La crise que nous traversons est avant tout sanitaire, mais elle résulte d’autres crises (politiques, environnementales, économiques,…) et en entraîne d’autres : les crises révélées aujourd’hui, et celles que nous tenterons d’empêcher demain. Les répercussions de la crise sanitaire sur notre société sont tellement nombreuses que tous nos fonctionnements sont altérés : les relations sociales, le rapport au travail, la place de la consommation, le besoin de liberté… La priorité de la santé sur tous les autres besoins nous oblige à repenser la hiérarchie de nos combats, à en mesurer les urgences, sans renoncer à aucun. Pour faire le tour des aspects de cette crise et tenter une analyse, nous avons produit un texte long consacré aux enjeux liés au Covid 19. Dans cette contribution aux débats, nous ne reprendrons donc pas les éléments larges d’une telle analyse, nous tenterons de nous concentrer sur les tâches syndicales qu’il nous faut aujourd’hui mettre en œuvre : car nous pensons que le syndicalisme a une lourde responsabilité dans la période, aussi bien auprès des travailleur-euses pour garantir leurs droits, qu’au niveau des luttes à mener pour mener à bien la nécessaire transformation sociale. Avec un motif d’espoir pour le syndicalisme aussi : cette terrible crise démontre la centralité du monde du travail. C’est bien le travail qui crée la richesse, pas la finance !
Les causes de la pandémie que nous vivons sont multiples : mais la crise sanitaire que nous traversons actuellement aurait pu être vécue différemment, et la responsabilité en incombe aux choix politiques des gouvernements successifs. Les choix imposés par le néolibéralisme ont conduit à appauvrir l’offre médicale, à affaiblir le système hospitalier, et le gouvernement actuel ne peut pas dire qu’il n’était pas au courant : depuis un an, les services des Urgences alertent sur le délabrement de l’hôpital public ; avant eux, les personnels des Ehpad avaient été en grève massivement, soutenus par les organisations de retraité-es. Ces personnels ont été ignoré-es et méprisé-es au mieux, gazé-es et brutalisé-es l’an passé, par le gouvernement Philippe qui par ailleurs, a poursuivi et aggravé la politique de destruction des SP, en particulier l’hôpital. La responsabilité du gouvernement est entière, et quels que soient les trémolos des discours présidentiels qui appellent à l’union nationale, la population n’est pas dupe et la défiance envers le gouvernement est grande. Il convient donc de dénoncer les choix politiques qui vont à l’encontre des besoins sanitaires, sociaux, environnementaux et s’attaquent aux libertés publiques : c’est ainsi que l’on pourra demander des comptes et imposer nos alternatives le moment venu.
Ne rien laisser passer sur les mensonges gouvernementaux : les masques, les tests, les chiffres de mortalité dans les Ehpad, le silence sur les décès à domicile des personnes âgées (plus de 9000)… Dénoncer le double discours, pour imposer le confinement d’abord ( restez chez vous ) : une référence à l’Etat Providence ( quoi qu’il en coûte) et donc à une responsabilité collective pour affronter la crise. Et un déplacement de cette responsabilité vers une culpabilité individuelle (appliquer les gestes barrières, mais retourner bosser ; choisir ou pas d’envoyer ses enfants à l’école). Exiger aussi, bien-sûr, que les paroles soient suivies d’actes concrets : le secteur médical est en crise, tout comme le secteur social. Les remerciements aux soignant-es doivent se traduire surtout par des moyens durables, en paiement immédiat des heures supplémentaires, en augmentation de salaires, en ouvertures de lits, de postes, etc.
Il y a donc des batailles que l’on peut qualifier de défensives à mener, celles qui conduisent à exiger la suppression de toutes les réformes régressives menées par ce gouvernement, et d’autres offensives, qui permettront d’obtenir des améliorations.
