Le financement public des écoles privées, qui était exclu par la loi Guizot, a été introduit progressivement, notamment sous Pétain, puis par la loi Debré en 1959.
Qu’est-ce qu’une école privée ? Durant le XIX^e^ siècle et jusqu’à la fin de la troisième République, le critère fondamental est le suivant : c’est une école qui ne reçoit aucun financement public.
Toute école qui reçoit des subsides d’origine publique est considérée ipso facto comme une école publique. C’est d’ailleurs ce qui est écrit à l’article 8 de la célèbre loi Guizot du 28 juin 1833 : « les écoles primaires publiques sont celles qu’entretiennent en tout ou en partie, les communes, les départements, ou l’État ».
Les tableaux statistiques du ministère de l’Instruction publique sont partagés en quatre cases : « les écoles publiques congréganistes » (celles qui reçoivent au moins en partie des subsides publics et qui sont encadrées par des congrégations), « les écoles publiques laïques » (celles qui reçoivent au moins en partie des subsides publics et qui sont encadrées par des laïcs, c’est à dire des non-clercs), « les écoles privées congréganistes » (celles qui ne reçoivent que des subsides privés et qui sont encadrées par des congrégations), et enfin « les écoles privées laïques » (celles qui ne reçoivent que des subsides privés et qui sont encadrées par des laïcs, c’est à dire des non-clercs).
La loi Falloux du 15 mars 1850 va essentiellement dans le même sens pour ce qui concerne les « écoles secondaires », mais en introduisant un « bémol » (ou une « faille ») qui aura un certain succès historique. Ce « bémol », c’est l’article 69 de la loi : « les établissements libres secondaires peuvent obtenir des communes, des départements ou de l’État un local et une subvention, sans que cette subvention puisse excéder le dixième des dépenses annuelles de l’établissement ». C’est d’ailleurs ce dernier verrou (à savoir « ne pas excéder le dixième ») qu’avait voulu faire sauter François Bayrou au tout début de son arrivée au ministère de l’Éducation nationale, et l’avait conduit à vouloir « abroger la loi Falloux » en 1993.
Mais l’essentiel n’est pas là, d’autant qu’il y a moins de 5 % d’une classe d’âge qui fréquente les établissements secondaires jusqu’à la fin de la Troisième République (et que ceux-ci, même dans les établissements publics, ne bénéficient pas de la gratuité décrétée pour les établissements primaires publics par la loi Ferry de 1881).
Il est remarquable que dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale, les « pupilles de la nation » qui bénéficient d’une bourse doivent faire leur scolarité dans des établissements publics car il est hors de question que de l’argent public subventionne − même indirectement − des établissements privés. Et cela en pleine période de la Chambre bleu horizon dominée largement par la droite.
Pétain introduit un financement communal
Il est non moins remarquable que c’est sous l’État français dirigé par Philippe Pétain que de l’argent public est octroyé pour la première fois à des établissements privés catholiques, même si c’est présenté comme des mesures exceptionnelles n’ayant pas pour principe d’être pérennes. Dès octobre 1940, les municipalités sont autorisées à faire bénéficier les enfants des écoles privées des subventions de la caisse des écoles. La loi du 6 janvier 1941 permet ensuite aux communes de participer aux frais d’équipement et de fonctionnement des écoles privées. La loi du 2 novembre légalise un soutien exceptionnel, mais ne met pas en place un système pérenne. Dans le contexte de cette époque, cette nouvelle politique scolaire contribue à la progression des écoles privées. En 1945, l’enseignement privé regroupe 21 % des effectifs du primaire contre 14 % en 1936. Le secondaire privé rassemble 53 % des effectifs contre 40 % en 1939.
Quelques années après la Libération, la question du financement des écoles privées embarrasse les relations entre les partis de la « troisième force » (socialistes SFIO et radicaux d’un côté, démocrates-chrétiens du MRP de l’autre, qui sont l’axe essentiel des gouvernements de la Quatrième République), les communistes et les gaullistes étant hors-jeu gouvernemental. Et cela d’autant plus que les mouvements laïques d’une part, et les organisations en faveur des écoles privées d’autre part, se sont regroupés et structurés en groupes de pression antagonistes : création du Comité national d’action laïque d’un côté, fondation d’un Secrétariat d’études pour la liberté de l’enseignement et d’une Association parlementaire pour la liberté de l’enseignement, qui aura 315 député·es adhérent·es au moment de la loi Debré en 1959, de l’autre.
Création des établissements privés sous contrat par De Gaulle
En septembre 1951, la loi Marie (du nom du ministre de l’Éducation nationale André Marie, appartenant au Parti radical) admet les élèves des établissements privés au bénéfice des bourses de l’État ; et la loi Barangé octroie une allocation trimestrielle pour chaque enfant fréquentant l’école primaire publique ou privée. L’importance historique de ces deux lois tient plus à la reconnaissance du principe (pérenne) de subventionner les écoles privées par des fonds publics qu’elles impliquent, qu’aux effets financiers des dispositions prises. Il y a lieu de remarquer aussi un certain basculement de l’opinion à ce moment-là si l’on en croit les sondages. Alors qu’en 1946, 23 % seulement des Français·es se déclaraient favorables à des subventions publiques aux établissements privés, en 1951, 45 % se prononcent pour cette solution (42 % étant contre).
Dès son arrivée au pouvoir, le président de la République Charles De Gaulle ambitionne de régler « le problème privé-public ». Un dispositif de contrat est élaboré. Le général De Gaulle va jusqu’à rédiger de sa main l’article 1 de la loi : « Dans les établissements privés ayant passé un contrat, l’enseignement est soumis au contrôle de l’État : l’établissement, tout en conservant son caractère propre, doit donner l’enseignement dans le respect total de la liberté de conscience ; tous les enfants, sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyance y ont accès. »
Du côté du camp laïque, encadré par le Comité national d’action laïque (Cnal), c’est dès le début le refus de renoncer au statu quo et à son principe de base : « à l’école publique, fonds publics ; à l’école privée, fonds privés ! ». Après le vote de la loi Debré fin décembre 1959, le communiqué du Comité national d’action laïque est des plus vifs : « On assassine l’école publique ! ». Le Cnal organise au premier semestre 1960 une vaste campagne de pétitions contre la loi Debré (plus de dix millions de signatures sont obtenues), au terme de laquelle les délégués des pétitionnaires font le serment de « lutter sans trêve et sans défaillance jusqu’à son abrogation ».
Claude Lelièvre Historien de l’éducation.
Dernier ouvrage paru : L’école d’aujourd’hui à la lumière de l’histoire. Surprises et contre-vérités historiques, paru aux éditions Odile Jacob en 2021.
La loi Debré, adoptée en 1959 pour une durée de 10 ans, accorde des subventions aux établissements privés. Pour s’y opposer, le CNAL lance une pétition qui recueille 11 millions de signatures. Il organise une grande manifestation le 19 juin 1960 à Vincennes avec 400 000 personnes, où le nouveau président de la Ligue de l’enseignement, Henri Fauré, lit « le serment solennel des laïques de France de restaurer les principes républicains ».
La loi est mise en œuvre et va profondément modifier la situation scolaire en France.