- Intervention école émancipée par Grégory Bekhtari au CDFN de la FSU mai 2023 –
- Face à la menace de l’extrême-droite, le syndicalisme doit se réinventer
Qui a dit « Le GUD, au vu de ce qu’il représente, doit vraisemblablement être dissous. Il n’a rien à faire dans notre pays. » ?
Vous aurez sans doute du mal à deviner, car contre toute attente, il s’agit du député RN du Loiret Thomas Ménagé hier sur France 2.
Quand on entend ce genre de déclarations, il n’y a plus de doute, l’extrême droite s’est bien réinventée. Alors certainement pas sur le fond qu’elle défend, qui reste raciste, xénophobe, autoritaire et antidémocratique. Mais sur la stratégie, sur le profilage nécessaire selon elle dans le but de sa prise du pouvoir par les urnes.
L’effondrement des partis traditionnels d’alternance de gauche et de droite a donné lieu à une absence de consensus politique majoritaire et généré un confusionnisme politique que le FN puis RN a saisi comme une opportunité pour se repositionner en se plaçant au centre des débats avec l’appui irresponsable et cynique de grands médias. Si bien qu’à l’heure actuelle, ses éléments de langage, ses valeurs, sa vision du monde contaminent une large partie du spectre politique, comme l’illustrent les nouvelles mesures proposées par LR sur l’immigration, véritable copié-collé du programme du RN, mais pire encore, des pratiques gouvernementales, comme le montrent les demandes du ministère de l’intérieur aux renseignements généraux de cibler leur surveillance sur une catégorie d’élèves sur la base exclusive de leur confession religieuse.
Le danger quasi immédiat qui nous guette, c’est un dénouement à l’italienne en 2027 : une victoire de Marine Le Pen qui serait considérée comme inévitable, voire, comme cela est malheureusement perçu par une partie significative de la population italienne pour Meloni, comme un « non événement », une suite logique qui ne changerait pas grand-chose.
Selon le philosophe Mickael Foessel, l’élément le plus inquiétant dans la situation actuelle, c’est bien que tout se passe « comme si l’extrême droite apparaissait comme une alternative raisonnable ou light à un gouvernement néolibéral perçu comme autoritaire ».
En effet, c’est bien parce que l’extrême-droite a réussi son pari du renouvellement et se présente comme une nouvelle offre politique que des millions de personnes résignées et politiquement revenues de tout sont prêtes à se raccrocher à elle, comme on tente, au cours d’une chute, de se raccrocher à une planche pourrie avant de tomber toujours plus bas.
Nous devons être totalement honnêtes envers nous-mêmes : si jamais, par malheur, l’extrême-droite venait à l’emporter, nous ne pourrions pas nous défausser. Ce ne serait pas seulement à cause des faiblesses et des défauts, bref, de l’inefficacité des partis actuels de la gauche politique, mais parce que nous aussi, nous aurions échoué, parce que nous non plus, nous n’aurions pas su nous hisser à la hauteur de nos responsabilités.
Ce que je veux dire ici, c’est que face à la menace de l’extrême-droite, le syndicalisme aussi doit se réinventer. La conjoncture pour le faire est favorable car les syndicats ont marqué des points en représentant et en défendant les aspirations de la grande majorité de la population, ce qui n’arrive pas si souvent. Benoît a mis en relief les leçons que le mouvement retraites nous ont apprises, en particulier que la puissance de la mobilisation et sa capacité à déstabiliser et affaiblir fortement le gouvernement doit beaucoup à l’unité large incarnée par l’intersyndicale et la confiance et la force populaires que cette unité a permis de déployer. Il est nécessaire que cette unité soit maintenue et développée d’une façon ou d’une autre à l’avenir et c’est visiblement le chemin que prend l’intersyndicale avec la proposition d’assises syndicales ou tout autre formule que cela prendra.
Mais le syndicalisme a des responsabilités qui vont aujourd’hui au-delà de sa propre unification. Nous avons besoin de construire des alliances et avec le mouvement social, et avec le mouvement politique. En effet, le second temps du mouvement retraite, qui a fortement mis en avant la question démocratique après l’usage du 49.3, a montré que le syndicalisme ne pouvait pas relever seul le défi de l’opposition à l’instrumentalisation autoritaire des institutions de la Vème République. Et même, au final, si l’on veut bien se montrer lucide, qu’il peut difficilement gagner seul sur une question aussi transversale que celle des retraites, qui renvoie directement à un modèle de société ancré politiquement.
Le syndicalisme, et la FSU en ce qui nous concerne, doivent sortir de leur zone de confort, renouveler leur stratégie, et prendre l’initiative de cadres d’alliance très larges qui relient question sociale et question démocratique, sans exclure a priori les partis politiques en accord avec ses mandats, et en particulier ceux qui ont soutenu l’intersyndicale pour obtenir la victoire du mouvement retraites. Il est non seulement possible mais souhaitable de nouer de nouveaux compromis sans compromettre nos principes d’indépendance syndicale. C’est à ce prix seulement que nous pourrons conjurer la menace de la prise du pouvoir par l’extrême-droite, et la destruction des acquis démocratiques et en particulier des libertés syndicales qu’elle mettrait rapidement en œuvre une fois élue.