Mettre fin au dualisme scolaire
L’affaire n’est pas nouvelle. Elle constitue même une des oppositions historiques qui ont structuré les débats depuis l’avènement de l’école publique au sortir de la Révolution française. « De l’argent public pour l’école publique, l’argent privé pour l’école privée » jusqu’aux mesures dérogatoires de financement du privé par l’État et les collectivités, des lois Guizot, Falloux, Debré aux grandes manifestations de soutien pour l’école publique du 16 janvier 1994, la guerre scolaire a d’abord été une guerre entre l’enseignement privé catholique et l’école publique laïque (cf. l’article de Claude Lelièvre).
Mais deux événements récents ont remis en avant la question, soulevant un des aspects essentiels : le séparatisme scolaire est d’abord un séparatisme social.
Le dévoilement des IPS
Le 13 juillet 2022, le tribunal administratif de Paris contraint le ministère de l’Éducation nationale à dévoiler l’indice de positionnement social (IPS) des établissements du secondaire, indice créé par la direction de la statistique publique en éducation (Depp) en 2016, qui mêle catégories socioprofessionnelles des familles et marqueurs socioculturels.
L’IPS national moyen des collèges s’élève à 103,36. Il va de 51,3 au plus bas, dans l’académie de Guyane, jusqu’à 157,6 pour l’établissement à l’IPS le plus élevé de France, dans l’académie de Versailles. Parmi les 10 % de collèges à l’IPS le plus faible (indice à moins de 82,3), on ne compte que 3,3 % de privés sous contrat. À l’inverse, parmi les 10 % de collèges à l’IPS le plus élevé (plus de 124,8), 60,9 % sont des établissements privés. Cette proportion s’élève à 81 % pour les 100 collèges aux plus hauts IPS (plus de 143,8) et à 90 % pour les 10 premiers.
La démonstration est implacable. Les riches ont bel et bien recours à la scolarisation dans l’enseignement privé pour s’acheter un entre-soi social. La ségrégation territoriale qui impacte l’enseignement public, marqué lui aussi d’une inégalité de recrutement, n’est visiblement pas suffisante (cf. l’article de Fabienne Federini).
L’AOC « bourgeoisie réactionnaire »
Le deuxième événement qui a mis sous les projecteurs le clivage entre public et privé est la nomination d’Amélie Oudéa-Castéra au ministère de l’Éducation nationale. Mentant ouvertement sur les raisons qui l’ont conduite à scolariser ses enfants dans l’établissement privé catholique Stanislas, contournant Parcoursup pour l’entrée de son fils en prépa dans ce même établissement, la ministre a été le symbole de ce qu’une partie de la bourgeoisie est prête à faire pour garantir à ses enfants un entre-soi scolaire qui dépasse la question d’un enseignement élitaire.
Le rapport de l’Inspection générale sur Stanislas, dissimulé par Gabriel Attal puis AOC, en dresse un portrait édifiant : non-respect du cadre horaire consacré à la catéchèse, intervenant·es tenant des propos homophobes ou antiavortement, prosélytisme, non-respect des programmes, classes non mixtes… C’est à un entre-soi véhiculant des normes réactionnaires que nous faisons face.
Ces normes réactionnaires n’ont pas été sans incidence dans les débats éducatifs des dernières années. Jean-Michel Blanquer, ayant fait une partie de sa scolarité à Stanislas, a été le promoteur de mesures autoritaires, réactionnaires et islamophobes dans la guerre scolaire menée contre les classes populaires et les idées d’émancipation (cf. l’article dans la revue n° 93).
Et si la bourgeoisie n’est pas uniforme sur ces questions, rappelons qu’à part Nicole Belloubet, les quatre dernier·es ministres de l’Éducation nationale ont eu un rapport étroit avec l’enseignement privé.
La nécessité d’une nationalisation
Après celui de la Cour des comptes, le rapport des parlemenaires Vannier-Weissberg pointe l’opacité du financement du privé sous contrat, doté de près de 10 milliards d’euros d’argent public. Les 7 500 établissements privés, pour lesquels l’IPS moyen est de 15 à 20 points supérieur à ceux du public, sont financés à hauteur de 77 % par des fonds publics, et ce alors que les procédures de contrôle sont lâches et les contre-parties faibles (cf. l’article d’Arnaud Malaisé). Les syndicats des personnels du privé pointent eux aussi les dérives d’une allocation des moyens non contrôlée, qui se traduit par des conditions de travail et de rémunération dégradées (cf. l’article de Pascale Picol).
Les arguments s’accumulent pour légitimer notre revendication d’une nationalisation sans indemnité ni rachat dont on doit définir le caractère opératoire (cf. l’article de Mary David et Blandine Turki). La guerre scolaire, menée par les plus riches contre les classes populaires et les valeurs émancipatrices, si elle s’est largement invitée dans le secteur public, s’organise à l’échelle d’un système dont l’enseignement privé est une des composantes. À nous de relever le défi d’une école démocratique, qui se doit de traiter tous les mécanismes ségrégatifs.
Mary David, Arnaud Malaisé, Adrien Martinez