2012, 2014, 2022 : de la guerre du Donbass à la guerre d’invasion de toute l’Ukraine

CULTURE

  • p. 36 du numéro 103 de la revue de l’Ecole Emancipée / Sélection littéraire par Jean-Philippe Gadier

L’invasion généralisée de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine a débuté le 24 février 2022. Mais ce conflit armé date de plus longtemps avec l’annexion de la Crimée en 2014 et le conflit qui sévissait au Donbass, sur sa bordure orientale. Petite sélection littéraire sur ce thème.

Dans Les Loups, son second roman, Benoît Vitkine prend pour décor l’Ukraine de 2012. Il est correspondant du journal Le Monde en Ukraine, prix Albert Londres 2019 et spécialiste des pays de l’ex-URSS et de l’Europe orientale. Le Donbass, il connaît bien. Il a couvert le conflit des séparatistes avec la République d’Ukraine qui a débuté en 2014.

Le meurtre d’un enfant est le point de départ d’une enquête policière menée par un policier, ancien d’Afghanistan, à quelques mois de la retraite. Elle est le prétexte au parcours d’un paysage détruit par la guerre avec son cortège de misère, de chômage et de corruption généralisée. Elle nous fait entrer dans le quotidien, souvent sordide, de la population prise au piège de la guerre, ne pouvant ou refusant de partir, minée par l’alcoolisme et la drogue. C’est le vrai sujet du livre.

L’intrigue se déploie juste après l’élection d’Olena Hapko, femme d’affaires la plus riche d’Ukraine, à la présidence de la République, pendant les trente jours qui la séparent de l’investiture.

Autour d’elle gravitent les services secrets russes et des oligarques se confondant souvent avec les et forces politiques locales.

Malgré ses velléités réformatrices, cette femme de 52 ans ne diffère pas tellement des « loups », prédateurs milliardaires aux méthodes de gangsters qui l’entourent. Hommes d’affaires avides de pouvoir, anciens mafieux reconvertis dans les conglomérats médiatiques et politiques, ils sont « à peine moins nocifs que des trafiquants mexicains ». Tous sont biberonnés à la rente pétrolière, accaparée dans les années 1990, ayant des trajectoires assez semblables à leurs homologues russes.

La différence avec la Russie est que Vladimir Poutine a mis les oligarques sous contrôle, se réservant l’exercice du pouvoir, alors que dans l’Ukraine de 2012, les rivalités entre oligarques ont aussi l’État pour enjeu.

Constamment présent dans le paysage, le régime de Vladimir Poutine intrigue pour conserver sa mainmise sur l’Ukraine.

Olena Hapko est un personnage de fiction qui évolue dans un environnement bien réel. Une figure de la vie politique ukrainienne a inspiré le romancier : Loulia Tymochenko, ex-Première ministre et égérie de la Révolution orange, surnommée la « princesse du gaz ».

Le conflit du Donbass, Andreï Kourkov en parle aussi dans son roman Les abeilles grises qui est aussi le nom d’une espèce d’abeilles caucasiennes. Ce conflit, longtemps considéré comme gelé en Occident, a tout de même fait 14 000 mort.es. C’est la chronique de la vie d’un village sur la ligne de front. La guerre oblige deux ennemis d’enfance, retraités, à se rapprocher et à se soutenir mutuellement. L’un d’eux est apiculteur. C’est ce qui l’amène à voyager avec ses ruches jusqu’en Crimée occupée. L’occasion pour Kourkov d’évoquer le sort réservé aux Tatars de Crimée par le pouvoir poutinien.

Enfin, avec son dernier livre Journal d’une invasion, commencé deux mois avant l’entrée massive des troupes russes sur le territoire ukrainien le 24 février 2022, Andreï Kourkov abandonne le roman. On n’y retrouve plus l’ironie et l’humour parfois tragique qui traversent son œuvre romanesque. Après quelques semaines de sidération, il entreprend une série d’articles qu’il achèvera en résidence d’écrivain à Marseille. L’œil de l’écrivain mêle les observations du quotidien, les portraits des gens « simples » aux questions plus larges, notamment l’hostilité croissante à tout ce qui est russe, écrivain.es ou intellectuel.les russophones compris.es. Il constate aussi que si « Toute la Russie ne forme pas un Poutine collectif. Le malheur est qu’elle soit dépourvue d’un anti-Poutine collectif. […] Avec de telles pensées, j’ai souvent envie de me réfugier dans mes souvenirs d’enfance. » conclut-il. ■

v Les Loups, Benoît Vitkine, Livre de poche

v Les abeilles grises Andreï Kourkov Éditions Liana Levi

v Journal d’une invasion, Andrei Kourkov, Noir sur blanc