Dans la Fonction publique, l’intersyndicale a mené des actions de façon unitaire depuis le début du confinement pour obtenir la garantie des droits pour les agent-es et les non titulaires : dans le même cadre, d’autres chantiers doivent se mener dans ce même cadre unitaire, notamment pour combattre l’ordonnance concernant les congés et les jours RTT et la défense du droit de retrait. Au niveau de la santé, il est essentiel d’obtenir un plan santé offensif et des moyens conséquents. Puisque E. Macron vante les services publics, et parce que nous bénéficions d’un véritable rapport de forces avec l’adhésion de la population et la reconnaissance du besoin de SP, il faut obtenir un collectif budgétaire planifié dans le but de dégager des moyens d’urgence. Il faut exiger un véritable service public pour la prise en charge du grand âge et de la perte d’autonomie avec le 100 % sécu, que le tribut payé à la pandémie par toute une génération de retraité-es ne soit pas vain. Il faut aussi exiger l’abrogation de la loi de transformation de la FP, notamment en prenant comme levier le maintien des CHSCT qui font la preuve de toute leur pertinence dans la période. La distribution d’une prime aux agent-es mobilisé-es dans la période, accentuant l’individualisation des rémunérations et la division des personnels, ne satisfait pas notre exigence de revalorisation de la valeur du point d’indice. C’est le moment de mener ces batailles avec l’intersyndicale FP, et de mener ensemble une campagne en faveur des SP. Dans la justice, d’autres réformes doivent être abandonnées, à commencer par le code de justice pénal des mineurs.
Le cadre interpro qui a mené la bataille contre la réforme des retraites a repris son activité également, notamment autour de la question du 1er mai. Les organisations syndicales ont agi dans un premier temps, avec les bouleversements induits par la crise, au plus près des salarié-es, pour garantir leurs droits et leurs conditions de travail. L’action syndicale doit aussi se mener de façon plus transversale pour mener des luttes communes à tous-tes les travailleur-euses. Ainsi, les réformes des retraites et de l’assurance chômage ne doivent pas seulement être suspendues, elles doivent être supprimées.
La loi « état d’urgence sanitaire » et les ordonnances prises dans ce cadre renferment des dispositions qui permettent de déroger au droit du travail : allongement de la durée légale du travail, menace sur le droit aux congés… Les pressions du Medef pour dégrader les conditions de travail, y compris en s’appuyant sur la loi qui le permet, sont déjà importantes. La dégradation des conditions de travail ne concerne pas que le secteur privé, elle peut se traduire dans l’éducation, par exemple, par le cumul du travail en présentiel et à distance après le 11 mai. L’action syndicale est donc importante dès maintenant pour garantir les droits de tous-tes (dans l’éducation par exemple, ceux des non-titulaires, ou ceux des stagiaires dont il serait injuste qu’iels ne soient pas titularisé-es au motif qu’iels n’ont pu bénéficier de l’intégralité de leur formation, ou de difficultés constatées avant le confinement, difficultés qui se résolvent habituellement dans la suite d’une année normale), et à plus long terme pour exiger que la crise économique ne se traduise pas pour les travailleur-euses par une nouvelle dégradation des conditions de travail.
Cette loi renferme également de multiples attaques sur le plan des libertés : il faut exiger que les dispositions de la loi ne soient que temporaires, explicitement liées à cette situation d’exception, et qu’elles ne s’inscrivent pas dans le droit commun. Le consentement au confinement pour des raisons de sécurité sanitaire ne vaut pas n’importe quel consentement en termes de liberté : ainsi, la société qui se prépare pourrait être celle du contrôle et de la surveillance accrue si l’on ne l’empêche pas (surveillance via les forces de police, les drones, les caméras de surveillance, le numérique…). La proposition du traçage est une question grave : présentée par le gouvernement comme incontournable, ce n’est pourtant pas la solution adoptée dans d’autres pays. Le traçage ne peut remplacer la nécessaire augmentation du nombre de personnes testées en France. Son utilisation sert, entre autres, à masquer le retard considérable pris par l’État en matière de tests. En outre, parce qu’elle porte clairement atteinte aux libertés individuelles et qu’elle implique la surveillance des populations, cette proposition met en péril un certain nombre de droits démocratiques. Avec la LDH et d’autres organisations du collectif contre l’état d’urgence de 2015, la FSU doit s’opposer à ce dispositif, et imposer un débat public sur des moyens alternatifs au service d’une politique de santé publique efficace.
