Sortir du nucléaire – toujours d’actualité !

Dans le débat énergétique, la question du nucléaire revient régulièrement. Elle est même réactualisée par Macron. Qu’en penser ? Dans tous les cas, cette question ne peut se concevoir que dans le cadre d’un choix démocratique maîtrisé.

Par Julien RIVOIRE

Alors que la France a passé plus d’énergie lors de la COP 28 à vendre son nucléaire qu’à peser pour la sortie des énergies fossiles, que Macron nous promet de nouveaux EPR alors que les constructions actuelles sont de véritables fiascos, passage en revue des principaux arguments pour engager les discussions sur un sujet crucial et qui nous engage pour des générations.

Le nucléaire, solution au réchauffement climatique  ?

C’est l’argument premier mobilisé depuis quelques années par l’industrie nucléaire : la faible émission de CO2. Argument de poids alors que le climat s’emballe. Pourquoi ne pas embrasser alors l’engouement d’E. Macron pour le nucléaire  ? Tout d’abord parce que le processus du nucléaire est trop lent : 80 % des baisses d’émissions de gaz à effet de serre à réaliser en France doivent l’être dans les 12 prochaines années. Or, il faut 10 à 20 ans entre la décision de construire une nouvelle centrale et sa mise en service. Avec de tels délais, les nouveaux réacteurs nucléaires n’auront aucun impact sur la décarbonation du mix énergétique à court et moyen termes. D’autre part, si sortir des énergies fossiles implique une électrification du mix énergétique, son ampleur et donc la quantité d’unités de production sont corrélées à des choix de société. En France, le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre est celui des transports (31 % en 2022). Veut-on basculer le parc automobile existant, avec une ou deux voitures par ménage, vers l’électrique ? Ou souhaite-t-on réduire le nombre de voitures individuelles dans notre pays en faveur de transports collectifs ? Moins de voitures électriques, c’est moins de besoins en électricité. Dit autrement, les débats sur notre modèle énergétique ne peuvent être déconnectés d’un ensemble d’enjeux économiques et sociaux.

Le risque nucléaire est relatif  ?

La promotion du nucléaire s’accompagne chez certain.es d’une relativisation des risques. C’est oublier d’une part, les effets de très long terme d’un accident nucléaire et, d’autre part, que la multiplication des centrales augmenterait mécaniquement les risques. Au-delà des accidents, la gestion des déchets n’est pas résolue. La production d’électricité d’origine nucléaire en engendre des quantités démesurées dont une partie est hautement radioactive et le restera pendant plusieurs milliers d’années.

S’engager dans un nouveau cycle nucléaire serait également en décalage avec la nécessaire adaptation aux dérèglements. Le nucléaire est une technologie lourde et complexe qui la rend très vulnérable aux changements climatiques. Les situations de stress hydrique se multiplient, ce qui conduit déjà à mettre à l’arrêt des centrales durant l’été. En zone côtière, la fonte des glaces amorcée conduira à une hausse du niveau des mers dont il est impossible de connaître l’ampleur. En 1999, la tempête a conduit à une submersion des digues de la centrale du Blayais en Gironde. Or, ces évènements climatiques extrêmes vont s’amplifier. Un système énergétique résilient doit donc à l’avenir être le moins vulnérable possible. Enfin, la crise climatique est un problème mondial, les réponses doivent être pensées à cette échelle. Les promoteurs et promotrices du nucléaire souhaitent-ils et elles que cette technologie se diffuse sur toute la planète ?

L’énergie nucléaire : la moins chère ?

Le coût de production actuelle d’un MWh électrique par le parc nucléaire existant est comparable à la production d’un MWh par des énergies renouvelables (EnR). Le scénario de Réseau de transport d’électricité (RTE) avec 50 % de nucléaire en 2050 serait légèrement plus avantageux qu’un scénario 100 % renouvelable. L’écart est toutefois modeste (10 %) d’autant que la facture du nucléaire risque de s’envoler avec les nouveaux EPR. Le plan de construction des nouveaux EPR repose sur des hypothèses loufoques : 54 milliards prévus pour six réacteurs, alors que la construction des trois EPR par EDF explose les délais et la facture (plus de 20 milliards par exemplaire). Il faut ajouter à cela les coûts de la gestion des déchets et du démantèlement des centrales, non intégrés par les promoteurs et promotrices du nucléaire.

Et si, au lieu de produire davantage, on s’astreignait à réduire notre consommation d’énergie comme le recommandent les rapports du Giec ? Greenpeace montre par exemple qu’investir, d’ici à 2033, 85 milliards d’euros de subventions publiques dans la rénovation des passoires énergétiques permettrait d’éviter six fois plus d’émissions de CO2 cumulées d’ici à 2050 qu’avec le programme de construction de six EPR 2. Cela permettrait également de sortir près de 12 millions de personnes de la précarité énergétique en une décennie. Ou encore, investir 52 milliards d’euros dans un mix d’infrastructures éolien terrestre / panneaux photovoltaïques sur grandes toitures permettrait d’éviter quatre fois plus d’émissions de CO2 qu’en investissant la même somme dans la construction de six EPR 2 d’ici à 2050, tout en triplant la production d’électricité. Loin d’être un choix judicieux pour le climat, la relance du nucléaire est l’option la plus lente, ayant le moins d’impact à court, moyen et long termes sur la décarbonation du mix énergétique tout en risquant d’être un gouffre pour les finances publiques.

L’énergie la plus efficace ?

C’est sûrement l’argument le plus sérieux des pronucléaires. Les EnR souffrent d’un défaut de continuité auquel le nucléaire est moins soumis. L’éolien et le solaire ne permettent pas de produire de l’électricité lorsqu’il n’y a pas de vent ou de soleil, et cela nécessite donc des systèmes de stockage avec un coût écologique potentiellement important (batteries, hydrogène). En clair, il n’y a pas de source d’énergie 100 % propre. Au-delà de la recherche à engager pour répondre à cette objection, les EnR nécessitent également des travaux d’infrastructures importants sur le réseau électrique. Ces investissements publics ne sont pas insurmontables même s’ils sont importants.

Avenir énergétique = choix démocratique !

Devant de tels enjeux, un réel débat démocratique doit s’ouvrir, en intégrant toutes les coordonnées. Les scénarios de l’Ademe, de Negawatt^(1)^ ou de RTE montrent tous qu’atteindre un mix énergétique en 2050 avec 100 % d’EnR est possible. Défendre cette option ne doit pas nous conduire à repeindre en vert les EnR : toute production d’énergie produit des externalités négatives et des difficultés sont à résoudre, notamment, la continuité énergétique. L’objectif de décroissance énergétique, de sobriété, est donc premier.

« De quoi avons-nous réellement besoin  ? » est la question essentielle à poser avant de déterminer la nature et les niveaux de production. La réponse ne pourra pas émerger d’un débat qui isole la question énergétique du modèle de production. Sans compter que la lutte contre les inégalités est centrale pour construire un avenir désirable pour l’immense majorité sur cette planète. Pour ne pas dépasser les 1,5°C de réchauffement, les 1 % les plus riches doivent diviser leur consommation d’énergie par 30, et les 50 % les plus pauvres pourraient la multiplier par trois. En s’attaquant aux inégalités, nous pourrions répondre aux besoins essentiels de chacun.e tout en consommant beaucoup moins d’énergie et en évitant l’aggravation de la catastrophe climatique. Vous avez dit « choix de société » ?

  1. Ademe : agence de la transition écologique Negawatt : association qui travaille en faveur d’une transition énergétique réaliste et soutenable en France.