Comment caractériser la politique éducative des ministres de Macron ? Les mesures qui s’accumulent depuis un an sont-elles des suites de mesures isolées et pragmatiques ? Évidemment non. Il s’agit de l’approfondissement et de l’accélération de la vision de l’école et de la société portée par Fillon dès 2004. La volonté de Macron, Philippe, Blanquer et Vidal est de changer radicalement l’école pour changer la société.
Quelles sont les logiques à l’œuvre dans les réformes en cours ? (6)
1) le service public est considéré d’abord comme un coût (et non une richesse)
Cela se traduit dans : la baisse des emplois dans l’éducation nationale (particulièrement le second degré avec l’annonce de la suppression de 1800 à 2000postes) et dans le supérieur, mais aussi la baisse des moyens dans l’enseignement agricole public. Il y a une hausse du nombre de collégiens (40000 élèves de plus prévus dans le second degré à la rentrée 2019), une hausse des étudiants liée à la démographie mais aussi à la hausse des aspirations scolaires des jeunes (+13 % d’étudiants 2000-2016) mais dans le même temps, moins d’enseignants et des autres métiers de l’éducation. L’éducation n’est absolument pas épargnée dans CAP22.
Dans le supérieur,Vidal avait annoncé la création de places supplémentaires, insuffisantes pour absorber la hausse démographique mais aussi très sous-financées (environ 1/4 de leur coût)
La baisse des coûts est une des principales clés de lecture de la réforme du lycée : elle comporte une baisse du nb d’heures d’enseignement par élève ; et elle permet la mutualisation des classes actuellement réparties en séries donc la baisse des moyens en enseignements.
2) le privé fait toujours mieux que le public
L’enseignement privé d’abord. La mise en place de Parcoursup a accéléré le mouvement de privatisation de l’enseignement supérieur ( +70 % entre 2000 et 2016!!) et les établissements privés, y compris, confessionnels, se frottent les mains. 1/4 des jeunes inscris sur Parcoursup se sont désinscrits, et une partie d’entre eux est allée dans le privé très payant (ex licence Catho à Angers et Nantes : 2600 à 6500 euros). Les nouveaux modes de regroupements dans l’enseignement supérieur font également le lit du privé, aggloméré au public dans les nouveaux regroupements permis depuis cet été.
Mais c’est aussi le secteur marchand qui est pris pour modèle et pour finalité de l’école. La réforme de la voie professionnelle développe le recours à l’apprentissage : c’est le terrain en entreprise qui forme, et pas l’école !! C’est d’ailleurs la même logique qui est défendue dans la formation des enseignants : ce n’est pas à l’école (dans les ESPE) qu’on peut apprendre les connaissances sur son futur métier, mais c’est sur le terrain, comme si les savoirs (même professionnels) surgissaient du terrain pour s’imposer d’eux-mêmes aux jeunes formés.
C’est aussi pour s’adapter aux marchés que le service public d’orientation est démantelé, ou que le nombre de places dans les filières du supérieur doivent s’adapter aux besoins économiques locaux.
3) les personnels doivent être contrôlés et maîtrisés (et pour cela il faut limiter leur qualification)
La volonté de contrôle des personnels est visible à plusieurs niveaux : dans les nouveaux programmes diffusés, dans les consignes et les bonnes pratiques que Blanquer tente d’imposer aux profs du premier degré.
Dans la formation des enseignants, le ministère veut reprendre en main les contenus enseignés et contrôler des formateurs qui pour certains, grâce à leur statut universitaire, lui échappent jusqu’à présent (contrôle par le statut des formateurs, l’organisation des ESPE et les maquettes imposées).
Le retour des évaluations nationales, après les refus collectifs de 2008, est également un outil de contrôle des enseignants : il va permettre de mesure à distance la productivité enseignante, ce qui permettra ensuite de faire pression sur les équipes et de moduler la rémunération.
Mais pour bien contrôler, il faut aussi agir sur le statut. C’est pourquoi l’entrée dans les métiers de l’éducation doit se faire de plus en plus par la précarité. C’est déjà le cas dans l’ESR : 1/4des profs précaires, et même 1/3 des non enseignants ; entrée dans la FP à 36 ans en moyenne ! Cela pourrait devenir le cas des profs des premier et second degrés, avec le projet de les faire devenir de nouveaux assistants d’éducation, qui pourraient faire la classe y compris en responsabilité, en attendant d’être recrutés peut-être comme profs titulaires. La précarité deviendrait alors la voie normale d’accès à la FP.
