Les politiques migratoires sous pression de l’extrême-droite

Questions à Émeline Zougbede socio-anthopologue, institut convergences migrations.

ÉÉ : Angoisse identitaire, sécurité, questions économiques, comment expliquer l’adhésion affichée d’une opinion publique française en faveur de la Loi immigration ?

L’immigration – quel qu’en soit le thème retenu – est, depuis les années 1980, un enjeu électoral fort, d’abord pour l’extrême droite, en même temps qu’un enjeu identitaire. C’est aussi, comme le fait remarquer Antoine Pécoud, que « depuis les années 1990, les lois sur l’immigration sont communément appelées du nom de leur ministre de l’Intérieur »1 ; ministère qui a pour principale mission d’assurer la sécurité intérieure. On ne peut donc nier que, depuis bien longtemps, il y a cet amalgame douteux et dangereux entre immigration et sécurité qui repose sur l’agitation et la projection de peurs et d’angoisses sur l’immigration. Il y a également la rhétorique du fameux appel d’air, jamais démontré, la croyance en un État providence trop généreux envers les personnes étrangères2. Or, le système français de prestations sociales repose sur la redistribution et sur des principes de solidarité. Il ne s’agit donc, en aucun cas, de prendre aux un·es pour donner aux autres. Et ce n’est pas du fait de l’arrivée de nouvelles personnes que le système de protection sociale se réduit comme peau de chagrin. Il suffit de penser à la réforme du chômage, à celle des retraites…

En présentant l’immigration comme source de nombreux maux, il est facile ensuite de recourir à tout un tas de chiffres pour démontrer qu’elle est un problème et entretenir toutes sortes de fantasmes. Des acteurs de la recherche et de la société civile ont appelé à une convention citoyenne sur la migration pour un débat apaisé. L’idée étant de permettre à des citoyen·nes tiré·es au sort de faire des propositions en matière de politiques publiques après avoir appris des consensus de la recherche scientifique et entendu différents points de vue. Cette initiative aurait permis d’informer des différents aspects et réalités de l’immigration en France, loin d’une bataille de chiffres qui n’expriment que trop rarement leurs partis pris.

ÉÉ : Que pensez-vous de la création de deux nouvelles cartes de séjour ?

C’est ambigu. Il est évident que la création de la carte de séjour « Métiers en tension » constituerait une avancée sur le plan de la reconnaissance juridique du travail des sans-papiers. Car, s’il existe bien une circulaire de régularisation pour les travailleurs sans papiers – la circulaire Valls du 28/11/2012 –, elle n’a aucune force de loi et laisse une partie du pouvoir de régularisation aux entreprises employeuses. Dans le même temps, on ne peut que noter le caractère très temporaire d’un titre de séjour dépendant d’une liste de métiers, susceptible de changer au gré des dynamiques et de l’évolution économique des secteurs d’activités français. La personne viendrait à perdre son droit au séjour si le métier n’était plus en tension. On est clairement ici en face d’une conception utilitariste des flux de main-d’œuvre étrangère, organisant une immigration de travail, précaire et jetable.

Par ailleurs, de nombreux travaux en sciences sociales montrent que loin de combler une simple pénurie de main-d’œuvre, les personnes sans papiers constituent la part stabilisée de nombreux secteurs d’activité.

ÉÉ : La dernière loi revient à nouveau sur la nécessaire intégration des populations migrantes. Comment articuler intégration et diversité culturelle de la population française ?

Abdemalek Sayad disait que « l’intégration est cette espèce de processus dont on ne peut parler qu’après-coup, […] pour dire qu’elle a réussi ou qu’elle a échoué ». C’est sans doute vrai. Toutefois, on remarque que ce qu’on appelle bien souvent politiques d’intégration sont en fait des politiques de la Ville ou de luttes contre les discriminations, pour réparer ce qui n’a pas pu être fait. Car on comprend mal comment il faut intégrer des personnes nées en France ayant fait toute leur scolarité à l’école de la République, etc.

