Que peut la littérature face à la tragédie ? Elle peut nous faire franchir les frontières, nous transporter dans les cœurs, les peurs et les espoirs des êtres humains. Elle peut donner à voir la complexité. Elle peut enrichir notre lien avec le monde. C’est peu ? C’est mieux que rien. Trois romans qui parlent chacun dans leur registre des rapports entre l’État d’Israël et les Palestinien·nes.
Sahar Khalifa est une autrice palestinienne née en 1941 à Naplouse. Après des études aux États-Unis, elle retourne en Cisjordanie en 1988 où elle fonde le Centre d’étude féminine de Naplouse, relayé par deux autres à Gaza et Amman. L’action de son roman L’impasse de Bab Essaha, publié en 1990, se situe pendant la première Intifada (1987-1993). Si Sahar Khalifa nous fait ressentir l’impasse tragique de la situation, elle met aussi en avant l’inextinguible révolte du peuple palestinien face aux violences qui l’accablent. Mais le sujet du livre est surtout la place des femmes dans la société palestinienne dont elles sont le véritable socle. Soutiens indéfectibles, porteuses d’un fatalisme qui est autant une force qu’une chape, c’est dans le confinement du couvre-feu qu’elles livrent leurs aspirations, leurs rapports aux hommes, à la religion, à la révolution. Un roman sur la dure condition des femmes palestiniennes.
Fils d’un député de la gauche israélienne, Yishaï Sarid, dans Le poète de Gaza, paru en 2013, nous parle d’un aveuglement. Celui d’un agent de la sécurité israélienne dévoué à la lutte contre la vague d’attentats suicides. Au point d’y perdre son âme.
S’il croit connaître celles et ceux qu’il combat, il ne les perçoit que comme bardé·es de ceintures d’explosifs. C’est une mission d’infiltration qui va l’amener à faire la connaissance d’Hani, vieil intellectuel palestinien, atteint d’un cancer en phase terminale. Pour cela il a besoin de l’intercession de Dafna, une romancière israélienne de gauche, pacifiste. Ces deux rencontres auront des conséquences.
à travers son personnage, Yishaï Sarid nous parle de la société coloniale israélienne, de sa violence, à l’encontre des Palestinien·nes et de ses représentations. Mais il nous parle aussi d’espoir.
« Et pourtant, on n’est pas loin. Hani trempa les lèvres dans son verre. La même mer. Le même soleil. C’est juste qu’il y a plein de barrages au milieu.
Un jour, toutes ces barrières tomberont et on vivra ensemble, assura Dafna dont les yeux étaient repeints en turquoise par le paysage et le vin.
Ces temps-là ne viendront qu’après nous, ma chérie, murmura Hani dans un petit rire. Il posa délicatement sa main desséchée sur le bras de Dafna.
Aujourd’hui, ce sont les fous qui sont aux commandes et eux se fichent de la mer. Ils réclament des montagnes. »
Mais aux côtés des fous se tiennent les sages. Rami Elhanan l’Israélien et Bassam Aradim le Palestinien. Deux pères. Deux souffrances. Tous les deux ont perdu une fille. L’une tuée d’une balle alors qu’elle achetait des bonbons, l’autre victime d’un attentat suicide. Cela aurait pu les jeter dans le cycle infernal de la haine. Ils en feront une volonté commune pour proclamer que se venger des assassins « consiste à faire la paix ». « Nous ne parlons pas de paix, nous la faisons. »
Un message que l’irlandais Colum MacCann met en lumière dans Apeirogon, qui signifie un être sans limite en grec, et représente une figure géométrique au nombre infini de côtés.
La figure géométrique qui donne le titre au magnifique roman de Colum MacCann et lui donne aussi sa structure fragmentée, la multiplicité de ses registres allant de fragments documentaires, poétiques, où la beauté et l’horreur cohabitent sous les nuées changeantes des oiseaux migrateurs. Deux voix qui ne renoncent pas à la fraternité et qui font un bien fou. ■
Jean Philippe Gadier
La carte d’identité
Inscris
je suis arabe
Tu m’as spolié des vignes
de mes ancêtres
et de la terre que je cultivais
avec tous mes enfants
et tu ne nous as laissé
ainsi qu’à notre descendance
que ces cailloux
votre gouvernement
les prendra-t-il aussi
comme on le dit ?
Alors inscris
en tête de première page
Moi je ne hais pas mes semblables
et je n’agresse personne
Mais… si jamais on m’affame
je mange la chair de mon spoliateur
Prends garde… prends garde
à ma faim
et à ma colère !
Extrait du poème de Mahmoud Darwich publié dans le recueil Feuilles d’olives 1964.
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