Chantiers titanesques pour avenir en cul-de-sac

Les grands projets incarnent ce qu’il ne faudrait plus faire, au moment où l’impact de l’espèce humaine sur la planète est irréversible, marqué par la révolution industrielle et l’extension du capitalisme comme régime de production. La prise de conscience de l’urgence climatique est majoritaire dans la société. Ces projets relèvent donc d’une idéologie libérale, consumériste, à l’opposé des prescriptions scientifiques invitant à repenser la société.

Les grands projets ne répondent pas à des besoins collectifs réels, bien qu’ils le prétendent, et leurs effets délétères sont tus ou amoindris, parce que leur efficacité est contestable ou qu’ils se font parallèlement à des infrastructures existantes mal exploitées. Ils reflètent une « démesure » qui ignore la sobriété avec laquelle nous devons gérer nos ressources très limitées. Ces projets sont parfois pharaoniques, comme la piscine olympique d’Aubervilliers pour les JO de 2024, qui menace des jardins ouvriers et dont l’utilité sociale est très faible.

Ces projets ne bénéficient qu’aux grandes entreprises qui en décrochent les chantiers. Les accointances politiques et économiques sont fréquentes. Le média Reporterre a par exemple dénoncé le groupe pharmaceutique Pierre-Fabre comme principal bénéficiaire du projet de l’A69 (projet d’autoroute reliant Toulouse à Castres).

Des enjeux vitaux sans réels débats démocratiques

Ces projets se décident dans l’opacité, alors même que ces choix engagent toute la société à long terme. Ils mobilisent parfois beaucoup d’argent public, entrent en concurrence avec des alternatives plus viables et mettent en danger notre capacité à financer et mettre en œuvre une vraie planification limitant le réchauffement climatique ou ses impacts.

Se faisant au bénéfice de quelques-un·es, ils accentuent les fractures sociales. Ainsi, les bassines agricoles, qui détournent l’eau des nappes phréatiques au service de quelques irrigants laissent la majorité des paysan·nes démuni·es face aux sécheresses à répétition.

Ces projets éludent des questions, comme la priorisation de la sécurité sur la rentabilité : la fusion entre l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dans le domaine du nucléaire, par exemple, minimise l’expertise scientifique, sous prétexte d’économie de moyens. Ce secteur porte pourtant un des projets les plus dangereux pour les générations futures : le stockage et l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure (Moselle).

Ces réalisations feignent d’ignorer la tension sur nos biens communs, les sols, l’eau, l’énergie. À ce titre, les projets de nouvelles autoroutes font disparaître des portions de terres naturelles ou arables, alors même qu’une transition agroécologique urgente demande plus de surfaces et nécessite de préserver la biodiversité et les puits de carbone naturels. Ils s’affranchissent de toute réflexion sur notre sécurité alimentaire et notre santé. La surface des sols artificialisés continue d’augmenter de 1,5 % par an en France, qui détient le record du réseau autoroutier le plus dense d’Europe.

Face au « je-m’en-foutisme » libéral, la résistance citoyenne

Alors que ce gouvernement a été condamné pour inaction climatique, ces projets soulèvent l’indignation. Une résistance s’organise au cri de : « qui sème du béton aura la dalle ». Elle fait face à une répression dont la violence est proportionnelle à la catastrophe écologique dans laquelle ils nous précipitent. Ce sont désormais des armes de guerre auxquelles les manifestant·es sont confronté·es, comme lors de la manifestation du 25 mars 2023 à Sainte-Soline. La criminalisation des manifestant·es, assimilé·es à des terroristes, les désigne comme des ennemis intérieurs alors qu’iels ne défendent que les communs et la nature. ■

Par Clément Lefevre et Aurélie Mouchet

Deux questions à Sophie O., militante de NON à l’A133-134, association normande de lutte contre la liaison autoroutière A28-A13

Qu’est-ce que La déroute des routes ?

C’est une coalition nationale contre les grands projets routiers qui, depuis janvier 2022, rassemble près de 60 collectifs et associations en lutte contre ces chantiers inutiles et destructeurs. En 2023, elle a mis en mouvement 30 000 personnes sur tout le territoire. Elle permet de partager des analyses et des formes de lutte ancrées dans des expériences locales. Notre collectif Non à l’A133-134, qui réunit une cinquantaine de structures (partis, syndicats, associations) en Seine-Maritime et dans l’Eure, en est membre.

Ce projet de liaison autoroutière date de 1972. C’est dire toute sa pertinence au regard des enjeux sociaux, écologiques et économiques actuels ! Depuis quelques années, la lutte a repris vigueur et, en janvier 2022, une cinquantaine de structures réunies à Rouen a créé le collectif.

Les associations membres ont organisé des rassemblements, des marches devant les conseils régional et départemental, ont tenu des stands lors d’événements locaux, ont organisé de nombreuses réunions publiques d’information dans les villes touchées, car la population n’a jamais été correctement informée. Ainsi, nous avons pu montrer la supercherie qui se cachait derrière l’appellation « contournement est de Rouen », présenté comme simple rocade gratuite : ce ne sont que des autoroutes payantes reliant le nord de l’Europe au sud, pour le fret, et surtout contournant Paris pour délester l’A1 surchargée.

Ces autoroutes symbolisent tout ce qui n’est plus possible : augmentation des trafics routiers, destruction de 516 hectares de terres agricoles et espaces naturels, menace sur la ressource en eau, 50 000 tonnes de CO2 en plus par an, un coût de revient cinq fois plus important que la moyenne, un péage dont le prix sera décidé par le concessionnaire seul.

Le festival Des bâtons dans les routes, à Léry dans l’Eure, fut le point fort de la lutte. Du 6 au 8 mai 2023, plus de 4 000 personnes (locales pour la plupart mais aussi venues par solidarité nationale ou internationale) y ont affirmé leur opposition au projet, solidaires et convaincu·es de la nécessité de voir le projet annulé.

Des sorties organisées par les Naturalistes de la Terre – pose de nichoirs, creusement de mares pour l’installation de salamandres, plantage de clous dans des arbres empêchant leur abattage – ont montré que la forêt est un écosystème complexe indispensable, qui se défend et peut reprendre la place occupée par le bitume. L’A13 a été bloquée et occupée pendant 20 minutes, avec dépôt de branchages morts en travers de l’autoroute. Les automobilistes ont bien réagi, certain·es allant jusqu’à sortir le poing en repartant.

Quelles stratégies de lutte sont réfléchies pour la suite face à ce projet d’un autre âge ?

En attendant la décision du gouvernement, nous multiplions les apparitions publiques, pour informer de la vraie nature du projet et pour montrer que l’opposition grandit. Un sondage, commandé par Rouen Métropole, montre que 56 % des interrogé·es sont désormais contre. Si le projet était maintenu, malgré les oppositions importantes, les contradictions multiples et les nombreuses nuisances induites, nous réfléchirions à quelle tournure, quelle forme donner à la lutte : nous continuerions à combattre ce projet inutile, imposé et climaticide, malgré la répression qui menace les militant.es. ■

Propos recueillis par Clément Lefevre et Aurélie Mouchet

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