« No Basaran », plus que jamais

« La guerre de l’eau a commencé… », criaient les opposant·es aux mégabassines lors de récentes manifestations, ajoutant «… et nous allons la gagner ! ». L’eau est bien devenue un sujet central en France en l’espace de quelques années, mais cette guerre de l’eau qu’évoquent les manifestant·es se retrouve depuis de nombreuses années aux quatre coins du globe.

par Vincent Gay

En 2000, la lutte victorieuse de la Coordination de défense de l’eau et de la vie contre la politique de privatisation/marchandisation menée par l’État bolivien a été qualifiée de guerre de l’eau. En Palestine, la guerre coloniale permanente menée par les gouvernements israéliens et les colons contre le peuple palestinien passe aussi par une guerre pour l’appropriation de l’eau du Jourdain.

La situation en France n’atteint pas une telle intensité, bien sûr, mais de Sainte-Soline en 2023 aux mobilisations de juillet dernier dans le Poitou, le déploiement des forces de l’ordre, les contrôles permanents, les hélicoptères survolant le Village de l’eau et les manifestations, la protection armée de chaque retenue d’eau, les barrages policiers sur les routes… donnaient corps à cette guerre de l’eau de basse intensité. Si l’orientation répressive de Macron et Darmanin explique en partie cela, les intérêts en jeu donnent aussi la mesure de l’importance du dossier de l’eau, dans une période marquée par les sécheresses, les canicules et la raréfaction des ressources, conséquences des dérèglements climatiques.

Mégabassines : l’acharnement productiviste

Les mobilisations contre les mégabassines ont mis en lumière l’accaparement de l’eau entre les mains d’une minorité de producteurs, avec le soutien des pouvoirs publics. Dans les Deux-Sèvres, le projet initial de construction de 19 mégabassines était évalué à 76 millions d’euros financés à 70 % par de l’argent public. Les agrimanagers bénéficiaires sont essentiellement des producteurs de maïs, première céréale produite dans le monde (1 149 millions de tonnes en 2022)^1^, qui exige d’importantes quantités d’eau durant l’été. La France est particulièrement concernée par la production de maïs. Premier pays producteur européen avec 15 millions de tonnes en 2022, elle a fait du maïs une denrée majeure, essentiellement tournée vers l’exportation, sous forme brute ou transformée. Alors que les sécheresses conduisent à une baisse mondiale de la production, la France s’entête d’autant plus que le maïs devient de plus en plus rentable. Les mégabassines sont la technologie nécessaire à cet acharnement, ce qui explique que leur nombre ne cesse d’augmenter : 71 sont déjà construites, 94 sont en projet^2^. Le cas du Puy-de-Dôme est aussi parlant que celui des Deux-Sèvres, même si le projet de mégabassines est de puiser directement dans l’Allier et non pas dans les nappes phréatiques. Il est porté par un organisme composé de 36 agriculteur·ices dont 32 céréaliculteur·ices, avec une forte implication de la multinationale Limagrain, quatrième semencier mondial, dont les activités se sont diversifiées dans les domaines de la semence et des céréales. L’étude de faisabilité des mégabassines est réalisée par l’Association pour le développement de l’irrigation en Auvergne. Elle est membre de la structure qui porte le projet et son président est également président de Limagrain ; 12 autres agriculteur·ices de cette structure sont adhérent·es ou lié·es indirectement à Limagrain^3^.

Le montant du projet estimé à 25 millions d’euros hors taxe devrait être financé par l’État, la région Auvergne-Rhône-Alpes, l’Union européenne et les agriculteur.rices.

Quelques enseignements du Village de l’eau

Tenu du 16 au 21 juillet à Melle dans le sud des Deux-Sèvres, le Village de l’eau a réuni des milliers d’opposant·es aux projets de mégabassines^4^. Après les très nombreux·ses blessé·es de Sainte-Soline, l’enjeu était d’autant plus important pour la poursuite des mobilisations. De ce point de vue, le village et les manifestations qui ont eu lieu ont tenu toutes leurs promesses, dont on peut tirer quelques enseignements :

1/L’eau est un enjeu mondial et la présence de plusieurs délégations venues d’Europe et de pays du Sud global montraient la similitude des problèmes auxquels nos mouvements sont confrontés.

2/La solidarité internationaliste et les convergences peuvent se construire à partir du local, dès lors qu’un problème posé dans un territoire est intégré dans un cadre plus vaste — ici celui de l’accaparement des ressources par le productivisme agricole.

3/Les luttes se nourrissent entre elles. En effet, la question de l’eau ne se limite pas aux mégabassines, elle concerne par exemple l’accaparement par certaines entreprises industrielles, comme celles de la micro-électronique dans la région de Grenoble5 ou les multinationales de l’eau en bouteille. Dans la dynamique des collectifs Bassines non merci, d’autres collectifs se sont créés concernant la concurrence des usages de l’eau et son appropriation par une minorité à des fins de rentabilité.

4/Les mobilisations du Village de l’eau ont permis de mettre en lumière toute la chaîne productiviste, depuis les champs jusqu’au port de La Pallice, à côté de La Rochelle, où sont stockées les céréales, ainsi que les alliances entre l’État et les acteurs de l’agro-industrie. Selon les opportunités, les mobilisations peuvent se concentrer sur un maillon — les mégabassines par exemple — pour mettre en faillite toute la chaîne.

5/Les organisateur.rices des mobilisations ont démontré un sens tactique après Sainte-Soline. Il s’agissait de ne pas réitérer les affrontements physiques risquant de mettre en danger les manifestant·es, malgré les provocations de Darmanin. Cela a été admirablement conduit lors des deux journées de manifestations, qui ont déjoué les pièges policiers et limité grandement le nombre de blessé·es et d’arrestations.

6/Le haut degré d’organisation collective a démontré la maturité des mouvements écologistes contemporains, les habitudes de travail prises en commun, la couverture d’une grande partie du territoire par divers collectifs…, mais aussi la convergence de plus en plus fluide avec des acteurs associatifs et syndicaux. Pour ces derniers, le travail sur les enjeux de territoires est d’autant plus important qu’il se pose aussi pour le monde du travail, dans des territoires ruraux où le salariat est souvent dispersé. Favoriser ces rapprochements à des échelles locales, continuer à travailler sur ce qui impacte directement le quotidien des personnes, en tant que salarié·es et habitant·es de territoires, voilà qui pourrait dynamiser un écosyndicalisme renouvelé.

  1. Sylvain Leder,« Mégabassines, aux sources de la colère »,Le Monde diplomatique, n° 831, juin 2023. 2. 2. Voir la carte interactive deMediapart, 19 juillet 2024 : https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/190724/carte-interactive-la-frenesie-des-megabassines-ne-faiblit-pas 3. 3. Pour plus dé détails sur ce projet, voir le dossier réalisé par Bassines Non Merci 63 : https://www.bassinesnonmerci.fr/wp-content/uploads/2024/02/Etat_des_connaissances_projet_Billom_Version-Novembre2023-1.pdf 4. 4. Voir le compte-rendu jour par jour sur le site d’Attac France : https://france.attac.org/se-mobiliser/village-de-l-eau/article/village-de-l-eau-six-jours-de-lutte-pour-la-defense-de-l-eau 5. 5. Voirhttps://stopmicro38.noblogs.org/