Nous avons rencontré « Camille », zadiste de la première heure à Sivens, issu du mouvement squatter, ancien militant CGT.
Il a bien voulu éclairer nos interrogations sur le mouvement zadiste, ses objectifs, son fonctionnement et ses limites.
◗ Où le mouvement prend-il ses racines ?
La première ZAD médiatisée c’est celle Notre-Dame des Landes. Au départ il n’y avait que des squatts.
Autour de 2008 le processus de lancement d’un nouvel aéroport amorce l’occupation politique par des libertaires des écolos radicaux et des alternatifs.
Vient ensuite un camp « Action climat », type d’action anglo-saxon de 2 à 3 semaines, permettant d’expérimenter des pratiques car le camp doit être écologiquement neutre pour ne pas gaspiller ou piller les ressources.
Le premier se tient donc en 2009. Des squatters décident de s’installer là pour occuper l’espace vacant pour construire des relations sociales et réinstaller une vie avant les bulldozers.
C’est là que le concept de zone à défendre s’est imposé. L’information s’est diffusée d’abord dans les réseaux squatts, l’idée n’étant pas d’occuper jusqu’à l’expulsion, comme c’est classiquement le cas, mais de construire autre chose pour résister au capitalisme.
D’autres ZAD se sont développées comme à Décines (Lyon) contre un projet de stade de foot pour l’euro 2016, à Avignon ou dans le Morvan, mais sans l’impact de Notre Dames des Landes.
Au Testet (Sivens) c’est un collectif, « tant qu’il y aura des bouilles » qui lance l’occupation d’une zone destinée à être détruite pour la construction d’un barrage.
Au début quand on arrive à la ZAD c’est vraiment décevant, assez pauvre politiquement et très dur au niveau des conditions de vie.
Les tâches quotidiennes occupent énormément de place. C’est assez peu connu du grand public, mais les relations sociales très différentes de celles de la société attiraient déjà du monde.
◗ Quelles relations sociales différentes ?
La première chose c’est qu’il n’y a pas d’argent. Les relations sont réinventées, quelques fois de façons négatives, notamment dans les périodes d’affrontements avec la police, où la question du virilisme est clairement posée.
Pourtant cela dégage des espaces pour expérimenter de nouvelles façons de vivre égalitaires, libertaires et écologiques. Les grandes questions sont celles posées par le socialisme utopiste du XIXème siècle : la répartition des tâches rébarbatives, les relations hommes/femmes, la liberté sexuelle…
◗ L’action politique ?
Le plus intéressant, ce sont ces moments de solidarité et d’actions quand la police ou les zadistes passent à l’action.
Ou encore les grands chantiers collectifs où on apprend à cultiver : permaculture, défrichement etc. Des gens viennent de partout pour travailler collectivement. Le lien avec le mouvement social n’est pas vraiment théorisé.
Les gens qui vivent là ont choisi de passer par les marges comme terrain d’action. Ils veulent un changement de société, mais peu théorisé, et ne théorisent pas non plus les liens avec les luttes traditionnelles, c’est un parti pris d’opportunité.
Les gens de Tarnac, par exemple, ne sont pas l’expression du zadisme, ils disent des choses intéressantes par ailleurs, mais ne sont pas des zadistes.
On voit beaucoup de jeunes, mais il y a une grande diversité d’âges et d’origines sociales, de projets personnels ou collectifs. Cela nécessite un grand engagement, car les conditions de vie et de luttes ne sont pas faciles
◗ Le rapport à la violence ?
Le “Zadisme”, ce n’est pas l’affrontement mais ça attire les violents. Dans la ZAD, le débat sur la violence existe, il n’y a pas de jugement entre les groupes qui ont des options différentes.
On essaye de faire cohabiter les deux tactiques car, là aussi, on est dans l’expérimentation. Mais globalement c’est la police qui a mené les actions de harcèlement les plus dures, à l’origine des violences. Ce sont les actions non-violentes qui ont le plus ralenti les travaux.
Dans les manifs en ville, après la mort de Rémi Fraisse, ce sont plutôt des activistes que des zadistes qui ont été violents.
Les thèses conspirationnistes sont assez présentes dans les ZAD qui est le royaume de la rumeur, mais par exemple il n’y a pas de place pour des courants d’extrême droite, c’est un milieu radicalement antifasciste.
◗ L’avenir ?
L’idée, c’est la nécessité urgente de s’engager contre des projets inutiles et de mener des actions utiles et écologiques pour trouver une alternative à cette société. Il y a donc une place pour que ce phénomène s’amplifie et que des ZAD se mettent en place un peu partout. ●
Propos recueillis
par Bernard Deswarte