël ne pourrait pas prolonger la guerre un seul jour, ont permis l’action israélienne. À la suite du bombardement du consulat iranien à Damas le 1^er^ avril, une violation de l’immunité des représentations diplomatiques, les États-Unis avec l’aide de leurs alliés, dont la France, sont venus à la rescousse d’Israël pour limiter la riposte iranienne dans la nuit du 13 au 14 avril.
D’ailleurs, dans cette guerre, la France a adopté une position de soutien à Israël et a porté à son terme la rupture avec la politique définie par De Gaulle après la guerre de juin 1967. Elle se retrouve même à l’arrière-garde des pays européens, refusant de reconnaître l’État palestinien, comme l’ont fait l’Espagne, la Norvège ou l’Irlande, rejetant toute idée de sanction contre un gouvernement d’extrême droite dominé par les « suprémacistes juifs ».
Après l’assassinat, fin juillet par Israël à Beyrouth, d’un important chef militaire du Hezbollah Fouad Chokr, et celui à Téhéran d’Ismaïl Haniyeh, le chef du bureau politique du Hamas à Téhéran, et face aux menaces de riposte du Hezbollah et de l’Iran, les États-Unis ont déployé dans la région une partie de leur flotte militaire. Pour la première fois en temps de guerre, l’armée israélienne a assuré sa coordination opérationnelle avec les systèmes de commandement et de contrôle américains.
Des négociations dans l’impasse
Si le Hezbollah a répondu à l’assassinat d’un de ses dirigeants à Beyrouth le 24 août par un tir massif de missiles, celui-ci a été limité dans le temps et dans les objectifs. Quant à la riposte de Téhéran, elle se fait attendre, l’Iran affirmant qu’il ne veut pas entraver les négociations sur un cessez-le-feu à Gaza. Depuis l’attaque contre Gaza, sa politique peut se résumer en deux principes : éviter l’écrasement du Hamas et des Palestinien·nes ; freiner une escalade qui provoquerait un affrontement direct avec les États-Unis. Confrontée à une grave crise de légitimité interne, affaiblie par les sanctions économiques, la République islamique a renoué ces deux dernières années avec l’Arabie saoudite et le monde arabe « modéré » et a entamé un dialogue indirect avec les États-Unis, notamment sur la question nucléaire. Elle laisse donc au Hezbollah l’essentiel de l’engagement militaire direct contre Israël, engagement qui oblige Israël à se mobiliser sur deux fronts et a vidé le nord du pays de sa population. Mais le Hezbollah doit aussi tenir compte du contexte libanais et il a expliqué qu’il arrêterait ses opérations aussitôt qu’un cessez-le-feu à Gaza sera signé.
Celui-ci apparaît incertain et les négociations s’enlisent du fait de l’intransigeance du Premier ministre israélien, dont l’objectif reste le contrôle de Gaza, mais aussi d’essayer d’entraîner les États-Unis dans une guerre contre l’Iran, ce que les démocrates ne souhaitent pas en année électorale. À l’ombre des négociations, le génocide se poursuit. Alors que le chiffre de 40 000 mort·es a été franchi — plus personne ne le conteste sinon pour dire qu’il est sous-estimé –, soit 2 % de la population totale, le quotidien israélienHaaretz^2^ a publié une étude comparative de différents conflits récents. La guerre en Syrie a fait, en treize ans (2011-2024), 400 000 mort·es, soit 2 % de la population ; celle en Yougoslavie (1991-2001) a fait 100 000 mort·es en dix ans, soit 0,5 % de la population. En termes de pourcentage de la population, selon le professeur Michael Spagat de l’université de Londres interrogé par le quotidien israélien, Gaza fait donc partie des cinq conflits les plus meurtriers de ce siècle. Mais, « si l’on tient compte du temps qu’il a fallu pour tuer 2 % de la population, le cas de Gaza pourrait être sans précédent ».
Cette guerre se déroule aussi sur un territoire très réduit, à peine 360 km^2^ (contre 600 000 km^2^ pour l’Ukraine) ; et les civil·es n’ont nulle part où se réfugier, trimbalé·es par les directives israéliennes d’une ville à une autre, d’un quartier à un autre, soi-disant vers des zones sûres qui finissent par être bombardées.
Israël affirme vouloir détruire le Hamas, mais dans la réalité il s’agit de rendre Gaza inhabitable, de poursuivre la politique d’épuration ethnique contre les Palestinien·nes entamée en 1947-1949 et poursuivie en 1967. Et la « communauté internationale » se révèle incapable d’arrêter le massacre, malgré tous les avis de la Cour internationale de justice, contribuant ainsi à jeter aux orties le droit international.
le 12 septembre 2024.
1. Dalia Dassa Kaye, Why Israel Escalates. Risky Assassinations Are a Desperate Bid to Restore Deterrence, Foreign Affairs,
5 août 2024.
- Nir Hasson, “The Numbers Show : Gaza War is one of the bloodiest of the 21st Century”,Haaretz, 14 août 2024.