Votes populaires!

Intervention Yann Le Lann, sociologue, Collectif Focale

Un constat est asséné par les politiques et les analystes après chaque élection : les classes populaires auraient quitté l’arène politique. Qui, d’ailleurs, peut nier l’ampleur de la désyndicalisation, de la croissance de l’abstention, de la défiance à l’encontre des institutions de représentation – en particulier chez les ouvriers et les employés -?

Les classes populaires ont très faiblement voté pour Macron , et pour la Gauche ?

 La Gauche -radicale, très en lien avec la classe ouvrière jusqu’aux années 70 est aujourd’hui, démunie de cette identité sociale. A qui doit-elle s’adresser ?

Les statistiques montrent qu’en France, comme dans d’autres pays européens, il est difficile de trouver une identité sociale à la gauche (travaux de Luis Ramiro). L’électorat de JLMélenchon c’est 25 % chez les cadres, 25 % professions intermédiaires, 25 % employés, 24 % ouvriers) ; il y a donc une hétérogénéité du recrutement social de la gauche.

Mais attention à l’effet d’optique statistique. ; il y a plus de complexité, si on fait une étude croisée des variables pour analyser les voies qui amènent à la gauche.


En 2012, la cartographie de l’électorat de gauche c’est : 

– JLM : 14 % de professions intermédiaires (surtout celles du public), 13 % ouvriers (ceux les plus proches d’un syndicat). Celles et ceux qui étaient dans l’opposition lors des mobilisations de 95, 13 % employés, 9 % de cadres. Il s’agit d’un électorat qui se considère très à gauche.

– Hollande : électorat plus tourné vers les cadres mais a réussi à atteindre les victimes de racisme structurel, de l’islamophobie. Cf rapport terranova.


En 2017 :

– JLM : mêmes groupes vont se remobiliser

– Hollande : son électorat va se fracturer entre JLM et Macron.

1er facteur qui amène l’électorat à migrer vers JLM : le racisme structurel – subi principalement par les musulmans- S’agit-il d’un vote communautaire/religieux ? Non, c’est un électorat qui se « construit » sur une expérience de discrimination et de violence de classe. Mais il n’y a pas de vote des mosquées, pas de lien religieux.

« Si Mélenchon est très fort dans les quartiers populaires périurbains, c’est qu’il a réalisé l’association d’une logique de lutte contre la discrimination et d’une logique de classe. Il est même devenu hégémonique chez les gens d’origine maghrébine et subsaharienne, comme en Guadeloupe, en Guyane ou en Martinique. … Mais attention, ce serait totalement réducteur de l’analyser comme un ‘vote communautaire’ »

Il y a donc eu un vote massif basé sur une expérience de discrimination raciste mais pas seulement, sur un vote de classe aussi : dans les victimes de racisme structurel, il y a des nuances (ceux qui soutiennent JLM mais aussi ceux qui ont une position sociale qui les amène à voter Macron en 2017). 

Etre issu·es des groupes populaires est un élément déterminant pour le vote JLM. Et on s’aperçoit que l’on sous-estime une politisation de ces groupes populaires : notamment les jeunes qui ont souvent un petit diplôme mais sont victimes de la précarité contractuelle ; cette précarité ne les éloigne pas de la politique ou du syndicalisme. L’électorat de JLM a des demandes sociales fortes. Les travaux de Paul Marx, spécialiste allemand de ces questions au niveau européen montre que ce n’est pas un phénomène spécifiquement français. La précarité n’éloigne pas des syndicats et du politique.

En 2022 , on observe une radicalisation, un approfondissement des comportements électoraux de 2017. La fraction du salariat supérieur qui avait soutenu Macron va soutenir davantage JLM. Idem pour les cadres du public et le salariat précaire.

La progression du vote pour l’extrême droite n’est pas la seule dynamique des comportements électoraux des catégories populaires et des précaires En effet, si l’extrême droite réalise des scores élevés, la « gauche radicale » rassemble une large part des suffrages populaires. Par rapport à 2012, l’élargissement du socle électoral de Jean-Luc Mélenchon est surtout passé par une forme de mobilisation de l’électorat populaire. Chez les ouvriers, le vote pour Jean-Luc Mélenchon passe de 18 % à 25 % des exprimés, et c’est
parmi les ouvriers du privé qu’il réalise un de ses meilleurs scores.

