Législatives – une mobilisation populaire inachevée

La victoire du Nouveau Front populaire aux législatives est relative. Observer le profil social des électeur·ices permet de souligner la force d’une extrême droite banalisée et l’importance de l’abstention, qui éloigne notamment les jeunes générations et les classes populaires des urnes^1^.

Le soir du 7 juillet a été un immense soulagement pour tout le mouvement social : non seulement l’extrême droite n’a pas obtenu de majorité, mais la gauche est arrivée en tête en nombre de sièges. Avec près de 9 millions de voix, le Nouveau Front populaire (NFP) a fait bien mieux que l’ensemble des listes de gauche lors des élections européennes (+1,2 million de voix). Assez classiquement, alors que la gauche doit se contenter des parties les plus âgées et aisées de ses bases électorales lors des élections intermédiaires, elle est parvenue lors de ces législatives, comme lors des précédentes élections présidentielles (Collectif Focale, 2022)2, à attirer des fractions des jeunes générations et des classes populaires. L’extraordinaire mobilisation sociale autour du NFP a permis de compenser en partie le peu de temps pour faire campagne sur le terrain. Ainsi, un tiers des 18-29 ans et des salarié·es précaires a voté pour la gauche au premier tour des législatives, contre moins d’un quart aux européennes. De même, et alors que la gauche peine à attirer les votes des ouvrier·es et des employé·es, c’est dans ces deux groupes que le vote de gauche a le plus augmenté entre le scrutin européen et le scrutin législatif. Enfin, si le vote de gauche a été présenté à de nombreuses reprises comme très urbain, les écarts sont, selon nos données, plus faibles qu’aux précédents scrutins. Ces différences géographiques, souvent essentialisées, s’expliquent le plus souvent par les caractéristiques sociales des habitant·es, les villes concentrant une population plus jeune, plus diplômée, mais aussi plus souvent confrontée à la précarité de l’emploi, preuve de leur hétérogénéité (Rivière, 2022).

Trois nuances doivent être apportées

Le vote de gauche est, quels que soient les scrutins, très fortement et positivement lié au niveau de diplôme et inversement corrélé à l’âge. Ensuite, la gauche n’a rassemblé que 9 millions de voix lors des législatives, soit 2 millions de moins que ses candidat·es lors du scrutin présidentiel de 2022. Le recul est particulièrement important parmi les personnes ayant des revenus très faibles, les moins diplômé·es, les ouvrier·es et les personnes sans emploi. La mobilisation populaire autour du NFP a donc été imparfaite.

Dans le même temps, avec plus de 11 millions de voix, l’extrême droite (RN et Reconquête !) fait presque autant que lors du scrutin présidentiel et près de 2 millions de voix de plus que lors des élections européennes. Surtout, ce vote se banalise dans toutes les générations et dans tous les milieux sociaux. Ainsi près de 30 % des électeur·ices de 65 ans et plus et 38 % des 55-64 ans ont voté pour l’extrême droite aux législatives, dix points de plus qu’à la présidentielle et qu’aux européennes. Par rapport aux européennes et à la présidentielle, elle attire aussi davantage de personnes peu diplômées (en moyenne plus âgées), d’ouvrier·es, de personnes aux revenus très faibles et d’habitant·es des villes moyennes mais également d’indépendant·es et de personnes aux revenus les plus élevés. Et si le vote d’extrême droite décroît avec le niveau de diplôme, cette relation n’est plus tellement vérifiée avec le niveau de revenu. Seuls certains segments sociaux (cadres, salarié·es précaires, étudiant·es) sont marqués par un vote pour l’extrême droite plus faible, mais parfois en progrès comme parmi les cadres. On comprend dès lors mieux l’empressement de celle-ci à renoncer à toute promesse électorale en matière de protection sociale ou de revalorisation salariale.

Le vote macroniste : un vote de niche

Le vote macroniste, en repli par rapport à la présidentielle, se singularise. La probabilité de voter pour Ensemble ou pour LR croît très fortement avec l’âge, le revenu et, dans une moindre mesure, le niveau de diplôme. Si ce constat n’est pas nouveau, les votes macronistes et LR sont devenus marginaux dans les fractions précaires ou peu qualifiées du salariat, dans les jeunes générations, parmi les personnes inactives et parmi les personnes disposant de faibles revenus. Et, même parmi les retraité·es, le vote macroniste a massivement reculé entre 2022 et 2024, passant de plus de 25 % à 15 %.

Pour terminer, bien que la participation ait atteint un niveau record pour des législatives (66,7 % au premier tour, +15,2 points par rapport aux européennes), c’est un peu moins que lors du dernier scrutin présidentiel (73,7 % au premier tour). Surtout, les inégalités sociales de participation se sont maintenues, voire renforcées, par rapport aux européennes. Alors que d’ordinaire, quand la participation est forte, les inégalités sociales de participation sont plus faibles (Haute, Tiberj, 2022), cela n’a pas été le cas en 2024. Ainsi, les différences de participation entre les moins diplômé·es et les diplômé·es du supérieur se sont creusées entre les européennes et les législatives tout comme entre salarié·es précaires et salarié·es en contrat stable. Dans le même temps, les différences de participation selon l’âge, le niveau de revenu ou le groupe socioprofessionnel sont restées importantes. Autrement dit, quoique relativement massive, la mobilisation lors de ces législatives n’a pas été si populaire : ce sont plus de 40 % des salarié·es précaires et des personnes aux faibles revenus ainsi que plus d’un tiers des ouvrier·es, des employé·es et des personnes les moins diplômé·es qui se sont abstenu·es. Si la tâche n’est pas aisée, c’est d’ailleurs dans la mobilisation d’une partie de ces abstentionnistes que réside l’espoir de la gauche, tant certain·es abstentionnistes, bien plus que les électeur·ices qui votent aujourd’hui pour le RN, adhèrent, au moins en partie, aux valeurs égalitaires et progressistes prônées par la gauche.

PAR Tristan Haute, maître de conférences en sciences politiques, Université de Lille

Références

Haute T., Tiberj V. (2022), Extinction de vote ?, Paris, PUF.

Rivière J. (2022), L’illusion du vote bobo. Configurations électorales

et structures sociales dans les grandes villes françaises, Rennes, PUR.

1. Les données présentées sont issues d’une enquête financée par l’Université de Lille dans le cadre

du projet DePERU et réalisée du 2 au 12 juillet 2024 auprès d’un échantillon de 1132 personnes représentatif

de la population de France métropolitaine hors Corse selon la méthode des quotas (sexe, âge, groupe socioprofessionnel, région).

2. Collectif Focale (2022), Votes populaires ! Les bases sociales

de la polarisation électorale dans la présidentielle de 2017, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant.