Intervention de Clément Lefèvre (Rouen) sur la massification, la démocratisation et la différenciation pédagogique

Le tri social ou distillation fractionnée des élèves…

La massification des lycées est indéniable mais n’est en rien un exemple de démocratisation. La création des filières professionnelles au lycée n’a pas résolu le problème que posait la coexistence du collège technique et du lycée d’antan. Les réceptacles de la distillation fractionnée des élèves en fonction de leur classe sociale d’origine sont toujours là. La distillation fractionnée ((expression employée par une rapporteuse en lieu et place du tri social) c’est un procédé de séparation par fractionnement qui consiste à porter à ébullition des composants dont les températures d’ébullition sont différentes et de les faire traverser une colonne de séparation qui amplifie ce phénomène permettant de récupérer les composants.

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Ce phénomène chimique s’opère au collège, il consiste à imposer aux élèves en difficulté qui arrivent à ébullition dès la cinquième, qu’ils doivent « réfléchir à un projet d’orientation », puis de lire la déception de ceux évacués à la suite de la colonne commune, quand on leur interdit l’accès à la seconde générale et technologique, quand l’école a renoncé à leur donner les clés pour y parvenir. Loin de démocratiser l’accès à une culture commune, les réformes récentes (Chatel, refondation, collège 2016…) amènent la distillation fractionnée sous vide, c’est à dire qu’on abaisse la température d’ébullition des fractions lors du procédé : par la logique mortifère d’école du socle, de pédagogie différenciée qui veut que l’on trie dans la classe les élèves en fonction de leurs capacités, sans chercher à lever les obstacles qui empêchent d’accéder aux savoirs qui structurent une pensée, on nous demande de segmenter des savoirs les rendant insignifiants et secondaires surtout lorsque les programmes eux-mêmes sont placés au service du socle de compétences. Celles et ceux qui ont résisté à l’ébullition, les plus méritants, auront sans doute la chance de quitter le lycée vers les CPGE puis les grandes écoles, paroxysme du tri social. Si nous en demandons la suppression, c’est pour qu’à la suite du lycée commun, toutes et tous les étudiant-e-s puissent accéder à une université permettant les mêmes conditions d’étude. C’est pourquoi la démocratisation scolaire réelle, c’est à dire l’accès de toutes et tous à une culture commune permettant de penser et d’agir sur le monde n’est pas faite et ne sera jamais effective sans l’unification de la scolarité des élèves jusqu’à 18 ans, et l’accès de toutes et tous à un enseignement supérieur de très haute qualité.