Le résultat des élections législatives qui ont placé le Nouveau Front populaire en tête est dénié par le présidentde la République, dont le seul projet est de poursuivre sa politique néolibérale. Contre cette politique et contre l’extrême droite dont le danger n’est que provisoirement écarté, la gauche, soutenue par le mouvement social et certains syndicats, doit poursuivre le travail de conviction et de mobilisation.
par Arnaud Malaisé
La séquence ouverte par la dissolution a accru l’ampleur des crises politique et démocratique qui se surajoutent à une crise sociale chronique. La brève campagne législative s’est déroulée sous le couperet d’une arrivée au pouvoir de l’extrême droite. L’unité à gauche, prenant une forme inédite avec l’irruption d’une partie du syndicalisme et du mouvement social en son sein et avec l’aide d’un « front républicain » au second tour, a permis de renverser ce pronostic. Le Nouveau Front populaire (NFP) est ainsi arrivé nettement en tête dans une Assemblée nationale écartelée en trois blocs.
Déni démocratique et politique néolibérale
Le résultat électoral a engendré un déni digne du concept de « réalité parallèle » avec pêle-mêle un long silence présidentiel assourdissant, un gouvernement démissionnaire continuant de gérer les « affaires courantes », une « trêve » olympique s’additionnant à celle des vacances d’été… Les pseudos-consultations pour mettre en scène le choix présidentiel de ne pas nommer Première ministre la candidate du NFP sont venues parachever cette négation du résultat des élections qui a débouché sur la nomination de Barnier.
Ce déni soutient un projet politique, bien au-delà de l’orgueil et de la morgue présidentielles : celui d’un néolibéralisme renforcé et mâtiné d’autoritarisme. Pas question pour le pouvoir en place de remettre en question les réformes des dernières années, d’une politique de l’offre creusant les inégalités à l’allongement de l’âge de départ en retraite en passant par une loi Asile-immigration lestée de nombreuses propositions issues de la droite la plus extrême. Avec son lobbying tous azimuts, notamment à l’occasion de son université d’été, brandissant des menaces de calamités économiques en cas de bascule de l’austérité actuelle assumée à une redistribution keynésienne, le Medef démontre qu’il est le plus fervent soutien d’une continuité de la politique de l’offre, même au prix d’une importante torsion des résultats électoraux.
Situation « bloquée » et danger persistant de l’extrême droite
Au final, même si un Premier ministre conservateur est chargé d’organiser « l’alliance » des droites, sous la menace d’une extrême droite ainsi quasi normalisée par Macron, la situation politique semble « bloquée » et soumise fortement aux collusions entre la droite libérale et l’extrême droite. La survie de ce «front antipopulaire» dépend donc de la « bienveillance » de l’extrême droite envers la Macronie.
La menace de l’arrivée de celle-ci au pouvoir est repoussée temporairement, mais serait très rapidement à nouveau d’actualité avec de possibles législatives anticipées dans moins d’un an et une présidentielle dans moins de trois ans. Si elle est restée contenue, ses progrès électoraux sont notables (cf. l’article de Tristan Haute). Le travail de déconstruction et de conviction sera indispensable au cours des prochains mois. Ce travail sera grandement facilité par un foisonnement de luttes importantes, notamment syndicales, et le plus possible victorieuses, mais également par la concrétisation d’une rupture politique ouvrant d’autres perspectives sociales et climatiques ou tout au moins le maintien de la possibilité de cette rupture à brève échéance par une consolidation de l’actuel NFP. L’espoir ne doit pas retomber. D’où l’importance pour le syndicalisme de se mobiliser pour imposer ses exigences salariales, de départ en retraite ou de financement des services publics. Ces mobilisations, au côté d’autres facteurs renforçant l’unité et la crédibilité d’un accès au pouvoir, pourront également jouer un rôle de « liant » au sein du NFP et de la société. Elles permettraient également de poursuivre le travail de conviction au sein de la population de la nécessité de ruptures franches avec les politiques néolibérales menées inlassablement depuis des dizaines d’années.
Enjeu du budget et dynamique de mobilisations
La séquence parlementaire autour du budget devrait être le catalyseur des choix politiques. Élément habituellement central de toute politique gouvernementale, le budget 2025 revêtira une importance toute particulière, soit en actant concrètement le déni démocratique avec la poursuite de la politique à l’œuvre depuis sept ans, soit en marquant une rupture franche. Au-delà du symbole puissant d’une abrogation de la loi sur les retraites, c’est bel et bien la politique fiscale qui sera le juge de paix du gouvernement. La poursuite d’une politique de l’offre cumulée aux contraintes orthodoxes de déficit budgétaire amplifierait l’austérité et dégraderait considérablement la situation sociale et notamment celles des services publics. Dégager de nouvelles ressources de financement guidées par la justice fiscale et climatique permettrait d’entamer une résorption de la crise sociale.
Le syndicalisme, et particulièrement la FSU au vu de sa place au sein de la fonction publique et de son ouverture au-delà du seul champ strictement syndical, a un rôle prépondérant à jouer dans cette séquence. Le gel des projets en cours, qui constituent autant de mauvais coups contre les salarié·es et la population, comme la réforme de l’assurance-chômage ou celle de la fonction publique, ne suffit pas, loin de là. L’enjeu de la rentrée sociale sera de construire des mobilisations pour répondre à l’urgence sociale et climatique. C’est le sens de la grève du 1er octobre, date symbolique — qui pourrait néanmoins ne pas être respectée — de présentation du prochain budget à l’Assemblée, comme moment clé d’une mobilisation pour exiger une hausse générale des salaires, l’abrogation de la loi retraites et la nécessité d’une dotation supplémentaire d’urgence pour réparer les services publics.
Reste maintenant à construire une dynamique autour de ces exigences et à se projeter sur une mobilisation au long cours qui ne se limitera pas à cette seule date. Une mobilisation aux actions protéiformes en faveur de franches ruptures, pour les imposer, avec d’autres, par la grève et les manifestations, et les conforter face aux résistances du patronat et de ses allié·es.
L’irruption du syndicalisme dans la séquence politique
L’irruption inédite du syndicalisme dans la séquence politique des élections législatives anticipées a pleinement contribué à dynamiser la campagne et permis de déjouer le pronostic d’une inéluctable victoire de l’extrême droite.
Dès le lendemain de la dissolution, une intersyndicale, incomplète mais rassemblant tout de même la CGT, la CFDT, la FSU, l’Unsa et Solidaires, posait la nécessité d’un « sursaut démocratique et social » pour éviter le danger d’une arrivée de l’extrême droite au pouvoir et mettait en avant pour cela une série de revendications répondant à l’urgence sociale et climatique. Notamment la nécessité d’une abrogation de la réforme des retraites, d’une hausse des salaires et d’investissements massifs pour renforcer les services publics : en tout neuf propositions, que le Nouveau Front populaire (NFP) a ensuite intégrées à son programme.
Et surtout, ces cinq organisations syndicales ont appelé dès le week-end suivant à des manifestations reprenant cette double exigence : refus de l’extrême droite et nécessité d’alternatives sociales. Elles ont dynamisé cette séquence et le début de la campagne législative, tout comme celles des « alertes féministes » du dimanche suivant appelées par plus de 200 organisations.
Face à l’imminence du danger d’une extrême droite au pouvoir en capacité de dérouler sa politique raciste et antisociale, la CGT et la FSU se sont encore davantage engagées dans cette séquence en appelant clairement à voter dès le premier tour pour les candidat·es et le programme du NFP. Une décision totalement inédite pour la FSU qui, sans être un blanc-seing, repose de façon concrète la question des liens à construire avec le politique tout en respectant évidemment l’indépendance de chacun. Comment prolonger cette irruption et nouer des liens réguliers et pérennes, voire construire ensemble des mobilisations, sans que le syndicalisme soit subordonné au politique, pour imposer une rupture ? La question est complexe mais nécessite néanmoins a minima des ébauches urgentes de réponses…