Des jeunesses syndiquées ?

DOSSIER

  • pp. 22-23 du dossier du numéro 103 de la revue de l’Ecole Emancipée / Par Robi Morder

Les jeunes scolarisé.es et/ou dans l’emploi représentent un enjeu pour le renouvellement syndical. Il est de la responsabilité des organisations syndicales de prendre en compte leur quotidien.

Parler des jeunesses populaires et du syndicalisme implique de rompre avec des oppositions du type jeunesses populaires/jeunesses scolarisées ou jeunesses au travail/jeunesses sans emploi. En réalité, ces catégories sont étroitement imbriquées.

Les jeunesses populaires sont (ou ont été) scolarisées. Parmi les 8,1 millions de 15-24 ans, on en compte 5,4 de scolarisé·es, soit les deux tiers, et pour les seuls 15-18 ans, le pourcentage atteint 90 %. Dans l’imaginaire collectif, l’apprentissage demeure encore lié à l’exploitation des jeunes jusqu’à 16/17 ans préparant le CAP ou le BEP. Or, la réalité est bien différente : en 2022, les 834 000 apprenti·es sont majoritairement des étudiant·es (57 %) tandis que 18 % préparent un baccalauréat. Ne restent plus que 200 000 jeunes pour le niveau CAP, soit moins du quart des apprenti·es.

Quant à l’emploi, si le chômage frappe davantage les jeunes, il n’en demeure pas moins que la majorité des jeunes actif·ves sont en emploi, (soit 2,6 millions contre 570 000 chômeur·euses), certes souvent précaire (dont l’apprentissage), mais en emploi tout de même. Et là encore, il y a imbrication entre jeunes scolarisé·es, notamment étudiant·es, et monde du travail. N’oublions pas que si 40 % des étudiant·es travaillent – pourcentage quasiment inchangé depuis des décennies – la quantité, elle, est significative ; plus d’un million d’étudiant·es, quel que soit leur statut, cela correspond à 6 % du salariat du privé.

Ces jeunesses populaires scolarisées sont un enjeu pour le renouvellement syndical, pour que les jeunes générations acquièrent au cours de leur scolarité des expériences d’action collective. C’est dans les établissements scolaires que les jeunes se retrouvent – surtout dans le secondaire – quotidiennement, plusieurs heures par jour. Dans les entreprises, iels sont minoritaires – hors secteurs particuliers comme la restauration rapide, par exemple – alors que sur les lieux d’habitation et quartiers, les conditions de l’action collective sont plus difficiles.

Le syndicalisme de la jeunesse scolarisée est, on le sait, minoritaire et dispersé. Il ne se différencie guère au fond de l’ensemble de l’état du syndicalisme en France, mais en anticipe souvent les reculs comme les innovations et les avancées. Le mouvement contre le CPE de 2006 est la dernière grande victoire sur une réforme du Code du travail.

La fin d’un modèle ?

La mobilisation jeune contre les retraites a connu – à l’instar de ses homologues « adultes » – un front syndical uni et une participation ponctuellement importante aux manifestations, principalement autour de l’indignation provoquée par l’utilisation du 49-3. Plus que la revendication sur les retraites, préoccupation plutôt lointaine à leurs yeux, c’est la remise en cause d’une dignité citoyenne qui a mis, un moment, en cortèges massifs étudiant·es et lycéen·nes.

On peut mesurer le nombre d’adhérent·es des syndicats, il est plus difficile d’évaluer ce qui est important, à savoir l’audience et l’influence des organisations à vocation représentative. Les élections universitaires mobilisent peu (10 à 15 %), sans que l’on puisse parler de dépolitisation, car la participation aux élections politiques est bien plus importante. Le champ syndical étudiant est partagé, pourrait-on dire, moitié/moitié entre d’un côté la Fage, occupant un espace à la fois associatif et syndical, et un syndicalisme s’affirmant plus à gauche, réparti entre l’Unef, l’Union étudiante, la Fédération syndicale étudiante (FSE), Solidaires-étudiant·es, le Syndicat des étudiants, lycéens et apprentis (Sela). L’Unef a subi plusieurs crises et départs au cours des dernières années, l’Union étudiante vient de se créer et d’obtenir la 2e place au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser). Toutes ces organisations se veulent parties prenantes du mouvement social et des intersyndicales, mais seules Solidaires et les Sela (liés à des structures CGT) sont des composantes de leurs unions ou confédérations.

En 1946, avec la « charte de Grenoble », l’Unef avait fondé un modèle syndical étudiant, unitaire, à la fois indépendant organiquement et s’affirmant en tant que « syndicat unique » composante du monde syndical tout entier. Avec la syndicalisation directe d’étudiant·es et lycéen·nes par les confédérations, on peut se demander si l’on n’assiste pas à la fin de ce modèle. ■

Pour aller plus loin :

J-P. Legois, M. Marchal et R. Morder (coord)., Démocratie

et citoyennetés étudiantes depuis 1968, Paris, Syllepse, 2020.

Site du Germe (Groupe d’études et de recherches sur les mouvements étudiants) : www.germe-inform.fr

Statistiques : Portrait social de la France (Insee), Repères et références statistiques 2022 (MESR).