Enfin, comme les profs sont paresseux, on peut bien les faire travailler plus, par exemple en augmentant les heures sup imposées dans le second degré. C’est pour leur bien car ils seront mieux payés !
4) la concurrence est toujours bénéfique
Les évaluations premier degré, en permettant la mesure et la comparaison des écoles, va les mettre en concurrence, comme c’est déjà le cas pour les lycées. Dans le supérieur, les universités publiques sont en concurrence entre elles, car le financement de la recherche et des formations (y compris en licence) est fait en fonction des projets et des résultats (et non des besoins publics).
Renvoi à l’individu : parcours de plus en plus « individualisés » ; chacun est rendu responsable de sa réussite ou de son échec (dans le sup, avec la réforme du lycée, etc).
5) les savoirs doivent former une main d’œuvre docile, et cela même aux plus hauts niveaux de qualification
Dans le supérieur, l’arrêté licence porte le développement de la logique compétences. A l’école, les évaluations nationales risquent d’orienter les enseignements vers la préparation des élèves à la réussite de ces tests au détriment de l’acquisition de savoirs plus complexes (et ce n’est pas un risque théorique, car c’est toujours ce qui se passe quand les évaluations sont formatées).
Cela conduit à un émiettement des savoirs, alors que c’est leur mise en cohérence et la construction de leur complexité qui permet d’élever le niveau de réflexion et d’émancipation des élèves et de lutter contre les inégalités.
6) une politique éducative au service des politiques internationales néolibérales
Ces orientations ne sortent pas de l’esprit tortueux du petit Macron ou du pervers Blanquer. Elles sont défendues au sein des instances internationales par les partisans de la libéralisation des marchés, libéralisation qui a beaucoup avancé depuis les années 1980 et qui se nourrit notamment de la hausse de la qualification de la main d’œuvre. C’est pour cela que le pouvoir économique s’intéresse à l’école (c’est cela la « priorité à l’éducation » !), et que les politiques d’élévation du niveau de diplôme pourraient faire illusion. Mais la diffusion des connaissances porte aussi le développement de l’esprit critique et des ressources pour se libérer des oppressions de toutes natures. C’est pour cela que les politiques néolibérales, dont on a d’abord vu les effets dans l’ESR avant de les voir à l’école, s’intéressent aussi au contenu des enseignements, à leur organisation et aux personnels qui les transmettent.
Toute ressemblance avec les politiques publiques dans les autres secteurs n’est absolument pas fortuite (jeunesse et sport, santé, culture…).
Mais la FSU et ses syndicats portent un tout autre projet d’école et de société :
– des savoirs et des apprentissages qui font grandir, qui émancipent
– une culture commune riche, seule à même de répondre aux grands enjeux actuels : la lutte contre le développement des idées d’extrême droite et le renouveau des totalitarismes et de l’ignorance ; un changement radical de modèle économique pour préserver la nature et les ressources et faire diminuer drastiquement les inégalités de toutes natures.
La politique éducative qui est menée ne peut pas être plus radicalement opposée à ce que porte la fédération. Celle-ci doit être un outil pour montrer la cohérence et la logique de ces mesures qui ne sont ni isolées, ni pragmatiques : la fédération doit s’en saisir pour ce qu’elle (une politique cohérente).
C’est de sa responsabilité. Les autres organisations ne le font pas, ou pas de manière audible. Nous devons le dire, le clamer haut et fort et partout. À commencer par le 9 octobre puisque la date est posée.
Avant les élections professionnelles du 6 décembre : il est encore temps. Pour garder la place de la 1ère fédération de l’éduc, la FSU doit montrer qu’elle est capable d’analyser, de déconstruire les politiques et de fédérer les collègues des métiers et niveaux d’enseignement différents.
Pour cela, nous pourrions par exemple :
– mener une campagne d’information (des collègues et du grand public)
– initier une intersyndicale éduc large
– poser une initiative éduc susceptible de rassembler.
C’est le moment de se lancer dans la bataille : non pas chacun de son côté mais toute la fédération ensemble.