Cette crise a aussi amplifié des inégalités sociales importantes, des situations de grande pauvreté, des questions de violences intrafamiliales. Le ressenti d’injustices sociales et les réels clivages de classes exprimés en partie par le mouvement des GJ n’ont pas disparu. La colère sociale peut de nouveau ressurgir, animée par la volonté de demander des comptes : le syndicalisme de transformation sociale doit porter l’exigence de répondre à l’urgence sociale et à l’aspiration à plus de justice. Il peut là encore être force de propositions et mener des combats. Développer les services publics est une des réponses, essentielle : conforter le travail social en lui donnant les moyens d’agir sur le terrain, au plus près des familles et des jeunes en difficulté et pour que les associations ne soient pas l’unique façon de venir en aide aux plus démuni-es, les femmes victimes de violence, les SDF, mais aussi les migrant-es et les jeunes LGBTI, et obtenir la fermeture des CRA. D’autres pays l’ont déjà fait, il faut aussi obtenir un moratoire sur les loyers et les crédits, et un revenu minimum garanti pour tous-tes : ces combats doivent se mener avec nos partenaires CGT et Solidaires, ils permettent de poser des jalons pour construire un « monde d’après » plus solidaire.
Il existe un autre cadre unitaire, le collectif pour l’urgence sociale et écologique, dans laquelle la FSU est très impliquée. La pétition « Plus jamais ça » a déjà récolté plus de 130000 signatures, il faut continuer à la populariser et ancrer l’action du collectif au niveau local. Ce cadre doit nous permettre de porter des alternatives pour rompre avec les politiques néolibérales, alternatives sur le plan économique (avec des mesures d’urgence, mais aussi des propositions de plus long terme : repenser la fiscalité, rétablir l’ISF, taxer davantage les transactions financières, débloquer des fonds pour de réelles mesures en faveur de l’environnement….). Il nous faut porter, quel qu’en soit le cadre, des propositions de nationalisations, relocalisation de la production (créer un pôle public du médicament), favoriser les circuits courts, interdire les licenciements, … Ce qui a été possible pendant cette période de confinement doit aussi alimenter les débats pour remodeler la société de demain dans le sens que l’on veut : les alternatives à l’enfermement (des mineurs, des détenus en fin de peine), la réquisition de logements pour les SDF, la prolongation de la trêve hivernale sur les loyers, des solutions d’hébergement décent et de prise en charge pour les migrant-es avant leur régularisation …
La date du 11 mai marquera la sortie progressive du confinement. E. Macron a annoncé la date très en amont (4 semaines) mais a laissé planer le plus grand flou sur la mise en œuvre (tout est dans le mot « progressif »). Après 8 semaines de confinement, dont les plus pauvres sont les premières victimes, le déconfinement est souhaitable. Cependant, il n’est pas certain que les conditions sanitaires soient réunies pour permettre la sécurité du plus grand nombre face à l’épidémie. Personne n’est dupe sur l’intention première du gouvernement : répondre là aux exigences du Medef en vue de la reprise de l’activité économique. La FSU doit donc continuer, comme elle le fait depuis le début, de rappeler que la santé est la première des priorités et que les protections (masques, tests…) doivent être fournies à l’ensemble de la population.
Par ailleurs, le président a choisi de faire coïncider la sortie du confinement avec l’ouverture des lieux scolaires. Pourquoi ? C’est un choix que n’ont pas fait des pays voisins (Espagne, Portugal, Italie). Il était tout à fait possible de dissocier les deux.
Or, ce choix de rouvrir les crèches, écoles et établissements scolaires et sociaux n’est pas sans poser problème. Si E. Macron a décidé de fermer dans la plus grande précipitation les écoles à compter du 13 mars au soir, c’est parce que les enfants sont des vecteurs souvent asymptomatiques mais très contagieux du virus. L’affirmation contraire qui circule avec force ces derniers jours n’est étayée par aucune expertise scientifique d’ampleur… Par conséquent, rouvrir les lieux scolaires le 11 mai revient à prendre le risque de relancer l’épidémie et de ruiner les efforts d’un confinement long, qui commence à porter ses fruits. C’est donc menacer la population d’une nouvelle vague de contamination, avec la dangerosité que l’on sait, le taux de mortalité des plus âgé-es, etc. C’est évidemment un risque inacceptable, la population (personnels de l’éducation, parents d’élèves) et les élu-es dans les communes ne comprennent pas cette décision. Le ministre de l’EN, par ailleurs, égrène sans concertation des annonces sans aucune logique, ce qui témoigne à la fois d’une impréparation et d’une méconnaissance du terrain.
