1) Le petit chaPUBron rouge, Alain Serres et Clotilde Perrin, Rue-du-Monde.
2) La garde-robe, Emmanuelle Houdart, Editions Thierry Magnier.
**Le conte et la pub
Encore un album sur le Chaperon rouge ! Voilà qui n’est guère original pourrait-on se dire.Mais les contes ont de commun avec les mythes qu’ils se prêtent bien volontiers à la relecture. Cette version apparaît au départ bien traditionnelle : dans une forêt enchanteresse mais vaguement inquiétante, le petit chaperon rouge reconnaissable à l’improbable couleur de sa robe et de ses chaussons est l’objet de toute l’attention de ses mère et grand-mère.
Et puis voilà que l’image suivante aux couleurs sagement équilibrées entre le grisé du décor et le rouge vif des habits de la petite fille est comme bousculée par une image aux tons criards vantant les vêtements pour les 5-65 ans de la marque Chap&Ron ! Il s’agit là de la première des multiples publicités fictives qui jalonnent le récit. Et au fil de la lecture, on se prend à guetter le surgissement impromptu des réclames intempestives mais drôles, nées de rapprochements à l’humour parfois délicieusement teinté de noir.
La rencontre avec le loup est ainsi l’occasion de louer les mérites d’une assurance, voire les vertus d’un dentier qui « jamais ne lâche sa prise » et jusqu’au téléphone portable qui aurait permis à la petite d’appeler à l’aide du fond de l’estomac du loup !
L’envahissement de l’histoire par la publicité peut se lire comme une dénonciation de l’intrusion publicitaire ou comme invitation à la réflexion sur les procédés de manipulation qu’elle met en œuvre. Elle est riche aussi du décalage des deux univers que le récit oppose : le monde faussement immobile et tranquille du conte où se jouent pourtant les enjeux de la vraie vie portés par les illustrations de Clotilde Perrin et l’agitation vaine et stérile de la course à la consommation d’une caricature du monde moderne, univers qui se retrouvent dans les fausses pub que signent de nombreux illustrateurs de la famille de Rue-du-Monde. Une bien belle manière de faire du conte un mode d’interpellation du réel. [**Le petit chaPUBron rouge,
Alain Serres et Clotilde Perrin, Rue-du-Monde*].
**La garde-robe
Dans le monde de la littérature-jeunesse, Emmanuelle Houdart occupe une place résolument à part. Auteure d’une oeuvre singulière faite d’albums aux illustrations qui relèvent d’un univers très personnel et reconnaissable où elle n’hésite pas à mettre en scène avec force humour grinçant ses rêves, obsessions et cauchemars. Mais la littérature-jeunesse obéit à des règles que sans doute l’auteure rêvait de transgresser un jour. Ce livre répond à cette injonction.Publié par son éditeur habituel, Thierry Magnier, sous forme d’album alors qu’il n’en est pas un, c’est un objet éditorial inconnu. Ce livre donne à voir à travers 18 illustrations en couleur l’image obsédante d’un corps rêvé, voire plutôt cauchemardé, chirurgie viscérale fantasmée où se lisent peurs et ambitions, fêlure et espoir, exorcisme et défi.
Livre de femme s’il en est, il relève d’un humour d’un noir parfois très sombre, parfois plus léger mais qui ne se départit jamais d’une certaine gravité qui ne cesse de grandir au fil des pages jusqu’à l’apothéose finale kitsch et pourtant si authentique.
Ouvrage d’art porté par une réjouissante poussée libératrice, il contient en son centre un cahier de feuillets roses (c’est un livre de filles on vous dit !) ouvert à des textes d’amies (pas que des femmes cependant) qui se sont essayées au même genre d’exercice mais en écriture. Parmi ces textes en écho, un récit bouleversant de Marie Depleschin. Au final, la garde-robe d’Emmanuelle Houdart ne cesse d’intriguer à l’image des sentiments que l’on cherche malgré soi à déchiffrer sur les traits de certains visages. La tristesse ou la détermination que l’on peut finalement y lire ne se laisse pas si facilement apprivoiser. [**La garde-robe,
Emmanuelle Houdart, Editions Thierry Magnier.*]