Considérée par beaucoup comme un domaine opaque, voire abscons, la Formation professionnelle Continue (FPC) n’est effectivement pas la tasse de thé de la majorité des militant-es de la FSU. Or, la FPC ne devrait plus être ce domaine réservé tel qu’il se constitua
à l’issue du « Yalta de 71 » attribuant à l’Éducation nationale la formation initiale et à l’Entreprise la formation professionnelle. Les enseignant-es que nous sommes ont leur mot
à dire sur une Éducation permanente qui ne se réduirait plus à sa seule dimension professionnelle.
D’où la nécessité de mieux connaître ce qui se négocie actuellement.
La FPC relève du « paritarisme social » pour lequel la norme est que toute réforme, toute avancée (1) suppose des négociations préalables entre partenaires sociaux (2) qui déboucheront généralement sur la signature (pas nécessairement unanime) d’un Accord National interprofessionnel (ANI) par les « organisations représentatives de salariés ». Lequel sera entériné par la suite dans la loi qui en découle (même si il est vrai que les parlementaires tendent de plus en plus à s’accorder des libertés par rapport à ces accords). Depuis une dizaine d’années, la FSU était parvenue à revenir sur ce champ essentiel pour les jeunes et les salarié-es actifs ou privés d’emploi. La configuration actuelle de la négociation (réunissant Etat, Régions, les « 5 irréfragables » et le patronat) met hors jeu la FSU. L’avenir ne semble guère plus prometteur.
Selon le gouvernement, l’urgence de négocier se justifierait par la nécessité de mettre en œuvre le « Compte Personnel de Formation » (CPF) issu de l’ANI du 13/1/13 et de la loi du 14/6/13 « relative à la sécurisation de l’emploi ». Ce CPF a été au cœur de la « grande conférence sociale » voulue par F. Hollande qui s’est déroulée les 20 et 21 juin dernier. La négociation nationale interpro elle-même a débuté le 24 septembre.
La réforme, quelle réforme ?
Le point central en est le CPF, « colonne vertébrale » de la future loi selon Michel Sapin. Ce compte, ouvert pour chacun dès sa sortie du système scolaire et transférable (au gré des aléas professionnels), est de notre point de vue celui qui soulève le plus de problèmes (difficiles).
D’une part, il renforce la tendance à une individualisation croissante de la FPC. Certes, et c’est un progrès, il n’est pas attaché au contrat de travail mais à la personne. Cependant, on est dans une problématique de droits individuels, propriétés de la personne, attachés à celle-ci. Ainsi lit-on dans le projet d’accord présenté par le MEDEF (3), au titre 1 : « L’évolution et la promotion professionnelles relèvent de la responsabilité du salarié »… même si la chef de file de la négo côté MEDEF se sent obligée de nuancer : « Cela ne veut pas dire bien sûr que l’employeur doive se désintéresser de l’évolution et de la promotion des salariés ». Les CCI (4) sont convaincues que « La réforme actuelle devra chercher à faciliter la capitalisation individuelle » (après avoir déploré que les financements individuels ne représentent « que » 4 % de la dépense totale).
Problème à double détente donc. D’abord parce que ceci s’inscrit dans une logique de Sécurisation des Parcours Professionnels (SPP) ardemment défendue notamment par la CFDT et le MEDEF : la sécurité s’obtiendrait par la facilitation des passages d’un contrat de travail à un autre, à la charge du salarié. Ce qui s’oppose à la logique de Sécurité Sociale Professionnelle (SSP) portée par la CGT, selon laquelle le droit à l’emploi à vie est assuré par une cinquième branche de la Sécurité Sociale. Ensuite, parce que dans cette logique, la FPC reste une affaire de partenaires sociaux, excluant largement l’Éducation nationale. La formation professionnelle ? Une responsabilité du salarié… dont l’employeur ne peut se désintéresser.
D’autre part, parce que le CPF ouvre la boîte de pandore de la Formation Initiale Différée (FID)… qui fait l’unanimité des partenaires sociaux, de l’État et des Régions (5). Pour Michel Sapin, « Le CPF doit jouer le rôle de nouvelle chance et permettre de rebattre les cartes. Il devrait permettre de gravir les échelons de la qualification et être appelé à devenir aussi important que l’école et les études ». Pour la CGT, le CPF est constitué « d’une formation initiale différée permettant à chaque individu de plus de 16 ans, sorti du système scolaire, de bénéficier d’un accompagnement incluant une formation de la durée nécessaire à l’obtention d’un diplôme de niveau IV », ce dont elle se félicite. Le président de la région Limousin, responsable FPC pour l’Association des Régions de France, explique à propos de la concertation quadripartite sur le CPF : « Les choses avancent bien (…) sur la partie financière aussi, même si la question de la formation initiale différée n’est pas tranchée ».
