Les élections professionnelles ont rendu leur verdict. Il faut en examiner le bilan au vu des 3 enjeux que nous avions mis en avant : la participation des salarié-es, les influences respectives du syndicalisme de transformation sociale et du syndicalisme d’accompagnement, la place de la FSU dans le champ des fonctions publiques.
Avec un taux moyen de participation de 52,8 %, ce sont seulement 2,7 millions des agents concernés qui ont voté. 47 % ont donc boudé ce scrutin présenté partout comme « très important ». Visiblement pas pour tout le monde, notamment les salarié-es concerné-es… La participation est en recul de 2 points par rapport aux dernières élections de 2011. Et il faut prendre aussi en compte les 134 000 « blancs et nuls » (4,8 % des votants…).
C’est dans la territoriale que le recul par rapport à 2011 est le plus accentué (-4,1 pt), certainement en rapport avec les incertitudes pesant sur l’avenir des collectivités territoriales, la définition de leurs périmètres et compétences, dans un champs d’instances représentatives très nombreuses et éclatées. C’est toutefois dans la FPH que le taux est le plus bas (50 %).
Dans la FPE, il y a de grandes inégalités. Si on prend les CT ministériels, on passe des 34,5 % du MESR aux 82 % des Finances, avec toutefois les 41,7 % du MEN (et 44 % des effectifs de la FPE…). Si on « enlève » les ministères MEN et MESR, on a une moyenne générale de 71, 4 %. Ajoutons qu’à La Poste (vote informatisé aussi) et à Orange, où la FSU est absente, les taux sont proches de 80 %.
D’une manière générale et globale, on note donc une distanciation d’une bonne partie des salarié-es d’avec la « chose syndicale », que soit dans la représentativité institutionnelle ou l’orientation « politique », à l’image de ce qui existe dans la sphère du politique où la crise de représentation est à son summum. Le contexte social et politique pèse et renforce des tendances de fond : poursuite de la crise économique, accentuation des politiques libérales, promesses non tenues par Hollande, rupture majeure avec « la gauche », développement de l’extrême-droite, crise sans précédent du mouvement ouvrier organisé, absence de réponses alternatives nécessaires de la part des forces du mouvement social, absence de victoires significatives pour notre camp social depuis maintenant 10 ans… Tout cela contribue largement à faire douter de l’efficacité du syndicalisme, à la fois au plan individuel et sur le terrain du métier.
Cette distanciation est sans doute corrélée au cadre des collectifs de travail et à l’ambiance en leur sein. Plus on va vers le « petit », plus est difficile le sentiment collectif, dont le syndicalisme est encore une expression. C’est certainement ce qui explique en partie les différences d’implication des salarié-es, d’un service à l’autre, combiné aussi à la présence active d’équipes syndicales.
A l’échelle des 3 fonctions publiques, les variations de résultats pour les principales organisations sont significatives (2011-2014) : CGT de 25,4 à 23,1 ; CFDT de 19,1 à 19,3 ; FO de 18,1 à 18,6 ; UNSA de 9,3 à 10,4 ; FSU de 8,2 à 7,9 ; Solidaires de 6,6 à 6,8 ; CFTC de 4 à 3,3 ; CGC stable à 2,9…. Ce qui donne en sièges au Conseil commun de la FP : CGT 8, CFDT 6, FO 6, UNSA 3, FSU 2, Solidaires 2 et CFTC, CGC, FA-FP 1.
Pour ce que l’on a l’habitude de ranger dans le « syndicalisme de transformation sociale » et qui travaille souvent ensemble, on a une baisse nette de la CGT (-2,3 pts), une petite baisse de la FSU (-0,3 pt) et une petite hausse de Solidaires (bien qu’en baisse dans la FPH) de +0,2 pt.
Pour FO, difficile à « classer » tellement son spectre de positions et d’équipes syndicales est large, mais avec un discours « anti austérité » dans la dernière période, confirmation d’une montée (visible dans les 3 FP) de 0,5 pt.
