Des classes de seconde à effectifs limités ?

Depuis quelques années, les lycées Le Corbusier (Aubervilliers), Henri Wallon (Aubervilliers) et Paul Eluard (St Denis) expérimentent les classes de se- conde à effectifs limités (18, puis 20 élèves au Corbusier ; 18 élèves à Henri Wallon et 24 élèves à Paul Eluard). Ce choix, les militants école émancipée des établissements, majoritaires, l’ont soutenu et le portent tous les ans au conseil d’administration. Il a eu pour conséquence la suppression des demi-groupes dans quasi toutes les matières, des tensions – passagères – avec les collègues, mais aussi un alourdisse- ment de notre nombre de classe et, dans une certaine mesure, de notre charge de travail. Sommes-nous passé à l’ennemi ? Aurions-nous renoncé, et choisi, de gérer la pénurie de cette façon ? Il nous semble que le débat est plus profond et que nos choix recoupent des orientations pédagogiques qui sont com- munes aux militants de l’école émancipée. Nous choisissons ici de vous en faire part, afin d’entamer un dé- bat difficile dans le syndicat.


Les classes de seconde à 35 et même à 30 apparaissent comme invivables en particulier dans les lycées difficiles. Dans nos lycées nos collègues et nous- mêmes nous sentions dépassés, incapables physiquement et nerveusement de gérer la masse d’élèves en difficulté et de répondre aux besoins des plus fragiles tout en prenant en compte l’hétérogénéité. Physiquement, les établissements n’étant pas prévus pour de tels effectifs, il ne restait parfois pas de chaise libre dans la classe. Cette situation n’était satisfaisante pour personne. Les élèves subissaient les cours ; nous aussi ; il était plus facile d’exclure un-e élève trop bruyant-e, plutôt que de prendre le temps de chercher à surmonter ses difficultés ; on se satisfaisait d’une ou de plusieurs absences en classe. La plupart des cours où les classes étaient dédoublées – de plus en plus nombreux suite à d’incessantes luttes syndicales, – ne compensaient pas la fatigue et la pénibilité des cours en classe entière.

Dans ce cadre, les classes à effectif réduit représen- taient des bénéfices immédiats, en termes de climat scolaire et d’ambiance de travail entre les élèves et entre les collègues. Par ailleurs, il nous semblait im- portant, plutôt que de multiplier des heures dédou- blées, de constituer dans les classes des collectifs d’élèves stables mais peu nombreux, afin de leur per- mettre de travailler ensemble à la réussite de tous.

Les difficultés d’enseignement quotidiennes avaient déjà fait émerger des collectifs militants dans ces établissements. Par ailleurs, des discussions régulières avaient lieu, en salle des profs ou entre les équipes éducatives sur les meilleurs moyens pour arriver à enseigner. Nous, militants de
l’école émancipée, avons trouvé dans ce projet le moyen de concilier l’objec-
tif de l’émancipation et de la réussite scolaire de tous
les élèves avec l’amélioration de nos conditions d’exercice. Mais cela pas-
sait par l’obtention des moyens financiers pour y arriver.

Enfin, nous avons bénéficié de l’initiative positive de chefs d’établissements volontaires, à l’écoute des revendications enseignantes et soucieux de faire réussir les élèves. Ces chefs ont réalisé un travail de fourmi pour arriver à proposer la diminution du nombre d’élèves par classe.

Des compromis nécessaires

Les établissements avec des classes à effectif limité n’ont pas une dotation globale (DHG) extraordinaire. Chaque année (et à chaque DHG), on mène à nou- veau le combat, pour maintenir cette structure. Cela passe par des discussions (parfois animées) entre collègues ainsi que des votes contre la structure pro- posée par le rectorat en CA.

La structure alternative que nous mettons en place a un coût. Passer les classes de seconde de 30 élèves à 20 (ou 24) élèves a un coût sur la DHG (que nous prenons sur d’autres niveaux).

