Violences sexuelles sur mineur·es : « Je te crois, je te protège »

Deux à trois enfants par classe sont victimes d’inceste. Face à ces violences sexuelles exercées sur les mineur·es,

quel rôle tiennent la société et l’école qui les accueille toutes et tous ? Plus particulièrement, deux mois après la publication du rapport de la commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), comment mettre en œuvre des éléments de sa doctrine dans nos pratiques professionnelles ?

Les personnels de l’Éducation nationale occupent une place majeure dans la chaîne de détection des violences et le déclenchement de leur prise en charge. La formation initiale et continue (connaissance des violences, signalement et prise en charge) est un enjeu fondamental pour pallier la méconnaissance, voire parfois une minimisation des violences exercées à l’égard des enfants. Dans notre société, l’idée que l’enfant pourrait amplifier les faits, voire mentir, est encore très prégnante. Mais comme l’écrit la Ciivise : « Le déni est une stratégie collective absurde. Elle ne bénéficie qu’aux pédocriminels. Le préjudice pour les victimes est incommensurable. Le coût social est immense. »

Les risques qui pèseraient sur l’agresseur, la famille, ou ceux/celles qui dénoncent les faits, sont parfois priorisés, avant l’obligation de protection de l’enfant. Pour faire évoluer ces postures et instaurer un rapport de confiance propice à la libération de la parole, il faut comprendre la réalité des violences sexistes et sexuelles (VSS) et être capable de les nommer dans un vocabulaire approprié. Aucune tranche d’âge, ni aucun sexe n’est épargné. À partir de quels faits doit-on considérer qu’il s’agit de violences, qu’elles soient d’un·e adulte envers un·e enfant ou entre enfants ? En comprenant la spécificité des violences sexuelles, l’adulte devient celle ou celui en qui l’enfant peut avoir confiance car elle/il peut bénéficier d’une présomption de sincérité et de crédibilité.

Repérer et protéger

Parce que les violences sexuelles auxquelles sont exposé·es les enfants ont un énorme retentissement dans leur vie d’adulte, avec des risques accrus d’être victime de VSS, la Ciivise préconise un questionnement systématique de tous·tes les enfants pour permettre un repérage précoce. Il faut poser la question des violences à tous les enfants pour qu’un·e enfant victime puisse accorder sa confiance. Il faut dire à l’enfant qui révèle des violences « je te crois et je te protège » et agir en conséquence. La mise en sécurité de l’enfant doit être immédiate. En cas de doute, la protection de l’enfant doit être privilégiée. Pour cela, l’accompagnement et la formation des personnels sont nécessaires pour mener les entretiens mais aussi les procédures de signalement ou d’information préoccupante (préconisation 11 du rapport avec des outils créés par la Ciivise).

Prévenir et former les élèves

Si l’ensemble des personnels doit renvoyer une posture professionnelle qui inspire confiance, « Tu peux me parler, je te crois », elle doit être exprimée clairement. Pour nommer les violences auxquelles elles/ils peuvent être exposé·es, se rendre compte qu’elles/ils sont victimes de violences (en pointant la différence entre sexualité et violences), se sentir autorisé·es à parler, les enfants aussi ont besoin de comprendre et de pouvoir mettre des mots sur ce qu’iels vivent.

Face à l’enjeu de la visibilisation des violences subies par les enfants, de leur prise en compte et de leur accompagnement, nous devons mener la lutte pour une véritable formation de tous les personnels afin que l’éducation à la sexualité devienne effective à tous les niveaux de la scolarité. Pour la Ciivise, « Le basculement d’une posture de déni et du consentement meurtrier passif à la protection réelle des enfants et à la lutte contre l’impunité des agresseurs serait un fait historique. Ce basculement résultera d’une politique publique, sans qu’il soit nécessaire d’attendre une prise de conscience par les individus car elle a déjà eu lieu. » ■

Par Sophie Abraham, Amandine Cormier, Ingrid Darroman, Céline Sierra

Réalités statistiques des violences sexuelles sur les mineur·es :

160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles, 80 % sont des filles**

1 fille sur 5 et 1 garçon sur 13 subissent des violences sexuelles**

55 % des victimes de violences sexuelles connues des forces de sécurité sont mineures

Les enfants en situation de handicap ont un risque près de 3 fois plus élevé d’être victimes de violences sexuelles*

Plus de 95 % des auteurs de violences sexuelles sont des hommes*

Dans 9 cas sur 10, ces hommes sont des proches de la victime*

Moins de 7 % des plaintes pour violences sexuelles sur mineur·es aboutissent à une condamnation

de l’auteur, en cas de viol ce chiffre est réduit à 3 %*

25 à 30 % des violences sexuelles sont commises par des mineurs**

Sources :

* Violences sexuelles faites aux enfants – Repérer et signaler – Livret de formation des professionnels – Ciivise – 12 juin 2023.

** 2023 – Campagne Stop à la mise en danger des victimes – site internet Mémoire traumatique et victimologie.

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