C’est une des caractéristiques de ce mouvement exceptionnel : son développement s’est joué pour beaucoup au rythme des propositions d’action d’une intersyndicale qui ne s’attendait sans doute pas à un tel niveau de mobilisation ! Nous revenons, en introduction de ce dossier sur ce qui s’est joué au sein des réunions de l’intersyndicale nationale et en direct : les délégations FSU étant pluralistes, l’Éé en était pleinement partie prenante…
Cette fameuse intersyndicale s’est affirmée dans le paysage début 2009 avec un document commun qui posait des éléments d’alternative à la situation de crise économique et financière. Il initiait une dynamique déjà forte de mobilisation : plus de 2 millions de manifestant-es le 29 janvier 2009 et près de 3 millions le 19 mars ! Dynamique retombée suite aux divergences de stratégies et à une frilosité des principales confédérations qui espéraient encore des espaces de négociation.Avec le changement radical de tactique du gouvernement et une prise de conscience montante des salariés sur ce qui était en train de se jouer, on a vu au printemps 2010 dans l’intersyndicale une quasi-stupéfaction de certains face au niveau de blocage des discussions avec le gouvernement. Cela entrainait une réponse nécessaire et unitaire à l’exaspération sociale en train de monter. D’où les journées initiées afin de répondre au rythme de « révélation » du projet gouvernemental où la question des retraites a pris de plus en plus d’importance.
Très vite, on a pu sentir les tensions et les contradictions. Le mot d’ordre de « retrait de la réforme », préfigurant l’affrontement nécessaire face à l’intransigeance sarkozyenne, aurait dû être mis en avant. Il était défendu par FO (qui en a faussement fait un préalable à toute signature d’appel…), par la FSU et Solidaires. Mais, du fait de l’opposition de la CFDT, accompagnée par la CGT, qui argumentaient sur la « nécessité d’une autre réforme » (en fait, une volonté de laisser la plus ouverte possible la porte de négociations…), cela a été sciemment contourné par des périphrases (comme « réforme inacceptable ») pour permettre de sortir avec des appels à mobilisation larges, entrainant même d’ailleurs CFTC ou CGC.
Allegro, ma non troppo…
Chacun attendait l’intersyndicale au tournant à la rentrée des congés avec un calendrier gouvernemental extrêmement serré. Après le succès de la journée du 7 septembre, s’est posée la question des rythmes à imprimer à la mobilisation avec un objectif : comment déstabiliser la morgue de Sarkozy… Le choix de la suite à donner dépendait largement de l’analyse qu’on pouvait avoir sur le rapport de forces à construire (de l’ordre d’une grève générale) ainsi que sur la façon d’organiser la pression face au gouvernement en s’appuyant sur le soutien populaire. Il donnait aussi un sens profond aux yeux des salariés sur la détermination de l’intersyndicale.Il est dommage, de ce point de vue, qu’il ait fallu attendre début octobre pour arriver à un accord dans l’intersyndicale pour proposer une réelle accélération des rythmes de mobilisation… Et ce après des débats en son sein où FSU et Solidaires, quelquefois la CGT, poussaient…
D’où les quatre journées nationales de mobilisation en deux semaines (au moment de la discussion au Sénat) avec des grèves ponctuelles et reconductibles, des centaines de cortèges dans les villes de France, des millions de manifestants…
C’est autour du 12 octobre que la situation s’est réellement tendue quand les blocages « économiques » se sont renforcés, mettant en difficulté MEDEF et gouvernement. On a senti alors que « cela pouvait basculer » !
Des secteurs significatifs de la CGT et même de la CFDT portaient la grève générale, Solidaires, la FSU développaient la même logique (avec une vraie difficulté de mise en œuvre dans le secteur public) mais les directions des deux principales composantes de l’intersyndicale, la CGT et la CFDT, voulaient l’éviter, craignant de ne pas « maîtriser » une confrontation sociale (et politique) ouverte et majeure avec le gouvernement. Même si CGT et CFDT étaient conscientes du risque d’un nouvel échec des salariés et du mouvement syndical sur un dossier emblématique, il n’a pas été possible de poser sereinement au sein de l’intersyndicale la question de la généralisation des grèves à tout le pays, au-delà de journées d’action ponctuelles.
Les contacts intersyndicaux ont été fréquents hors réunions. Des discussions, voire des accords préalables, entre CGT et CFDT étaient perceptibles avant chaque intersyndicale (avec parfois le sentiment que c’était la CFDT qui imprimait sa « marque »), même si les choses n’étaient pas complètement jouées en réunion…
Au bilan final, l’unité syndicale concrétisée jusqu’au bout par cette intersyndicale a été la condition du mouvement massif et de son soutien populaire. Mais en même temps, elle n’a pas su promouvoir une stratégie efficace pour gagner face à Sarkozy… Et les divergences et hésitations syndicales sur la confrontation avec le pouvoir n’y sont pas pour rien.