Anniversaire oblige, les médias ont beaucoup parlé ces dernières semaines du « premier génocide du XXe siècle », celui des Arméniens.
La qualification est inexacte. Dans ce décompte macabre, on oublie les Hereros et les Namas, petits peuples de Namibie, exterminés par les colonisateurs allemands de janvier 1904 à janvier 1908.
Elise Fontenay-N’Diaye a eu connaissance par hasard de ce génocide. Arrière-petite-fille du général Mangin, elle voulait écrire sur cet officier colonial rendu célèbre par la presse sous le sobriquet évocateur du « Boucher du Maroc ».
Mais face aux horreurs commises dans le Südwestafrika allemand, territoire correspondant à l’actuelle Namibie, Mangin fait figure d’aimable pacifiste…
C’est au récit d’un crime occulté que l’auteure nous convie à travers un récit alerte et efficace qui s’appuie sur de nombreux documents, lettre et photographies, l’auteure ayant retrouvé une version numérisée d’un rapport écrit par un jeune officier britannique pendant la première guerre mondiale.
**Un texte tout empreint d’émotion en forme d’hommage
Qu’on ne se méprenne pas, le travail d’Elise Fontenaille-N’Diaye n’est pas celui d’une historienne.
Elle met certes à jour une page d’histoire refoulée, mais elle en tire un récit situé, qui part d’elle-même sans rien cacher de ses sentiments liés à son histoire personnelle et familiale. C’est donc à un texte tout empreint d’émotion qu’elle nous convie en forme d’hommage à un peuple exterminé.
Peuple méconnu et tranquille vivant sur une terre dure et hostile, les Hereros étaient déjà christianisés quand arrivent les premiers colons allemands.
Ceux-ci n’ont aucun égard pour ces indigènes qu’ils considèrent comme racialement inférieurs. Les savants des « théories des races », qui dominaient la science académique sans partage, s’appelaient alors en Allemagne von Luschan ou Eugen Fischer.
Ils rachetaient des crânes d’Africains pour pouvoir les mesurer et prétendre ainsi prouver la supériorité de la race aryenne ainsi que le danger de dégénérescence en cas de métissage…
Tout un trafic de crânes humains répondait à leur demande, alimenté par des soldats peu scrupuleux qui s’étaient faits une spécialité de profaner les sépultures.
**Une folie exterminatrice impitoyable
Lorsque les Hereros se révoltent, suivis bientôt par un autre peuple moins nombreux, les Namas, ils tiennent à respecter les règles de la guerre telle qu’ils l’ont toujours pratiquée.
On ne se bat qu’entre combattants, on ne s’en prend ni aux femmes ni aux enfants. Dirigés par des chefs lettrés dont l’auteur restitue la haute stature attachante, ils vont se heurter à une folie exterminatrice inimaginable autant qu’impitoyable.
Des 80 000 Hereros, seuls 15 000 survivront. Les Namas subiront un sort un peu moins rigoureux, avec l’extermination de la moitié des leurs.
Le récit est troublant tant cet épisode colonial rappelle la folie meurtrière nazie : massacres systématiques, camps de concentration, tatouage des prisonniers, sous-alimentation et travail forcé…
La volonté d’exploitation colonisatrice semble avoir laissé la place à la seule extermination, comme s’il s’agissait de vider l’Afrique de ses habitants.
Le tout justifié par un racisme implacable qui exclut les Hereros et les Namas de l’humanité et justifie les pires exactions. Tout cela relève bien de la même barbarie que celle qui emportera l’Europe quarante ans plus tard, illustrant la remarque désabusée d’Aimé Césaire sur la violence coloniale comme préfigurant la violence nazie.
La Namibie est toujours marquée par cette ignoble injustice originelle. L’indépendance ne fut obtenue que très tardivement et les descendants des colons allemands continuent, aujourd’hui encore, de posséder l’essentiel des terres et des moyens de production du pays.
Quelques crânes qui dormaient au fond d’armoires interdites à Berlin ont bien été restitués. Un folklore étrange a recouvert jusqu’à la mémoire indigène…
Elise Fontenaille-N’Diaye a su, dans une langue simple et accessible, restituer une des tragédies qui ont émaillé le XXe siècle, faisant œuvre de pédagogie salutaire.
Parallèlement, elle publie aussi un récit plus court et romancé, dans une collection destinée aux adolescents, où elle imagine dans la Namibie contemporaine le déboulonnage d’une statue rendant hommage aux soldats génocidaires.
La statue a bien existé même si elle n’a jamais été dynamitée. Elle a simplement été démontée et transportée dans un musée local en décembre 2013. ●
Stéphane Moulain
✓ Elise Fontenaille-N’Diaye, Blue book (Calmann-Lévy), 17 euros.
✓ Elise Fontenaille-N’Diaye, Eben ou les yeux de la nuit
(Rouergue), 8,3 euros.