Claude Gautheron : Agir pour s’opposer à la politique éducative Blanquer

A la rentrée 2017, nous avons été confrontés au dédoublement des classes de CP en REP+ : cette mesure correspondant à nos revendications d’allègement des effectifs n’était alors pas facile à dénoncer. Ce que nous avions pressenti comme davantage problématique était le fait qu’elle soit assortie d’un affichage de « 100% de réussite au CP ». Cette affirmation aurait pu laisser croire à une volonté de démocratisation de l’école mais, sachant d’où elle venait, elle ne pouvait qu’aiguiser notre méfiance. A l’heure qu’il est, Blanquer a commencé à déployer son arsenal de textes pour orienter les pratiques des enseignant-es dans le sens que l’on connait. Par exemple la remise sur le devant de la scène de la méthode syllabique qui serait la solution aux difficultés des élèves dans la maîtrise de la langue écrite.

On sait déjà que ce leurre, facile à dévoiler au regard de la recherche, n’aura d’autre résultat que de conforter les inégalités scolaires qui participent de la reproduction des inégalités sociales. La meilleure preuve est celle des effets de la politique de Blanquer quand il était DGESCO sous le mandat Sarkozy : les mêmes méthodes avaient été préconisées dès 2005 puis institutionnalisées avec les programmes de 2008. Les résultats sont irréfutables : les évaluations internationales PIRLS 2016 mettent en évidence que les élèves scolarisés entre 2006 et 2015 (donc soumis aux préconisations de 2005 puis aux programmes de 2008) obtiennent des résultats en baisse en ce qui concerne les compétences en langue. Ce ne sont pas les questions de codage-décodage qui posent problème mais bien la compréhension fine des textes.

Alors ? Incompétent ce Blanquer ? Attaché aux valeurs du passé, blouse grise et encre violette ? Ce serait trop simple. N’allons pas imaginer que l’école soit en dehors des problématiques sociales et politiques du moment, qu’elle fonctionne hors de tout contexte et que ceux qui gouvernent le monde acceptent de se priver de ce levier que chacun s’accorde à qualifier de déterminant pour l’avenir. La poussée du libéralisme contre laquelle tente de s’organiser le mouvement social n’épargne pas l’école. Quand on vise l’employabilité plutôt que l’émancipation des individus, on privilégie le codage-décodage plutôt que la lecture et la recherche de sens. Quand on vise toujours plus de profits pour les actionnaires, on sait que les accidents du travail ont un coût très important pour les entreprises et qu’ils sont en majorité dus au non-respect des consignes de sécurité par des salariés ne maitrisant pas la lecture de messages courts. Et quand on veut des premiers de cordées et des suiveurs, on prolétarise le métier d’enseignant-e pour l’assujettir aux injonctions ministérielles. Cherchez le premier de cordée… Et on n’a pas intérêt à démocratiser l’école… même si on a tout à gagner à en donner l’illusion !

C’est bien parce que l’école est un instrument puissant du politique que les réformes en matière d’éducation en disent long sur la société qu’on entend nous préparer. Mais c’est aussi pour cette raison que l’école se doit d’être présente dans le débat public, que les enjeux qui lui sont liés soient explicités, que les fausses bonnes idées soient déconstruites… Changer l’école pour changer la société, nous sommes tous d’accord pour le penser. Mais quelle école pour quelle société ? Leur école n’est pas la nôtre car la société qu’elle nous prépare n’est pas celle que nous voulons construire.

Comme les cheminots et les cheminotes, les infirmières et les infirmiers, les personnels de EHPAD ou de la poste, les enseignants et enseignantes sont légitimes pour faire connaitre les conséquences des réformes en cours dans leur secteur professionnel, aussi bien sur l’avenir des personnels que pour les usagers et usagères et pour la société toute entière.

Nous aurons l’occasion dès les mobilisations de mai de faire en sorte que la caporalisation déjà à l’œuvre soit dénoncée mais nous devrons surtout établir un plan de communication et d’actions dès la rentrée pour contrecarrer le projet gouvernemental pour l’éducation. S’ériger contre les apprentissages par entrainement, répétition, évaluation, contre la concurrence et la sélection pour une véritable démocratisation de l’école et de la société.