Avortement : l’enjeu de la maîtrise du corps des femmes

Article publié dans la revue n°97

Le 24 juin dernier, la cour suprême des États-Unis a révoqué l’arrêt Roe vs Wade remettant en cause le droit constitutionnel des femmes à avorter. Cette révocation a été rendue possible par la nomination par Donald Trump de juges conservateur·trices, les rendant majoritaires. C’est un recul sans précédent qui met en péril le droit à la santé des femmes et des filles, mais aussi le droit à l’avortement ailleurs dans le monde.

Aux USA, ce sont d’ores et déjà treize états qui en ont profité pour interdire ou fortement restreindre le droit à l’avortement, 21 millions d’états-uniennes (une femme sur trois) sont concernées.

Si les États-Unis sont au coeur de l’actualité, le droit à l’avortement est aussi attaqué en Europe à cause de politiques plus ou moins autoritaires. 

En 2013, en Espagne, le gouvernement conservateur a tenté d’autoriser l’avortement uniquement en cas de viol ou pour la santé de la mère. 

En 2015, sous la pression du mouvement « Pour le droit à naître », le Portugal a mis fin au remboursement de l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

En 2020, en Pologne, sous l’influence du pouvoir ultra conservateur et de l’église polonaise, le droit à l’avortement a encore été réduit en l’interdisant même en cas de malformation du fœtus.

La Maltaise Roberta Metsola, militante anti avortement, a été élue à la tête du Parlement européen ! En Andorre et à Monaco, l’avortement est encore interdit.

Les femmes des Philippines, du Laos, d’Égypte, du Congo, du Sénégal, de Haïti, du Honduras, du Nicaragua et tant d’autres n’ont pas accès à un avortement légal. Au Salvador, des femmes sont en prison parce qu’elles ont fait des fausses couches et sont soupçonnées d’avortement. Le Brésil, l’Afghanistan et bien d’autres imposent des restrictions drastiques… 47 000 femmes décèdent chaque année dans le monde à la suite d’un avortement non médicalisé.

En France, le délai légal de recours à l’IVG est passé de 12 à 14 semaines, mais entre l’Assemblée nationale et le Sénat, les débats ont duré deux ans et demi et la proposition de loi est passée sans l’accord de l’exécutif qui était réticent à le prolonger même pendant le confinement. Le Parlement a en revanche refusé de supprimer la double clause de conscience spécifique à l’IVG.

Des député·es LR avaient justifié leur opposition au texte au nom du « droit de l’enfant à naître » et Emmanuel Macron avait pris position en arguant que l’avortement était « plus traumatisant dans ces délais là » (sic). 

Dominer, contrôler

Le contrôle du corps des femmes est au cœur de la domination masculine et des inégalités femmes hommes. Le droit à l’avortement est un symbole qui, s’il est remis en cause, est une première marche pour d’autres attaques : l’accès à la contraception d’urgence notamment, puis à toute la contraception. 

« Réduites à leur fonction de procréatrices, les femmes sont devenues un objet d’échange entre les hommes pour qu’ils se garantissent la possibilité d’avoir des fils. Toute une autre série de mesures ont ensuite instauré la « domination masculine » : privation de libertés, privation de l’accès au savoir et privation d’accès à toute fonction d’autorité » (Françoise Héritier).

En Floride, en août 2022, une jeune femme s’est vu refuser sa demande d’avortement parce qu’elle a été jugée trop immature par un juge (trop immature pour avorter mais assez pour devenir mère !). 

Mobiliser, ici aussi ! 

Face à ces attaques, à chaque fois, les femmes se sont mobilisé·es et des mouvements de solidarité se sont créés. En Espagne, elles ont réussi à faire reculer le gouvernement. En Pologne, des centaines de milliers de personnes étaient descendues dans la rue dans tout le pays.

Aux États-Unis aussi, les résistances s’organisent. Des manifestations importantes ont eu lieu dans les villes du pays avant et après la décision de la Cour suprême. Aujourd’hui se pose la question de l’organisation sur le territoire des États-Unis d’une résistance qui permette d’entrevoir des solutions pour celles qui ont besoin d’une IVG. 

Des sites ont mis en place des stratégies pour permettre l’envoi de pilules abortives aux femmes qui le souhaitent. Des États démocrates essaient d’ouvrir l’accès à l’IVG à des femmes qui ne viennent pas de leur État. Les habitant-es du Kansas, un État conservateur, ont rejeté, par référendum, une proposition visant à supprimer le droit à l’IVG dans la Constitution de leur État.

Partout dans le monde, des mobilisations ont eu lieu en soutien aux femmes états-uniennes mais aussi aux femmes, ailleurs dans le monde, privées de ce droit ou pour lesquelles il est remis en cause.

Des associations tentent de donner l’accès à l’IVG aux femmes qui n’y ont pas droit, comme le fait Women on Waves, bateau basé dans les eaux internationales pour y accueillir des femmes de pays n’autorisant pas l’avortement. 

En France, le collectif « Avortement en Europe, les femmes décident » dont la FSU est partie prenante avec les associations féministes, d’autres organisations syndicales et des partis politiques, a déjà organisé plusieurs rassemblements à Paris. Des rassemblements ont aussi eu lieu dans plusieurs départements.

Dans ce contexte, il s’agit maintenant de préparer les mobilisations pour la journée internationale pour le droit à l’avortement, le 28 septembre, qui devrait être le point de départ d’une campagne internationale pour les droits des femmes à disposer de leur corps. Des mobilisations locales, au plus près de celles qui en ont besoin, qui subissent le manque de centres IVG et de moyens, seront nécessaires et nous, syndicalistes féministes, devrons nous attacher à construire cette mobilisation autant que celles qui ont lieu dans la même période. ●

Amandine Cormier et Ingrid Darroman