A Marseille, les sentiments sont partagés. Il reste d’abord en mémoire le formidable mouvement de l’automne où on a bien cru que nous pourrionsfaire vaciller le gouvernement. L’amertume d’une défaite qui se mêle à la fierté du combat mené…
Les secteurs les plus mobilisés sont d’ailleurs ceux qui cèdent le moins à la démoralisation, grâce à leur force collective. Probablement aussi parce que c’est dans ces secteurs que le prix et la difficulté du combat avaient été le mieux évalués et assumés.Pourtant, la fin du mouvement sur les retraites n’a pas signifié la fin des luttes. Depuis juillet 2010, les 300 salariés de Fralib, une entreprise de fabrication de thé et de tisane aux profits annuels « insuffisants » de 15 %, occupent leur boîte pour s’opposer à sa fermeture. Et depuis le 7 octobre (bientôt 100 jours), les postiers de Marseille 02 mènent une grève à 100 % contre la destruction et la précarisation de l’emploi. Leur combat est d’une certaine manière leur contribution au débat sur les suites du mouvement social.
Car le monde syndical s’interroge : qu’a-t-il manqué cet automne et quels sont les éléments décisifs à retenir pour les combats futurs ? L’Ecole Emancipée a apporté sa contribution en initiant le 4 décembre un débat avec des représentants syndicaux du port, des raffineries, des territoriaux de Marseille et de l’Education issus de la CGT, de la FSU ou de Solidaires.
Pour tout dire, la simple tenue de cette réunion avec cette diversité et cette qualité d’intervenants est en soi un succès et une avancée. Elle laisse à penser que les liens interprofessionnels entre les secteurs en lutte constituent pour eux une question importante pour l’avenir. Au cours des débats, trois enseignements se sont dégagées, au premier rang desquels la nécessité d’une volonté « politique » de mener la bataille, arrêtée très en amont du mouvement. La seconde réside dans la capacité à engager la mobilisation autour d’intersyndicales de luttes. Enfin, la coordination des secteurs en luttes apparaît comme un point déterminant. Quant à l’appréciation du rôle de l’intersyndicale nationale, les interventions mettaient en lumière des doutes sur la volonté réelle des directions syndicales de construire la grève générale sans réduire à cette question le débat sur les raisons de son échec.
Réduire la fracture entre mouvement social et espace politique
Au mois de novembre, l’irruption du débat sur les primaires du Parti socialiste (avec la « montée » de DSK) a plongé nombre d’acteurs du mouvement social dans la perplexité. L’apparente contradiction entre le contenu des mobilisations de l’automne et la posture politique qu’incarne le patron du FMI a accrédité l’idée que le temps des luttes et celui du débat politique institutionnel seraient successifs et indépendants. Pour ceux qui considèrent que cette dichotomie est désastreuse, elle met en évidence l’incapacité ou l’absence de volonté qu’ont eu les partis politiques de gauche à offrir une solution politique issue des luttes. Elle renvoie aussi aux réticences des organisations syndicales à favoriser ce type de construction, tant est aussi répandue en leur sein l’idée que la revanche de l’automne 2010 doit se jouer sur le terrain électoral en 2012.C’est en partie pour avancer sur la question du lien entre mouvement social et représentation politique que le PCF, le PG, le NPA et plusieurs groupes politiques de la gauche antilibérale ont convié les dirigeants syndicaux départementaux (CGT, FSU, Solidaires étaient présents) et des animateurs des luttes locales de l’automne à participer à un débat public commun. Là aussi, la seule tenue de ce meeting a constitué en soi un événement politique et la présence de 300 personnes pour une initiative montée en une quinzaine de jours a signifié que cette nécessité recouvrait une attente. Trois heures de prises de paroles et d’échanges avec la salle n’ont bien sûr pas suffi à régler toutes les questions mais elles ont au moins eu le mérite de les poser.
Pour certains intervenants, la question de la reprise des luttes et les chemins à explorer pour en faire des victoires reste première. Pour d’autres, c’est sur le terrain du rassemblement des forces politiques qu’il faut œuvrer afin d’offrir un débouché crédible à ces luttes…ces deux points de vue ne s’opposant pas nécessairement. Sur la question du lien entre le mouvement social et l’espace politique, là encore la discussion allait de syndicalistes qui renvoyaient aux organisations politiques la responsabilité de définir la stratégie gagnante à ceux (syndicalistes également) qui faisaient de l’irruption du mouvement social et des luttes dans le débat politique une condition nécessaire des succès à venir. Dernier débat, et pas des moindres, celui qui porte sur le contenu et la stratégie politique et électorale de la gauche antilibérale et anticapitaliste…
Si trois heures n’ont pas suffi, le débat se poursuivra sur ces questions avec une nouvelle réunion publique appelée par l’Université Populaire en février.