Il y a aussi un autre fait : une véritable politique d’intégration est une politique qui passe par l’octroi de droits et donc une politique migratoire forte et humaniste, permettant la délivrance de titres de séjour pérennes, d’un accès au marché du travail non entravé comme c’est actuellement le cas pour les professions médicales, à des minimas sociaux, notamment parce qu’il s’agit de ne pas exclure les personnes étrangères d’un système dont tout·es bénéficient, car cela contreviendrait à l’intégration escomptée.

ÉÉ : Migrant.es, immigrant.es, exilé.es, réfugié.es,

Quel choix du vocabulaire sur l’altérité, les relations interethniques ou l’immigration? quels mots pour une approche solidaire ?

C’est une question complexe qui n’a pas qu’une seule réponse. En recherche, il y a cette exigence de situer le point de vue depuis lequel on parle : c’est quelque chose que les politiques et les médias devraient également faire. Car effectivement, ces mots peuvent appeler à des réalités différentes mais aussi à des régimes administratifs différents. Un·e demandeur·se d’asile n’est pas une personne en situation irrégulière puisque sa demande d’asile est en cours d’examen. En outre, cette personne n’a pas non plus franchi illégalement les frontières puisqu’elle vient ici – en France ou ailleurs – pour demander l’asile et c’est une liberté fondamentale des droits humains.

Dans la conversation ordinaire, il me semble que deux options s’offrent à nous. Partir des mots depuis lesquels les personnes se qualifient, derrière lesquels elles se revendiquent. Ou tout simplement parler de personnes. C’est aussi une manière de remettre l’humanité au centre. ■

Propos recueillis par Sophie Zafari

1. « Le casse-tête de la loi immigration : et si l’on se trompait d’interlocuteurs ? », The Conversation, 19 décembre 2023.

2. 49 % des personnes qui pourraient bénéficier de l’Aide médicale d’État n’y ont pas recours et l’AME représenterait moins de 1 % 
des dépenses totales de la Sécurité sociale.

ÉÉ : Angoisse identitaire, sécurité, questions économiques, comment expliquer l’adhésion affichée d’une opinion publique française en faveur de la Loi immigration ?

L’immigration – quel qu’en soit le thème retenu – est, depuis les années 1980, un enjeu électoral fort, d’abord pour l’extrême droite, en même temps qu’un enjeu identitaire. C’est aussi, comme le fait remarquer Antoine Pécoud, que « depuis les années 1990, les lois sur l’immigration sont communément appelées du nom de leur ministre de l’Intérieur »1 ; ministère qui a pour principale mission d’assurer la sécurité intérieure. On ne peut donc nier que, depuis bien longtemps, il y a cet amalgame douteux et dangereux entre immigration et sécurité qui repose sur l’agitation et la projection de peurs et d’angoisses sur l’immigration. Il y a également la rhétorique du fameux appel d’air, jamais démontré, la croyance en un État providence trop généreux envers les personnes étrangères2. Or, le système français de prestations sociales repose sur la redistribution et sur des principes de solidarité. Il ne s’agit donc, en aucun cas, de prendre aux un·es pour donner aux autres. Et ce n’est pas du fait de l’arrivée de nouvelles personnes que le système de protection sociale se réduit comme peau de chagrin. Il suffit de penser à la réforme du chômage, à celle des retraites…

En présentant l’immigration comme source de nombreux maux, il est facile ensuite de recourir à tout un tas de chiffres pour démontrer qu’elle est un problème et entretenir toutes sortes de fantasmes. Des acteurs de la recherche et de la société civile ont appelé à une convention citoyenne sur la migration pour un débat apaisé. L’idée étant de permettre à des citoyen·nes tiré·es au sort de faire des propositions en matière de politiques publiques après avoir appris des consensus de la recherche scientifique et entendu différents points de vue. Cette initiative aurait permis d’informer des différents aspects et réalités de l’immigration en France, loin d’une bataille de chiffres qui n’expriment que trop rarement leurs partis pris.

ÉÉ : Que pensez-vous de la création de deux nouvelles cartes de séjour ?

C’est ambigu. Il est évident que la création de la carte de séjour « Métiers en tension » constituerait une avancée sur le plan de la reconnaissance juridique du travail des sans-papiers. Car, s’il existe bien une circulaire de régularisation pour les travailleurs sans papiers – la circulaire Valls du 28/11/2012 –, elle n’a aucune force de loi et laisse une partie du pouvoir de régularisation aux entreprises employeuses. Dans le même temps, on ne peut que noter le caractère très temporaire d’un titre de séjour dépendant d’une liste de métiers, susceptible de changer au gré des dynamiques et de l’évolution économique des secteurs d’activités français. La personne viendrait à perdre son droit au séjour si le métier n’était plus en tension. On est clairement ici en face d’une conception utilitariste des flux de main-d’œuvre étrangère, organisant une immigration de travail, précaire et jetable.

Par ailleurs, de nombreux travaux en sciences sociales montrent que loin de combler une simple pénurie de main-d’œuvre, les personnes sans papiers constituent la part stabilisée de nombreux secteurs d’activité.

ÉÉ : La dernière loi revient à nouveau sur la nécessaire intégration des populations migrantes. Comment articuler intégration et diversité culturelle de la population française ?

Abdemalek Sayad disait que « l’intégration est cette espèce de processus dont on ne peut parler qu’après-coup, […] pour dire qu’elle a réussi ou qu’elle a échoué ». C’est sans doute vrai. Toutefois, on remarque que ce qu’on appelle bien souvent politiques d’intégration sont en fait des politiques de la Ville ou de luttes contre les discriminations, pour réparer ce qui n’a pas pu être fait. Car on comprend mal comment il faut intégrer des personnes nées en France ayant fait toute leur scolarité à l’école de la République, etc.

Il y a aussi un autre fait : une véritable politique d’intégration est une politique qui passe par l’octroi de droits et donc une politique migratoire forte et humaniste, permettant la délivrance de titres de séjour pérennes, d’un accès au marché du travail non entravé comme c’est actuellement le cas pour les professions médicales, à des minimas sociaux, notamment parce qu’il s’agit de ne pas exclure les personnes étrangères d’un système dont tout·es bénéficient, car cela contreviendrait à l’intégration escomptée.

ÉÉ : Migrant.es, immigrant.es, exilé.es, réfugié.es,

Quel choix du vocabulaire sur l’altérité, les relations interethniques ou l’immigration? quels mots pour une approche solidaire ?

C’est une question complexe qui n’a pas qu’une seule réponse. En recherche, il y a cette exigence de situer le point de vue depuis lequel on parle : c’est quelque chose que les politiques et les médias devraient également faire. Car effectivement, ces mots peuvent appeler à des réalités différentes mais aussi à des régimes administratifs différents. Un·e demandeur·se d’asile n’est pas une personne en situation irrégulière puisque sa demande d’asile est en cours d’examen. En outre, cette personne n’a pas non plus franchi illégalement les frontières puisqu’elle vient ici – en France ou ailleurs – pour demander l’asile et c’est une liberté fondamentale des droits humains.

Dans la conversation ordinaire, il me semble que deux options s’offrent à nous. Partir des mots depuis lesquels les personnes se qualifient, derrière lesquels elles se revendiquent. Ou tout simplement parler de personnes. C’est aussi une manière de remettre l’humanité au centre. ■

Propos recueillis par Sophie Zafari

1. « Le casse-tête de la loi immigration : et si l’on se trompait d’interlocuteurs ? », The Conversation, 19 décembre 2023.

2. 49 % des personnes qui pourraient bénéficier de l’Aide médicale d’État n’y ont pas recours et l’AME représenterait moins de 1 % 
des dépenses totales de la Sécurité sociale.

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