Égalité professionnelle – les spécificités de la santé des femmes

Les femmes sont confrontées à des maux qui leur sont propres, mais qui sont encore invisibilisés au travail, au détriment de leur santé.

par Amélie Lapprand et Sophie Abraham

Début 2023, la délégation aux droits des femmes du Sénat a mené des travaux sur la santé des femmes au travail. Entre 2001 et 2019, alors que les accidents du travail chez les hommes ont baissé de 27 %, on a observé une haussse de 42 % chez les femmes. Les rapporteuses ont constaté le déficit persistant d’une approche genrée en matière de santé au travail à l’origine d’impensés féminins dans la conception et la mise en œuvre des politiques de santé au travail. Elles ont formulé 23 recommandations s’articulant autour de trois grands axes :

➤ chausser systématiquement les lunettes du genre ;

➤ développer et adapter la prévention à destination des femmes ;

➤ mieux prendre en compte la santé sexuelle et reproductive au travail, en particulier les pathologies menstruelles incapacitantes et les symptômes ménopausiques.

Des pistes à suivre mais encore insuffisantes.

Des spécificités féminines à prendre en compte

Au cours de leur vie, les femmes sont confrontées à des variations hormonales qui impactent leur vie personnelle et professionnelle tout comme leur vie procréative :

➤ les règles plus ou moins invalidantes – syndrôme prémenstruel (SPM) – qui engendrent fatigue intense, diarrhées, céphalées, maux de ventre, malaises etc. 53 % des salariées ont des règles douloureuses et 35 % déclarent que leurs douleurs menstruelles impactent négativement leur travail1

➤ La périménopause aux conséquences diverses mais qui peuvent être handicapantes : troubles de l’humeur, bouffées de chaleur, insomnies répétitives, céphalées, pertes de mémoires, divers troubles cognitifs, fuites urinaires… Seules 20 % des femmes ne vivent aucun de ces désagréments.

➤ Les effets négatifs et les conséquences des grossesses et accouchements : IVG, interruption spontanée ou non de grossesse, dépression, incontinence, relâchement musculaire, descente d’organes, allaitement et ses effets… mais aussi des traitements liés à l’infertilité et les examens multiples qui en découlent.

➤ Les traitements et maladies spécifiquement féminines : endométriose, cancer des seins, des ovaires, du col de l’utérus, fibrome, hystérectomie, ovariectomie, mastectomie…

Toutes ces spécificités liées au genre sont encore trop ignorées dans le monde du travail. Différencier n’est pas discriminer mais bien prendre en compte une réalité concrète qui s’impose aux femmes dans leur quotidien et qui impacte leurs conditions de travail.

Le congé menstruel : une portée limitée

Si la notion de congé menstruel commence à être connue, sa portée reste limitée et son octroi souvent conditionné à un certificat médical. Un congé plus large qui prendrait en compte toutes les étapes liées à la vie hormonale serait certainement plus pertinent (cf. interview d’Annabel Brochier). Le travail doit s’adapter aux besoins des femmes et non l’inverse et cela suppose des moyens en conséquence : effectifs de remplacement, salles de repos, sanitaires adéquats, mise à disposition de protections, médecine du travail, prévention et éducation à la sexualité. Quelques mois après l’adoption de ce dispositif en Espagne, plusieurs propositions de lois ont été initiées en France, dont la dernière en date a été proposée par EELV, mais aucune n’a abouti.

Depuis 2021, usant de la possibilité d’instaurer ce dispositif, quelques entreprises, associations, collectivités ont mis en place un congé menstruel. À chaque fois, il s’agit d’accorder un congé sans carence (donc sans perte de salaire), variant de deux jours par mois à treize jours par an.

L’application du droit existant est nécessaire et la conquête de nouveaux droits ne doit pas être restrictive ni impacter financièrement les salariées. Ajoutons qu’indépendamment du sexe des individus, l’idée d’un congé qui puisse s’adapter à un besoin physiologique est un progrès social pour toutes et tous.

« Entretien avec Annabel Brochier »

Pourquoi prendre en compte la spécificité de la santé hormonale et menstruelle

des femmes dans le cadre du travail est-il nécessaire?

Prendre en compte la santé hormonale et menstruelle des femmes au travail fait partie de leurs conditions de travail. Ces conditions physiologiques participent grandement de leur épuisement au travail. 80 à 85 % des femmes préfèreraient ne plus avoir leurs règles car dans le quotidien ça représente une fatigue importante. Dans le travail, il y a une obligation d’évaluation des risques genrés. On commence un tout petit peu à en parler mais ce sont des petits pas, rien n’avance.

Il faut se poser la question de comment ça se passe concrètement, y compris pour les étudiantes qui parfois viennent en cours après avoir pris la pilule du lendemain.

On parle beaucoup des règles, mais il y a aussi des femmes qui ne sont plus menstruées et qui ont un syndrome prémenstruel pénible, fatigant : la ménopause est une étape particulièrement difficile, comme en attestent le rapport sénatorial Santé au travail des femmes de 2023*et une étude britannique qui fait état de 12 % de femmes qui ont démissionné à cause de leur ménopause.

Il y a aussi toutes les étapes de changement de prise hormonale comme la contraception qui, pour certaines, est un moyen pour arrêter les règles parce que celles-ci sont trop insupportables. Les règles, ce n’est pas juste de la douleur, c’est une logistique, une charge cognitive et financière.

Est-ce que cela peut participer d’une essentialisation ?

Comme celui de ne pas entrer dans l’intimité des femmes, l’essentialisation est un argument de mauvaise foi. À qui apprenons-nous que les femmes ont une vie hormonale, procréative et menstruelle, que celle-ci est différente de celle des hommes ? Il faut lutter contre

les différences culturellement construites qui accentuent des différences. Néanmoins,

les hommes n’ont pas de règles, pas de grossesse, pas d’accouchement.

À partir des premières règles jusqu’à la postménopause, la vie hormonale a des effets qui participent à notre épuisement, à notre différence quant à notre capacité de réussir dans la vie professionnelle, les études et jusqu’à la retraite. Cette invisibilisation arrange bien le patriarcat car ça réduit nos chances de réussite, de gagner plus d’argent et d’accéder au pouvoir.

Sans réduire les femmes à cette vie hormonale et procréative, il faut compenser ces chances amoindries de réussite par un congé hormonal, menstruel et procréatif à certaines étapes qui sont difficiles. Que le patriarcat ne s’inquiète pas, toutes les femmes ne vont pas prendre leur congé menstruel !

*Ergonome, psychologue du travail et consultante indépendante notamment sur le travail et la santé des femmes. Autrice de deux articles : « Adapter le travail aux cycles des femmes, » revue Silence (2023), «Travailler à flux menstruel tendu : injonctions contradictoires, pénibilité et risques particuliers à la conciliation entre vie professionnelle et vie hormonale et procréative » sur le site de Médiapart (2023).

L’intégralité de cette interview est à lire sur le site de l’École Émancipée