Plus de 60 participant-es au stage sur la pédagogie organisé par
l’Ecole Emancipée Créteil, le 18 novembre dernier : force est de cons-
tater que cela répondait à une demande forte, et même à une nécessité dans une période où la pédagogie est malmenée. Malmenée à droite, on l’a vu dans le contexte toujours plus réactionnaire de la primaire des « républicains », mais aussi malmenée à gauche, au sortir d’une bataille contre la réforme du collège qui a largement contribué à brouiller les lignes entre progressistes et conservateurs. Il était donc temps de se réapproprier cette question essentielle.
Pédagogie : lignes de hautes tensions
La matinée du stage était consacrée à l’intervention de notre camarade Laurence de Cock, historienne, docteur en sciences de l’éducation et co-auteure avec Grégory Chambat d’une tribune dans Le Monde intitulée « La nostalgie d’une école de la ségrégation sociale ». Le fil rouge de son intervention était de nous inviter à penser que nous avons le devoir de continuer à nous prétendre pédagogues, mais pas à n’importe quelles conditions.
Tout d’abord, en nous méfiant des faux-amis, de tous bords et plus ou moins bienveillants. Au-delà des discours ultra anti-pédagogique et ultra pro-pédagogique, il faut chercher une troisième voie où la pédagogie est pensée comme un engagement politique.
Cela suppose d’exposer les tensions inhérentes à cette question. Tensions dont l’Histoire nous permet de mieux comprendre l’origine. En partant de Rousseau et Pestalozzi, en passant par Ferrer, par l’aventure de Freinet au sein de la ligue internationale pour l’éducation nouvelle, pour finir par la récupération utilitariste de la pédagogie dans les années 80, on voit les tensions entre psychologie et sociologie, entre accomplissement individuel et émancipation.
Cela doit nous amener à penser une pédagogie critique, par exemple en allant s’inspirer du pédagogue brésilien Paulo Freire et sa « pédagogie des opprimés ». Concevoir une pratique qui vise à l’émancipation par l’élucida- tion des rapports de domination, au travers de « savoirs générateurs » qui ont pour objectif non pas de faire passer quelques opprimés dans les camps des oppresseurs, mais de développer une conscience claire et objective capable d’annuler tout le camp de l’oppression. « Les hommes s’éduquent entre eux par l’intermédiaire du monde » selon la belle for- mule de Freire, mais en ajoutant que cet intermédiaire du monde est celui des luttes sociales.
Le débat qui a suivi nous a permis de confirmer que ces questions sont au cœur de la réflexion de chacune et chacun d’entre nous, et qu’il y a une certaine nécessité à rendre visible les contradictions, les conflictualités, voire à assumer une forme de désobéissance. Et redonner une légitimité à nos pratiques les plus routinières en ce qu’elles ont une portée politique.
Ateliers-débats
C’est donc pour répondre à cette invitation que l’après-midi était conçue autour d’une réflexion axée sur les pratiques pédagogiques concrètes.
Pour cette deuxième partie de la journée, nous avions fait le choix, assumé et en cohérence avec les convictions que porte notre tendance, de faire confiance à notre intelligence collective et donc de nous répartir en ateliers pour partager nos idées sur les thèmes définis à l’avance : évaluation (évaluer sans noter ?), coopération entre élèves (entraide, îlots…) ou encore conseils d’élèves. C’était assurément un pari et il aurait sans doute été plus confortable de faire venir un-e expert-e pour prêcher la bonne parole sur l’un ou l’autre de ces thèmes, mais au vu de la qualité des échanges dans chacun des ateliers, saluée par tou-tes les participant-es on peut dire que le pari a été réussi.
**Coopération
Avec une quinzaine de col- lègues d’horizons et de par- cours très divers, nous avons opté pour un tour de table pour que chacun-e puisse dévelop- per ses idées, son expérience et ses questionnements sur les pratiques coopératives au sein de ses classes.
Nous avons beaucoup parlé de la pratique des îlots, largement mise en avant par l’institution et notamment les ESPE, et qui pose de nombreuses questions. Nous avons partagé le constat que si cette pratique permet effectivement de casser le rapport individuel élève-prof et d’introduire une forme de coopération entre élèves au sein de chaque groupe, elle n’a pas le caractère miraculeux que certain-es lui prêtent parfois : en particulier, il y a un risque de reproduire les rapports de domination sociales et sexistes, et de ne pas plus raccrocher les élèves qui restent passifs.
Mais nous avons évoqué égale- ment d’autres formes de pratiques coopératives, moins popularisées et peut-être moins visibles : binômes, entraide entre les élèves (qui rappelle un peu le modèle de l’école mutuelle). Nous avons conclu qu’il était important, à chaque fois, au-delà de la simple dimension d’efficacité, de s’interroger sur ce que peut avoir de politique le choix de telle ou telle organisation de la classe. Il peut par exemple s’agir de « rendre » un peu du pouvoir monopolisé par le prof, aux élèves.
Enfin, en s’interrogeant sur les pratiques coopératives entre élèves, nous en sommes venus à interroger le modèle du travail enseignant, trop souvent indivi- duel, faute de moyens pour pouvoir échanger, s’observer en classe, faire cours en- semble, etc. Mais cela aurait pu faire l’objet d’un autre atelier…
**Conseils d’élèves
L’atelier, animé par une col- lègue qui pratique les conseils d’élèves depuis quelques an- nées, a permis à chacun-es de définir collectivement les conseils d’élèves, partant des pra- tiques et rejoignant les expériences menées depuis plu- sieurs années au cœur de la pédagogie institutionnelle notamment.
Les questions furent nombreuses : quelles lois réglementent le conseil ? Quel est le rôle du/de la prof ? Que faire quand le conseil ne fonctionne pas ? Comment résoudre les questionnements des élèves qui surgissent pendant le conseil ?
En essayant de déjouer les limites liées aux conseils, la quinzaine de participant-e-s a pu repartir avec une forte envie de tenter, d’expérimenter pour les élèves mais aussi pour soi.
**Evaluation
L’atelier « évaluation » avait choisi de mettre à profit l’après- midi pour un moment d’échange collectif autour d’un intitulé précis : comment évaluer pour, par et avec les élèves ? Après un moment de réflexion, les interventions des un.e.s et des autres ont très vite montré la nécessité de poser une définition de ce que l’on entendait par « évaluer » ou « évaluation ».
participant.e.s au groupe ont donc décliné puis enrichi à partir parfois de leurs pratiques personnelles les modalités, les finalités, les moments, les objets, les personnes, les lieux susceptibles de prendre part à ce processus qui, de par ses instrumentalisations et connotations, suscite beaucoup de questions dans nos métiers. A l’issue de cette réflexion nous nous sommes aperçu.e.s que notre travail avait opéré une déconstruction fouillée d’un terme auquel nous avions peut-être précocement assigné le statut d’un allant de soi et qui s’est révélé d’une complexité inattendue. Le détour opéré ne fut en rien une perte de temps ou une impasse par rapport à l’objectif initial, mais bien davantage un tremplin vers d’autres réflexions sur le sujet.