Une lutte pour le partage des richesses

  • Article du dossier retraite de la Revue de l’école émancipée (novembre-décembre 2022)
  • Par Émilie Moreau et Arnaud Malaisé

Moins de trois ans après la dernière grande bataille sociale du premier quinquennat Macron, le dossier des retraites est de nouveau sur la table avec la volonté de lui appliquer encore et toujours le dogme libéral d’une baisse de la part des richesses consacrées à leur financement. Et cette fois-ci de façon beaucoup plus brutale qu’en 2019 où la refonte globale du système était censée l’améliorer et le simplifier, mais qui revenait à diminuer mécaniquement les pensions via la valeur du point, notamment pour les agent·es de la fonction publique.

Tailler dans les dépenses

Plusieurs raisons sont avancées pour justifier cette réforme paramétrique de recul de l’âge de départ. Tout d’abord l’antienne classique et mensongère autour de déficits à venir, sur laquelle l’économiste Michaël Zemmour est catégorique, « le système n’est pas du tout en danger financier » (lire l’entretien avec lui qui revient notamment sur le récent rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) pages 20 et 21). Un argument totalement novateur est également avancé, la recherche d’une économie sur les dépenses de retraites pour financer des besoins sociaux nouveaux. Tout cela alors qu’une politique fiscale injuste au service des plus riches est poursuivie avec obstination depuis plus de cinq ans, que le pouvoir refuse toute taxation des superprofits réalisés par de nombreux grands groupes et que les aides aux entreprises atteignent des records. D’un côté, un total des aides, subventions et autres niches fiscales reçues par les entreprises atteignant 8,4 % du PIB (1), plus de 200 milliards d’euros, pour une « efficacité » quasi nulle sur l’emploi et une incitation à contracter les salaires ; de l’autre, des dépenses pour financer les pensions se montant à 13,8 % du même PIB et qui devraient même diminuer les prochaines années, alors que le nombre de retraité·es va lui augmenter… La répartition des richesses entre la part revenant au capital et celle revenant au travail est bien l’enjeu central de la bataille sociale à venir.

Des inégalités déjà criantes

Après plus de trente années de dégradations (un rapide retour sur les réformes successives depuis 1987 est à lire page 17) qui ont baissé le niveau des pensions, le système actuel de retraite accumule également de nombreuses inégalités que le recul de l’âge, loin de résoudre, au mieux maintiendrait, voire aggraverait. C’est notamment le cas de la situation des femmes qui perçoivent des pensions largement inférieures à celles des hommes, 32 % en moyenne, le poids des inégalités subies durant la vie active se poursuivant, voire s’amplifiant lors du passage à la retraite (plusieurs éléments expliquent cet écart, à lire page 19). C’est également le poids de la décote qui monte en puissance au fur et à mesure de l’allongement de la durée de cotisation et qui ampute déjà fortement les pensions.

Le décalage de l’ensemble des bornes d’âge, celle pour prendre sa retraite et celle pour bénéficier d’une pension sans décote même si les trimestres de cotisations requis ne sont pas atteints, aurait de lourdes conséquences pour les futur·es retraité·es (à lire en détail page 19).

Une autre retraite est possible

Ces choix de dégradation des pensions faits par les gouvernements successifs depuis plus de trente ans ne sont pas inéluctables et sont bel et bien des choix politiques qui correspondent à une vision de la société. Bâtir une tout autre société en affectant une part plus importante des richesses au financement des retraites n’est pas une utopie de syndicalistes rêveurs et rêveuses. C’est tout à fait réaliste et de façon assez simple notamment par le biais d’un accroissement des cotisations. Et pour Michaël Zemmour, « l’augmentation progressive de leur taux, employeur et salarié, n’aurait pas pour effet une baisse des salaires mais permettrait de répartir les gains de productivité entre actif·ves et retraité·es ».

Un mouvement social à construire

Dans les prochaines semaines, le syndicalisme devra construire un large mouvement social pour mettre en échec le projet de réforme. Pour cela, il pourra s’appuyer sur différents éléments : tout d‘abord, un rejet unanime de l’ensemble des organisations syndicales de toute réforme paramétrique via un recul de l’âge de départ, comme par un allongement de la durée de cotisation. Cependant, cette unanimité préalable ne prémunit pas l’intersyndicale contre des nuances d’analyse et surtout des tentations de division et de cassure auxquelles le gouvernement ne manquera pas d’œuvrer tout au long des échanges. Par sa place particulière dans le paysage syndical, la FSU pourra jouer un rôle important pour maintenir l’unité qui n’est pas formellement indispensable, mais plus que facilitante pour gagner.

Ce rejet syndical se double d’un autre au sein de la population qui refuse massivement tout recul d’âge. Un rejet quasi unanime, hormis pour celles et ceux qui sont déjà retraité·es… Il s’agira pour le syndicalisme de nourrir ce rejet en permettant de l’argumenter à partir d’éléments concrets et objectifs sur l’état actuel du système de retraites comme sur les perspectives ambitieuses et réalistes qui permettraient de prendre enfin à bras-le-corps les inégalités actuelles afin de tendre vers une retraite de haut niveau pour toutes et tous.

Maintenir sans faille une unité syndicale, construire une mobilisation au long cours permettant d’alterner des temps forts en semaine pour les salarié·es comme en soirée et durant les week-ends pour l’ensemble de la population, articuler des initiatives construites par les organisations syndicales avec d’autres, portées également par les associations et les forces politiques de gauche disponibles pour cela… Notre syndicalisme va devoir relever cette somme importante de défis, mais cela est à notre portée. ●



(1)étude de l’Ires : http://www.ires.fr/index.php/etudes-recherches-ouvrages/etudes-des-organisations-syndicales/item/6572-un-capitalisme-sous-perfusion-mesure-theories-et-effets-macroeconomiques-des-aides-publiques-aux-entreprises-francaises