Pour le syndicalisme ouvertement accompagnateur des politiques gouvernementales et patronales, on a par contre une montée de +0,2 pt pour la CFDT et surtout de +1,1 pt pour l’UNSA.
Même si on agrège FO à CGT/FSU/Solidaires, on a une perte de -1,9 pt face à la montée de +1,3 pt de CFDT/UNSA. C’est une confirmation de ce que l’on constate depuis maintenant plusieurs mois dans d’autres élections professionnelles, même si ce « bloc » (avec CFTC et CGC en plus) ne fait que 35,9 % et est donc loin des 50 % nécessaires à la validation d’un accord FP…
On retrouve cette tendance aux niveaux plus particuliers de chacune des FP (FPE -2,2 pts pour CGT/FSU/Solidaires ; FPT -2,6 pts ; FPH -2,3 pts).
La FPT est celle où la CGT baisse le plus (-3,5 pts) alors qu’elle était en situation dominante, avec, en contre point, une progression forte de l’UNSA (+1,9) et de la ….FGAF (+1,1). FO progresse de +0,3 pt (17 %) et Solidaires de +0,7 pt (mais seulement 3,6 %). La FSU progresse légèrement aussi (+0,2 pt).
Dans la FPE, même tendance à la baisse prononcée pour la CGT (-2,4 pt et perte de 18,2 % de son électorat de 2011) qui se retrouve maintenant « 5ème ». La FSU recule légèrement de -0,2 pt (-5 %) en « masquant » son gros recul dans ses bastions MEN et MESR. Solidaires progresse de +0,4 pt avec une grosse percée aux Finances (+6,8 pts). CFDT et UNSA jouent à « sommes nulles » (baisse de la CFDT mais progression de l’UNSA, la seule à gagner des voix) et FO grignote encore +0,5 pt malgré un gros recul à l’Intérieur de 10,3 pts, confortant sa première place devant la FSU (17 %, 15,6 %).
Dans un contexte déjà évoqué et peu favorable aux idées et projets alternatifs émancipateurs, le syndicalisme de transformation sociale est en difficulté. Il n’a pas réussi à montrer aux salarié-es son efficacité à s’opposer aux attaques libérales de droite ou de « gauche », accentuant le repli des idées d’égalité, de justice sociale, de conscience et action collectives. Plus grosse organisation, la CGT est celle qui en paye le plus le prix, doublé d’un effet conjoncturel lié à sa crise de direction qui a des effets dévastateurs.
Ne voyant venir rien de crédible du côté de la transformation sociale, une partie des salarié-es se rabat alors sur le tout petit peu que cherche à promouvoir les adeptes de l’accompagnement social, dans une illusion « réaliste ». Cela pour celles et ceux qui accordent encore du crédit au syndicalisme. Les autres se réfugient dans l’abstention et cèdent aux sirènes du populisme et de l’extrême droite sur le terrain politique …
Pour autant, on est très loin de la stabilisation et la structuration d’un pôle unifié du syndicalisme d’accompagnement qui serait un outil formidable pour le pouvoir actuel afin de mettre en musique chez les salarié-es ses politiques libérales.
La « spécificité » du syndicalisme français avec une place encore prépondérante du « syndicalisme de lutte » demeure, mais un « syndicalisme de lutte » affaibli et divisé qui devrait être amené à se poser dans un même mouvement la question de son unité et de sa crédibilité auprès des salarié-es…
Et la FSU dans tout cela ?
L’enjeu pour elle était double : reconquérir sa première place dans la FPE enfermant la parenthèse 2011 (responsabilité de l’abstention…) et entrer au Conseil supérieur de la FPT afin d’y obtenir une représentativité nationale…Elle échoue sur ces 2 questions.
Pour la FPT, elle totalise 3,3 % des voix, avec un gain de 3600 voix (+0,2 pt), ce qui est insuffisant pour entrer au CSFPT. Et ce malgré un doublement des listes déposées, une première place dans 7 conseils généraux, 2 conseils régionaux ainsi que dans plus de quarante collectivités et intercos…Cela traduit une trop grande diversité de l’implantation FSU qu’une aide « fédérale » supplémentaire mais insuffisante encore et qu’une collaboration fragile des 2 principaux syndicats nationaux concernés (SNUCLIAS et SNUACTE) n’auront pas permis de combler. L’enjeu reste donc un renforcement de la FSU dans la territoriale passant par une fusion de ses 2 syndicats et un suivi plus grand des instances fédérales à tous les niveaux.