Dans ces classes, il n’y a plus aucun dédoublement, et tous les horaires disciplinaires sont toutes au plan- cher. Cela implique de faire des cours de langue vi- vante ou des travaux pratiques avec un effectif plus important qu’un simple dédoublement. Lorsqu’un enseignement est limité à 15 ou 16 élèves (l’enseigne- ment d’exploration CIT au Corbusier ou les travaux pratiques à Eluard, par exemple), cela demande un alignement de trois classes pour faire quatre groupes. Sans compter que passer de douze classes à 30 à dix-huit classes à 20, implique aussi d’avoir des salles libres dans l’établissement. Il est quasiment impossible de mettre en place ces effectifs limités sans un travail important sur les emplois du temps. De plus, ce choix de structure alourdit considérablement le nombre de classes par collègue, et donc aussi le nombre de conseils de classes…

Tous ces éléments ont donné lieu à de nombreuses discussions, parfois houleuses, entre les enseignants. Au lycée Le Corbusier, nous avions refusé de passer toutes les classes de seconde à 22 élèves (sans dédoublement), car les bénéfices ne nous semblaient pas suffisants en regard du prix à payer. A Paul Eluard, nous avons dû négocier avec les profs de sciences qui ont refusé les classes à 20 et par conséquent les classes sont à 24.

Quels résultats ?

On touche ici à la principale critique : il est presque impossible de chiffrer l’avantage que représentent les classes à 20. C’est pourquoi le rectorat ne cesse de mettre en avant que les taux de redoublement (tant qu’ils existaient) ou les taux de passages par filière n’ont pas significativement changé. Certes, le taux de réussite au bac a augmenté dans nos établissements, à titre d’exemple, au lycée Le Corbusier, les taux de réussite au bac sont en augmentation constante (passant de 50% à 80% en STMG notamment), mais c’est le cas nationalement. Notons cependant, que nos lycées sont au-dessus des attendus académiques. Mais, pour nous, c’est une erreur majeure de vouloir absolument chiffrer toute évolution pédagogique. C’est impossible !

Un des seuls éléments chiffrables est celui du climat scolaire, qui est fortement apaisé. Indice significatif, le nombre de conseils de discipline a été divisé par trois en cinq ans au lycée Le Corbusier. Dans les classes, chaque enseignant à enfin le temps de s’intéresser à chaque élève. Nous avons la possibilité physique de nous asseoir à côté d’un élève pour l’aider à progres- ser et à comprendre le cours, chercher des solutions avec lui. Et puis, pourquoi se voiler la face, à 20 ou 24, on peut gérer une classe constituée d’élèves diffi- ciles. Nous ne sommes plus dans la dynamique « marche ou crève » dans laquelle se retrouve la plu- part des enseignants des classes surchargées.

Alors évidemment, les classes à effectif limité ne sont pas la solution miracle. On a toujours des élèves en difficulté et des élèves qu’on n’arrive pas à raccrocher à l’école. Mais peut être à la marge, a-t-on l’impression d’en aider davantage. En tout cas, on a encore la force de tenter des choses pour le faire. Par ail- leurs, à Paul Eluard, la question des seuils s’est réglée par de coûteux compromis avec des alignements de classes pour faire des TP de sciences à 15 et quelques dédoublements en langues qui ne satisfont qu’en partie les équipes et coûtent cher en heures d’autonomie. Mais tout le monde trouve que le travail en classe s’est amélioré, et nul ne semble, y compris les détracteurs du projet initial, vouloir revenir en arrière.

En tout état de cause, l’abaissement des effectifs a libéré les forces productives des enseignants. Il a aussi libéré leur souffle pédagogique et leur capacité à travailler ensemble. Le nombre de projets en classe, interdisciplinaires, pédagogiques, etc. a été démultiplié. En diminuant le nombre d’élève par classe, nous diminuons le nombre de copie par classe, le nombre de difficultés scolaires, sans pour autant casser le groupe classe. Nous pouvons enfin prendre le temps de réfléchir, individuellement et collectivement, aux moyens que nous mettons en œuvre pour l’émancipation de chaque élève au sein du groupe classe.

Sabrina Camoreyt et Raphaël Giromini