Pire : l’avis du conseil scientifique (que le gouvernement a mis 5 jours à rendre public !) préconise de ne pas rouvrir les crèches et lieux scolaires jusqu’en septembre. La décision d’E. Macron (qu’il a prise seul) de rouvrir le 11 mai est donc un choix purement politique, par ailleurs irresponsable quant aux risques encourus.
Outre la question de la mise en danger que représente cette « reprise » (en présentiel, car de reprise, il n’y a point, l’activité des enseignants-es n’ayant jamais cessé), d’autres questions se posent sur le sens de cette mesure : si groupes restreints, quels élèves accueillir ? Pour quel travail, si réunir le groupe classe n’est pas possible ? Dans quel but, s’il s’agit de les « accueillir » seulement pour un dispositif confus qui s’apparente à de la garderie ? Comment peut-on croire qu’il sera possible de faire respecter les gestes barrières, les distances de sécurité à des enfants ou des adolescents ? D’autant que, malgré les remarques de toute la communauté éducative, le Premier ministre maintient la taille des groupes scolarisés à « pas plus de 15 », chiffre qui est totalement ingérable dans les écoles primaires et les classe de collèges et bien supérieur au maximum de 10 annoncé pour les rassemblements dans l’espace public à partir du 11 mai… Quel est le sens de l’école quand E. Macron déclare que la présence se fait « sur la base du volontariat » ?
Par ailleurs, les questions restent entières après l’annonce du plan de déconfinement fait par E. Philippe le 28 avril : garanties sanitaires largement insuffisantes, refus de prendre le problème de l’Ecole dans ses aspects sociaux et sociétaux, annonces en contradiction complète avec les précédentes (sur les dates de retour en classe des différents niveaux), ou qui ne précisent rien concrètement mais renvoient l’organisation à la responsabilité locale, celle des hiérarchies et des collectivités territoriales, mais aussi à celle des parents d’élèves. Il a même parlé d’un possible report de la reprise, la décision finale étant prise le 7 mai. Les injonctions paradoxales, les mensonges récurrents sont érigés en éléments de langage et le Premier Ministre en use abondamment pour masquer l’impréparation et son incapacité à tenir un discours de vérité.
La FSU a réagi depuis le début des annonces au sein d’une intersyndicale éducation et avec la FCPE, c’est un cadre qui a permis que la parole syndicale soit audible et qu’elle pèse : ne serait-il pas logique, en prenant appui sur la note du Conseil scientifique publiée le 25 avril, que la FSU demande désormais publiquement au gouvernement de repousser l’ouverture à septembre ? Car si les garanties sanitaires ne sont pas satisfaites (masques, effectifs d’élèves, désinfection des locaux…), la reprise en présentiel ne pourra pas se faire, et elle n’est pas souhaitable. Ce sont également les conditions de la rentrée scolaire 2020 pour le service public d’éducation qui se jouent dans la période.
Pour appuyer cette revendication, il est nécessaire de faire pression sur le gouvernement : la FSU joue gros car ce sont ses principaux champs d’intervention qui sont concernés. L’appel à l’action collective peut prendre différentes formes, y compris celui de l’exercice du droit de retrait, mais pour montrer aux personnels sa détermination et mettre la pression sur les autorités en vue d’assurer des conditions de travail sécurisées pour tou-tes, la FSU doit déposer un préavis de grève, et formuler une alerte sociale dès maintenant pour la période qui s’ouvre à partir du 11 mai (pour couvrir la progressivité annoncée de la reprise). Pour l’instant, le calendrier et les mesures annoncées ne comportent pas de protocole sanitaire, signe que le gouvernement navigue à vue : s’il n’y a aucun protocole sanitaire pour cadrer de façon nationale et satisfaisante la reprise le 11 mai, la FSU doit militer pour exiger le report de cette date. Et démontrer qu’il ne s’agit pas là de la seule protection des élèves et des personnels, mais d’une question de santé publique qui concerne la société tout entière.