L’évaluation individuelle, pierre angulaire du « Nouveau management public »

L’évaluation des agents
a fait l’objet d’une réforme
dont les premiers éléments remontent au rapport Silicani, mise en musique pour la Fonction publique française
des paradigmes du New public management. A travers l’entretien individuel et la prime de fonction
et de résultats, elle transforme
en profondeur la carrière
des fonctionnaires
et le sens des métiers.

Le projet relatif à l’évaluation des personnels enseignants d’éducation et d’orientation s’inscrit dans une stratégie globale : le New management public (NMP), qui adapte au secteur public des méthodes de management venues du privé. L’évaluation individuelle figure dès 2008 en bonne place dans le Livre blanc sur l’avenir de la Fonction publique (rapport Silicani), parmi les outils de « véritable gestion des ressources humaines » qu’il propose d’appliquer aux fonctionnaires.

Avant ce projet, d’autres dispositifs d’évaluation individuelle ont été expérimentés dans différents corps. Depuis 2002 par exemple, les personnels administratifs, techniques et des bibliothèques en ont connu plusieurs avatars. Ceux-ci sont régis par le décret n°2007-1365 du 17 septembre 2007, relatif à l’entretien professionnel.

Surveiller et punir

L’entretien annuel avec le supérieur hiérarchique direct est individuel. Il porte surtout sur les résultats de l’agent au regard d’objectifs prédéfinis et sur sa « manière de servir ». Le compte rendu qui en découle conditionne l’évolution de sa carrière et la partie variable de sa rémunération dans une logique d’individualisation et de gestion de proximité hors de tout contrôle collectif et paritaire.

Le lien entre évaluation et rémunération individuelles est renforcé par la mise en place de la prime de fonction et de résultats (PFR) qui a vocation à se substituer à tous les régimes indemnitaires existant dans la Fonction publique d’État. Elle comprend une part liée aux fonctions (la nature du poste occupé) et une autre liée aux résultats individuels. Elle est modulable selon la « performance » de l’agent, mesurée à partir du compte rendu de l’entretien qui, ainsi, peut difficilement représenter un « moment privilégié d’échange et de dialogue » comme s’attache à le décrire la littérature managériale, puisqu’il pèse sur le déroulement de la carrière et sur la rémunération globale de l’agent. De plus, la PFR instaure une compétition entre collègues car le nombre et la répartition des mois de réduction sont contingentés et les crédits indemnitaires non extensibles. Chaque mois et chaque euro attribué à l’un est enlevé aux autres. C’est donc un jeu à somme nulle avec des gagnants et des perdants. Et comme l’appréciation de sa valeur professionnelle glisse invariablement vers l’appréciation de soi, le supérieur hiérarchique exprime finalement la façon dont il apprécie l’agent… ou pas ! Le pouvoir qui lui est donné est bien celui de surveiller et de punir (ou de récompenser) de façon effective ses « collaborateurs » qui restent de fait plus que jamais ses subordonnés.

Soumis à tous les niveaux aux commandements de l’autonomie (« tu te débrouilleras tout seul »), de la responsabilité (« ce sera de ta faute à toi ») et à l’injonction paradoxale du « faire plus et mieux avec moins », les agents et les services ou établissements sont mis sous tension permanente et placés en situation d’échec dont ils sont tenus responsables.

Contester l’hégémonie
idéologique du management

Dans le même temps, l’employeur public prétend prévenir les risques psychosociaux quand toute l’organisation du travail qu’il met en place tend structurellement à les aggraver…

Une fois ce système installé dans la durée, comment rester des collègues soucieux de contribuer ensemble au bon fonctionnement du service public alors que la gestion des « ressources humai­nes » est fondée sur la concurrence entre des individus plutôt que sur la coopération au sein d’un collectif ? Sur le terrain, les situations sont très variées d’un établissement à l’autre ou d’un service à l’autre et dépendent du rapport de force entre les salariés et leur autorité hiérarchique. Ici, la guerre des places fait des ravages, ailleurs, les collègues unis au sein d’un collectif de travail dédié aux missions de service public refusent la concurrence de tous contre tous.

Plus que jamais, notre rôle en tant que militants est d’informer et d’organiser les salariés pour contester l’hégémonie de cette idéologie managériale. ●

Antoine Meylan (SNASUB-FSU)