Un financement opaque mais essentiellement public

Deux rapports fouillés, l’un rédigé par la Cour des comptes, l’autre par une mission d’information parlementaire transpartisane, viennent documenter l’origine du financement de l’école privée, très majoritairement public, et illustrer des dérives et une opacité régulièrement relevées par des enquêtes journalistiques. De sérieux arguments en faveur d’une nationalisation.

Le voile opaque du financement du privé se déchire peu à peu sous la pression de l’insupportable séparatisme social et met à jour des inégalités criantes avec le public. La dernière révélation de Médiapartsur les dotations facultatives dont ont bénéficié les lycées privés de la part des régions hexagonales est assez stupéfiante. Elles représentent plus de 1,2 milliard d’euros d’argent public distribué ces six dernières années de façon totalement volontaire et facultative. L’obligation légale du « forfait d’externat » par les régions d’un montant de 3 milliards pour la même période est ainsi quasiment augmentée de moitié… L’illustration éclatante d’une école privée abondamment nourrie d’argent public. Le récent rapport de la Cour des comptes l’estimait à 77 % de son financement global, un pourcentage clairement sous-estimé car elle ne disposait pas par exemple de ces données.

Du flou dans les milliards

La part de l’État dans le financement du privé, légèrement inférieure à celle observée pour le public, se monte à plus de 9 milliards d’euros par an. Une somme consacrée en quasi-totalité aux rémunérations des personnels enseignant·es et au financement du fameux « forfait d’externat » censé correspondre strictement aux dépenses de l’État par élève du secondaire public pour tout ce qui relève des rémunérations des personnels non enseignant·es (administratifs, vie scolaire, direction, santé…). L’État finance donc actuellement l’école privée à « parité », en se calquant sur le modèle de l’école publique.

Du côté des collectivités locales, ce même principe de « parité » les conduit à financer le « forfait communal » dans le premier degré et la part du « forfait d’externat » dans le second degré, deux forfaits correspondant aux dépenses de fonctionnement et à celles des personnels non enseignant·es qui relèvent de leur responsabilité. Elles peuvent également contribuer aux dépenses d’investissement du secondaire à hauteur de 10 % maximum, ce qu’illustrent les chiffres de Médiapart pour les lycées.

À ce financement public s’ajoutent les contributions des familles, très variables selon les établissements et s’élevant en moyenne entre 460 euros pour l’école maternelle et 1 237 euros au lycée dans les établissements du réseau catholique. Sans oublier les dons, versés en totale opacité mais permettant de confortables déductions fiscales, autre source de financement public, mais indirect, de l’école privée par l’État.

Ces sommes aux origines diverses gérées par l’école privée devraient être affectées de façon ciblée sur certains types de dépenses. Mais aucune transparence n’est mise en œuvre, ouvrant ainsi la possibilité de financer par le biais du forfait communal d’autres priorités que celles servant pour le calcul de son montant par les communes comme le recrutement accru d’agentes territoriales spécialisées des écoles maternelles (Atsem), par exemple.

Ingéniosité sans limite dans le détournement

À tout cela s’ajoutent les détournements et autres contournements des dotations en personnels par l’école privée pour enrichir son offre éducative, voire religieuse, au détriment de ses obligations.

Par exemple, le service statistique du ministère de l’Éducation vient de montrer que non seulement les enseignant·es du privé avaient signé deux fois plus de Pactes, permettant une rémunération complémentaire en échange d’une mission supplémentaire, mais également qu’une grande partie d’entre elles et eux, 18 % contre 6 % dans le public, en bénéficiaient pour un « projet d’innovation pédagogique ». Une anomalie déjà relevée par le rapport des députés Vannier et Weissberg, en avril dernier, qui y voyaient un effet d’aubaine pour le privé qui finance par ces fonds publics des missions « davantage liées au caractère propre de l’établissement ou à son projet éducatif : jardinage, animation des réseaux sociaux, etc. »

De même, le rapport fait état de nombre d’heures de cours fictives rémunérées par l’État aux personnels de direction qui servent en fait à diminuer le coût de leurs salaires pour l’école privée. D’autres pratiques, fort peu orthodoxes et illégales, réduisent la durée des heures de cours à 50 minutes au lieu de 55, permettant de dégager une heure et demie hebdomadaire par enseignant·e pour financer des clubs théâtres, des cours dédoublés ou du soutien afin d’offrir un « plus » au privé comparé à l’école publique, mais une fois de plus payé par l’État et au détriment des horaires annuels d’enseignement dus aux élèves.

Totalement hors de contrôle

Pour complexifier et opacifier encore ce maquis, quasiment aucun contrôle, pourtant prévu par le Code de l’éducation comme contrepartie du financement public via le contrat d’association, n’est effectué, comme le montre le rapport de la Cour des comptes, rejoint par celui des député·es. Les établissements privés ne transmettent que très rarement leurs comptes de résultats et, de leur côté, les services des finances publiques effectuent une poignée de contrôles. Les deux députés ont ainsi estimé qu’au rythme actuel de cinq contrôles budgétaires par an pour 7 500 établissements, la fréquence d’un contrôle dans le privé est donc d’une fois tous les 1 500 ans…

Les contrôles ne sont pas plus probants sur le volet pédagogique où, selon les députés, « le respect des volumes horaires globaux pour chaque discipline et dans chaque classe ou encore la bonne application des dispositions relatives à l’instruction religieuse constituent de manière regrettable des angles morts. » Le contrôle administratif par l’Inspection générale dépend, lui, d’une saisine du Premier ministre, de celui de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur ou des Sports. Ainsi, il se fait très rare et conduit pourtant à des rapports détonants, mais souvent oubliés au fond des tiroirs, comme celui consacré au collège Stanislas qui avait finalement « fuité » dans la presse.

Pour permettre un contrôle effectif de ces écoles et établissements et accroître de façon conséquente la mixité sociale dans l’éducation, leur passage sous l’égide de l’enseignement public est indispensable. Au vu de l’origine de leurs financements, déjà très majoritairement publics, la question budgétaire ne sera pas un frein à cette nationalisation.

Arnaud Malaisé