Ensuite parce qu’est créé un « Conseil en Évolution Professionnelle » (CEP) permettant à tout actif de bénéficier, à son initiative, d’un temps d’écoute, d’information et d’aide au choix d’une évolution professionnelle. À l’instar de ce qui est déjà le cas pour les CIO, il est plus qu’à craindre que la gestion de ce CEP soit confiée aux régions (qui expérimentent déjà activement ce genre de procédure), ce qui est bien dans l’air du temps du volet « décentralisation ».
Par contre, le souhait du MEDEF de supprimer le « 1,6 % », c’est-à-dire l’obligation légale de financement de la formation professionnelle par les employeurs qui serait dès lors (la formation) « vécue comme un investissement et non plus comme une charge (sic !)» rencontre évidemment l’opposition radicale de la CGT (6) « qui n’acceptera pas de négocier sur ce point ». Nous partageons bien entendu pleinement ce point de vue… en attendant une future et souhaitable transmutation de la FPC en Éducation permanente.
Cette présentation, nécessairement simplifiée, permet de développer ce qui devrait constituer les grands axes de positionnement de la FSU sur les questions de FPC.
1/ Refuser toute inféodation de la FPC à l’objectif de compétitivité qui est le but largement partagé par la majorité des négociateurs et clairement affirmé dans le projet présenté par le MEDEF : « La formation est un levier déterminant de la compétitivité des entreprises » ainsi que dans le copier / coller gouvernemental ; « Faire de la formation professionnelle un investissement de compétitivité au sein de l’entreprise » (Documentation d’orientation remis aux négociateurs par le ministère du travail).
2/ Corrélé au premier axe, refuser le discours idéologique, creux et pervers du « salarié acteur de son propre parcours professionnel » et « responsable de sa propre employabilité ». Le projet néolibéral de « l’individu entrepreneur de lui-même », de l’individu mué en « capital humain » (oxymore mortifère) dans le cadre d’un marché libre et non faussé n’a produit jusqu’ici que des catastrophes économiques, sociales, écologiques et humaines. Nous refusons de nous inscrire dans cette logique.
3/ À rebours de la tendance partagée par la majorité des partenaires sociaux, nous affirmons le rôle irremplaçable des enseignant-es, issu-es des concours et formé-es pour assurer la transmission des savoirs. Leurs compétences concernent certes prioritairement les jeunes, mais celles-ci peuvent tout autant s’appliquer aux adultes en formation et/ou en reprise d’études. Il n’existe pas de pré carré réservé aux partenaires sociaux dont les enseignant-es seraient exclu-es.
4/ Dans le même sens, nous sommes dubitatifs quant au bien-fondé du paritarisme organique de la FPC. En ce domaine, les employeurs étant les principaux payeurs (et disposant de moyens matériels et humains sans commune mesure), ceux-ci sont toujours en position de force pour négocier. Plus fondamentalement, la logique même du paritarisme, outre qu’elle gomme les conflits de classes, conduit à institutionnaliser le compromis comme mode de négociation. Sans négliger le coût considérable en énergie militante que cela représente.
5/ Enfin, dans la réalité du capitalisme néolibéral, les besoins en main-d’œuvre qualifiée existent évidemment… pour les emplois d’ingénieurs et cadres. Mais en même temps, les entreprises ont besoin d’une main-d’œuvre dont les compétences – notamment dans le domaine des services – ne sont pas reconnues et donc sous-payées. De même que de très nombreux emplois (dans l’industrie mais aussi les services) restent à de faibles niveaux de qualification à a cause du refus du patronat de les revaloriser pour des raisons de coûts (cette main-d’œuvre revenant moins cher à l’entreprise que les machines).
Ainsi, dans un monde où le chômage ne cesse de croître, la course à la formation devient un leurre qui pousse chacun à mener un combat individuel pour gagner quelques petites places dans la file d’attente au détriment de la lutte collective en défense des acquis et pour la transformation de la société.
La bataille pour la construction d’un véritable système d’Éducation permanente, mobilisant pour sa mise en œuvre les enseignants, les personnels de l’éducation populaire et le monde associatif constitue l’un des vecteurs de la lutte pour l’émancipation des salarié-es.●
Jean-Marie Canu
1) … recul. Tout dépend du point de vue
où l’on se place
2) On rappelle une dernière fois que cette expression, radicalement contestable en ce
qu’elle nie l’existence d’antagonismes de classes,
est usuellement utilisée. Par convention, nous la reprenons, même si a minima celle d’interlocuteurs sociaux serait plus proche de la réalité
3) Dans le cadre du paritarisme,
les OS et les représentants patronaux négocient entre eux, sur la base de leurs propres projets.
4) Chambre de Commerce et d’Industrie
5) La porte avait déjà été ouverte par la loi
de refondation de l’École qui accorde le droit
« d’acquérir un premier niveau de qualification »
(si ce n’est que la mise en œuvre de ce droit nécessite un décret d’application – pas encore publié – soumis à l’approbation des partenaires sociaux).
6) Ainsi que celles de la CGPME et de l’UPA…
qui craignent une diminution de la collecte et donc de la part mutualisée qui revient aux TPE et PME.