Le genre de l’extrême droite

Questions à Mathilde Larrère*.

ÉÉ : Quel est positionnement politique spécifique de l’extrême droite (ED) sur les droits des femmes ?

Pendant longtemps, il n’y a pas eu de grandes différences entre la droite et l’ED : « on naît femme, on ne le devient pas », la nature de « la » femme justifie les inégalités dans la famille, le travail, la Cité. Puis face à l’évolution générale des mentalités, dans les années 1970-1980, une partie de la droite abandonne pour partie ces discours dont l’extrême droite devient le réservoir.

Les combats contre les droits des femmes ont été laissés à la seule ED, qui continue de tenir des discours anti-IVG (et soutient les commandos anti-IVG), refuse de reconnaître aux femmes le droit de travailler et valorise les femmes au foyer, alors que la droite a fini par se rallier à l’IVG. Premier ministre de Mitterrand, Chirac dit qu’il ne reviendra pas sur la loi Veil.

Depuis les années 1980, le FN s’oppose à la totalité des textes promouvant l’égalité femmes hommes ou en faveur de la lutte contre les discriminations sexuelles à l’Assemblée, au Parlement européen, dans les conseils municipaux.

ÉÉ: Qu’est-ce qui pousse l’extrême droite à changer de discours depuis quelques années ?

Le FN souffre électoralement de ses positions. Il y a un gender gap dans le vote pour le FN, Jean-Marie Le Pen n’aurait pas atteint le 2e tour en 2002 si seules les femmes avaient voté.

Cela pousse l’ED à se rapprocher d’un électorat féminin. À partir des années 2000, on assiste donc à une transformation des discours et affichages.

L’ED féminise ses troupes. Au milieu des années 1980, J.-M. Le Pen met en avant des femmes comme Marie-France Stirbois ou Marie-Christine Arnautu, Marine Le Pen (MLP) puis Marion Maréchal-Le Pen. Mais il ne s’agit que d’une stratégie d’affichage1.

Zemmour aussi a dû le faire et un collectif, Les femmes avec Zemmour, est apparu au printemps 2021.

Plus récemment, des groupuscules identitaires ont mis en avant leurs militantes. Ainsi, les porte-parole de Génération identitaire sont quasi systématiquement des jeunes femmes, comme Anaïs Lignier ou Thaïs d’Escurfon, lesquelles ne jouent pas qu’un rôle décoratif, tant s’en faut. Le RN ne se dit plus contre l’IVG mais « contre son abus », ce qui n’a pas empêché son groupe parlementaire de voter massivement contre la constitutionnalisation du droit à l’IVG en novembre 2022.

Surtout, depuis une bonne décennie, il s’agit pour l’ED d’instrumentaliser le féminisme au service de son racisme : « défendre les droits des femmes : lutter contre l’islamisme qui fait reculer leurs libertés fondamentales ; mettre en place un plan national pour l’égalité salariale femmes/ hommes et lutter contre la précarité professionnelle et sociale » (point 9 du programme de MLP en 2017). La défense proclamée des femmes est utilisée au service d’un discours xénophobe, raciste et particulièrement islamophobe. C’est un dénominateur commun de toute l’ED européenne.

Le compte Instagram des Nemesis égraine les profils d’hommes de nationalité étrangère tenus responsables de viols et d’agressions sexuelles. L’ED dénonce les violences faites aux femmes uniquement quand cela lui sert à dénoncer un prétendu impact dangereux de l’immigration sur les femmes blanches. Pour autant, elle se caractérise toujours par la négation du patriarcat occidental.

ÉÉ : Et si le RN arrivait au pouvoir ?

Ce serait catastrophique pour les femmes. Les exemples européens ou internationaux le montrent. En Pologne, le droit à l’IVG a été écrasé et le parti au pouvoir a coupé le financement des organisations accompagnant des femmes victimes de violences conjugales. En Italie, Giorgia Meloni encourage la natalité avec sa politique sociale réservée aux mères de deux enfants, refuse d’approuver la convention d’Istanbul2 et s’oppose à l’introduction de l’éducation sexuelle et affective dans les écoles, le droit à l’IVG est menacé et elle a mis fin à la gratuité de la pilule contraceptive pour les moins de 26 ans. ■

Propos recueillis par Amandine Cormier

* Enseignante-chercheuse à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, spécialiste de l’histoire des révolutions du XIXe siècle et de la citoyenneté. Elle a notamment publié Rage against the Machisme (2020) et Guns and Roses (2022) aux Éditions du Détour.

1. Voir les travaux de Safia Dahani, post-doctorante à l’EHESS.

2. La Convention d’Istanbul est une convention du Conseil de l’Europe qui protège les femmes et les filles de différentes formes de violence.

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