Dans la FPE, elle ne recule que de 0,2 pt alors qu’elle enregistre un recul historique de 5,1 pts au MEN et de 6,3 pts au MESR. Elle recule aussi à l’Agriculture (1ère avec 23,5 %), au MEDDTL (5,2), aux Finances (2,3), à la Justice (6,5), à Jeunesse et Sports (3,3), au Travail 10,1). Elle progresse aux Affaires étrangères, à la Culture, à la Défense. Il faut ajouter à cela sa progression à la CDC (10,3 %) et la prise en compte de ses voix à Pôle emploi (1ère avec 33,8 %). En lien avec la chute de la CGT, elle stabilise sa seconde place, lui permettant de peser dans les rapports syndicaux.
Pour la seconde fois, la FSU recule au MEN, son « bastion », où elle réalise 79 % de ses voix de la FPE. Après son recul déjà significatif de 2011 (-2 pts), elle perd cette fois 5,1 pts avec 35,5 %. Certes, elle est de loin encore première mais son rapport avec « son second » (UNSA à 21,9 %, +1,2 pt) est passé de 1,96 à 1,62 et celui-ci progresse de 17 % en voix. FO (13,6 %) progresse beaucoup : +3,5 pts et + 49 % ! Mais ce sont « les droites » (SNALC/FAEN/CFTC) qui gagnent le plus de voix (+75 %), totalisant 7,5 % (+2,8 pts). SUD (5,2 %) et la CGT reculent (5,5 %), comme le SGEN CFDT qui poursuit son érosion (8,9 %, -1,1 pt).
Les scores en CAPN des 2 gros SN de la FSU répercutent cette tendance : -6,4 pts pour le SNES chez les certifiés et -3,8 pts chez les PE pour le SNUipp.
Il s’agit donc bien d’un très gros recul dans le cœur de l’électorat enseignant de la fédération. Au vu du détail des différents résultats (CTM, CAPN), les raisons sont à rechercher dans plusieurs directions. Tout d’abord, comme souligné plus haut, dans le contexte général qui marque la situation sociale et politique. Le message FSU d’une transformation « progressiste » de l’ école, attachée à la réussite de tous les enfants, passe plus difficilement au moment où des politiques libérales sont mises en œuvre sans que le syndicalisme de transformation sociale soit capable d’y mettre un « holà », à l’école comme ailleurs. La poussée du SNALC est révélatrice. D’autant que dans leurs pratiques, les SN de la FSU, confrontés à un contexte budgétaire « fermé » et à une politique gouvernementale peut engageante pour les personnels, ont paru ne pas vraiment s’opposer à certaines régressions vécues par ceux-ci (rythmes et décret de 1950 par exemple). Un brouillage dans lequel s’est engouffré FO qui, à partir de son fond « défense du statu quo », a su capter une part de l’insatisfaction des collègues qui ont renoncé à changer l’école (et le reste…). Avec une trop faible critique des politiques gouvernementales portée par la FSU et ses SN, le discours de FO est apparu comme porteur d’une forme d’opposition, même imparfaite. La présence sur le terrain, plus faible que par le passé, indice aussi d’une distanciation d’avec les personnels et dangereuse pour un syndicalisme jusque là largement majoritaire, a certainement un rapport avec l’affaiblissement électoral des gros SN FSU. D’autant que, même s’il y a eu une nette amélioration par rapport à 2011, le lien SN FSU et FSU n’est toujours pas assez évident pour les personnels (voir le différentiel dans les totalisations FSU sur CTM et CAPN…).
Beaucoup de choses à creuser donc dans les 4 années qui viennent…en lien avec la menée d’une réflexion sur la façon d’avancer dans l »unité du syndicalisme de transformation sociale.