L’idée d’un vote unilatéral des catégories populaires en faveur de l’extrême droite, d’une « bascule » n’est pas judicieuse ; il s’agit plutôt d’ une double polarisation, autour d’un pôle d’extrême droite et d’un pôle de gauche radicale, qui absorbent une large part des votants ouvriers ou employés qui précédemment votaient -respectivement- pour la droite ou la gauche.

Les transferts électoraux entre « la gauche radicale » et « l’extrême droite » d’une élection à l’autre sont très faibles, invalidant l’hypothèse d’un vote protestataire sans ancrage idéologique des catégories populaires

Ce qui est notable , quand on analyse de près les différentes élections, c’est que l’électorat se constitue par petit déplacement. ( l’idée qu’il y a de grandes bascules de l’extrême droite à l’extrême gauche ou inversement n’est pas du tout vérifiée).

Parce que le lien politique se déplace lentement, l’enjeu est donc plus de réussir à convaincre ceux qui sont dans la zone de proximité.

Et la difficulté est de maintenir l’adhésion dans la durée de l’électorat. La question à se poser prioritairement c’est comment ceux et celles qui ont voté pour la gauche radicale peuvent continuer à le faire ?

L’abstention : Les ouvriers et les employés sont proportionnellement plus nombreux que les autres catégories socio-professionnelles (CSP) à s’abstenir, mais en réalité 16 % seulement des ouvriers et des employés se sont abstenus systématiquement lors du cycle électoral de 2017 (ils n’ont voté à aucun tour de scrutin des présidentielles et législatives)

Rapport électorat de gauche et syndicats : 

En 2017, Mélenchon obtient 51 % des suffrages de ceux qui s’identifient comme proches de la CGT, 53 % chez ceux qui se déclarent proches de SUD-Solidaires et 43 % chez ceux qui s’identifient comme proches de la FSU.

Une première composante du vote populaire pour « la gauche radicale » se trouve donc dans la partie du salariat ouvrier et employé qui reste organisée par des réseaux syndicaux et conserve sinon une conscience de classe, du moins une adhésion aux pratiques et représentations liées à l’action collective.


Le vote RN est souvent considéré comme un vote anomique (perte de repères, perte d’adhésion à, isolement). Il s’agit pour beaucoup de vote RN d’un vote isolé, de personnes isolées, sans intégration dans le collectif de travail.

Est-ce que le monde associatif et syndical donc est un rempart au vote RN ? Pas forcément.

L’ appartenance à la CGT/SUD protège davantage que les autres syndicats ( FO Unsa, CFDT).

Mais il faut se sortir de l’idée que le délitement du lien social est le fondement du vote RN.

Ceux qui adhèrent , votent FN/RN sont enserrés dans des liens idéologiques très forts. : Vote xénophobe mais aussi fort taux de méritocratie idéologique. Leur conscience de classe est détériorée et leur perception de celles et ceux qui sont comme eux est très détériorée également Ils ont une . perception des chômeurs, des bénéficiaires d’aides sociales très négatives.

Le vote FN /RN est aujourd’hui inversement corrélé avec les niveaux de richesse et de diplôme et reste marginal chez les Français de confession musulmane. Ce qui se dessine est un électorat populaire à dominante, masculine, jeune et peu diplômé.

Pas de bascule : Longwy, un cas d’école :

La population qui vit dans cette commune a profondément changé. Dans les anciens bastions historiques du mouvement ouvrier, les autochtones ne basculent pas trop ( Gauche vers ED) mais ce sont ceux qui arrivent et renouvellent la ville qui votent différemment ( RN par exemple).

Il y a une perte de l’histoire ouvrière qui s’opère et aboutit à une restructuration du champ politique. Les changements dans les fractions ouvrières sont beaucoup plus lents. La fraction ouvrière n’est plus dans la sidérurgie et il y a une perte de socialisation professionnelle. L’évolution des votes sur un territoire comme Longwy s’explique donc plus par un changement de population que par une bascule du vote ouvrier.


L’impact des identités professionnelles sur le vote de gauche est intéressant à observer., mais pas toujours évident. Il faudrait le faire par rapport au travail du care où les femmes sont sur-représentées notamment. En tout cas il semble qu’il faille croiser les liens avec la position sur le marché en terme de précarité plus que de professionnalité. Mais le travail reste un élément structurant dans le vote.

Mais contrairement à une idée reçues les populations frappées par la précarité, continuent de voter « à gauche


Il n’est pas évident d’analyser l’effet du genre sur le vote. Le Groupe féminin tertiaire est plus enclin à voter à gauche, tandis que le Groupe ouvrier masculin qui n’est plus connecté avec les syndicats, s’orientent plus vers l’ED.