Cécile Ropiteaux : Écriture inclusive, vers une langue plus égalitaire

L’actualité récente a montré combien la domination masculine et la « culture du viol » imprègnent nos sociétés. La langue peut aussi être vecteur d’inégalités.

Je commencerai par deux exemples éclairants trouvés sur internet :
« En 1936, les ouvriers indignés votent la grève → Vous voyez des casquettes et des moustaches !

En 1936, les ouvriers et ouvrières indigné-es votent la grève → ça change tout de suite la perspective. »

Pour une recherche, on pose la question : « Quel candidat verriez-vous au poste de premier ministre », on obtient 15 % de femmes dans les réponses ; si on demande « Quel candidat ou candidate », on a alors 40 % de femmes. Le langage influe sur les représentations.

Certains mots n’ont pas de féminin, comme vainqueur. Pour d’autres, le féminin est dévalorisant. La garce n’est pas tout à fait l’équivalent du gars… Le maître à penser n’a pas grand-chose à voir avec la maîtresse qu’on met dans son lit.

Une femme se faisait appeler Madame le directeur de cabinet parce que le féminin, « c’est bon pour les directrices d’écoles ».

Les féminins péjoratifs comme blondasse ou pétasse n’ont pas de masculin.

Avoir du courage ne serait possible que pour les humains « ayant des couilles », les autres étant des « femmelettes » ? L’expression « chef de famille » continue à légitimer le fait que les femmes auraient un salaire d’appoint.

Sans parler du caractère éminemment sexiste et/ou sexuel des injures.
Oui, la langue peut être l’auxiliaire du sexisme, particulièrement quand elle affirme que le masculin l’emporte sur le féminin, qu’elle invisibilise la moitié de l’humanité, ou qu’elle ramène les femmes au rang d’objet sexuel. Elle véhicule et conforte les hiérarchies.

Si le débat est légitime sur les formes à utiliser pour la mettre en œuvre, la démarche de l’écriture inclusive visant à des usages plus égalitaires ne devrait plus être questionnée.

Revenons à ouvriers et ouvrières, à l’écrit, plusieurs choix sont possibles : le doublon, les tirets, ou les points médians… En 2014, le secteur Femmes avait travaillé à des « Conseils pour une rédaction égalitaire ». Puis est sorti le Guide pour une communication sans stéréotype du HCE : 10 préconisations, dont le point médian, mais aussi l’élimination des expressions sexistes, ou l’accord des noms de métiers et fonctions. Il existe donc de nombreuses pistes à explorer pour faire évoluer la langue, à nous de faire preuve de créativité, y compris pour inventer un neutre qui ne soit pas le masculin. Et on verra ce que l’usage retiendra.

L’écriture inclusive a été caricaturée, réduite par ses détracteurs au seul usage du tiret ou du point médian pour mieux la discréditer. Si on creuse un peu, les mêmes -pour les plus virulents- s’opposent :

  • à la nouvelle orthographe et donc à la démocratisation scolaire
  • au mariage pour tous les couples et à l’homoparentalité.

Le 7 novembre a été publié le Manifeste « Nous n’enseignerons plus que le masculin l’emporte sur le féminin », initié par Éliane Viennot depuis plusieurs mois, et signé par 314 enseignant-es. Il a entrainé des réactions violentes et des insultes nauséabondes en particulier sur les réseaux sociaux : on voit bien que les tirets n’étaient qu’un prétexte au refus de tout changement.

Le ministre a exprimé à plusieurs reprises des positions rigides, montrant bien son conservatisme aussi sur cette question. Pourtant, l’accord de proximité, qui était en usage encore au XVIIe siècle, a fait partie des tolérances orthographiques de 1901 à 1977. Mais là aussi les résistances sont vives, que ce soit dans la formation des enseignant-es ou dans les manuels scolaires ! Résistances de ceux qui veulent que la langue continue de servir la reproduction des élites, au premier rang desquels l’Académie française.

Une pétition de soutien accompagne le Manifeste, elle compte actuellement 30 000 signatures. Je vous invite à y ajouter les vôtres.

Ce combat de l’écriture inclusive est jugé annexe par certain-es qui nous reprochent de ne pas nous consacrer aux « vraies questions ». Nous ne les délaissons pas, loin de là ! On ne pourra pas lutter efficacement contre les violences faites aux femmes ou les inégalités salariales sans bousculer les représentations et les mentalités ; faire évoluer la langue n’est donc pas accessoire.