Vademecum du « programme ECLAIR » – juin 2011

Ce texte ministériel, qui a vocation à entériner le passage des RAR aux ECLAIR, inscrit sans surprise un nouveau recul pour la réussite des enfants issus de classes populaires et la démocratisation de l’Ecole Française. Mais pas seulement ! Il ouvre l’expérimentation à grande échelle d’un fonctionnement ultralibéral de l’Ecole, avec une très forte autonomie des établissements et un pilotage par les résultats : incitation à « l’initiative » (innovation voire dérogation) locale sous condition de contrat d’objectifs qui conditionne la répartition des moyens et le recrutement des personnels sur profil.

Le projet global

Dans ce texte ministériel de 64 pages, on trouve comme de coutume des formules qui semblent faire écho à nos préoccupations : « réduire les inégalités scolaires et faire réussir tous les élèves, développer leur compréhension du monde, penser des modalités d’évaluation favorisant l’estime de soi, développer les partenariats, instaurer un climat scolaire apaisé propice aux apprentissages, valoriser les enseignants… ». Mais la divergence est flagrante quand on se penche sur la définition ou la déclinaison de ces principes. Le préambule donne le ton puisque pour lutter contre « la persistance des écarts entre les élèves des milieux défavorisés et les autres », le MEN préconise : la création d’une école du socle commun la personnalisation des parcours d’apprentissage la renforcement des liens entre pédagogie et vie scolaire la personnalisation de la gestion des ressources humaines la contractualisation des établissements avec les autorités académiques. A partir de ces « priorités », ce vademecum décline un « cadrage national » s’adressant aux autorités académiques et aux établissements concernés. Il définit des « principes » et des « pistes d’action », mais renvoie clairement les décisions aux autorités locales et aux établissements.

Les préconisations concrètes

Dans la continuité des textes qui l’ont précédé depuis la LO de 2005, son contenu s’articule autour de 3 volets : les missions de l’école, le statut d’enseignant, le pilotage du système et ses moyens.

**1- Les missions de l’école : la « réussite de tous les élèves » est réduite à « l’acquisition du socle commun par tous les élèves » ; le projet d’école du socle est celui du retour à l’école fondamentale

L’acquisition du socle commun devient « l’objectif prioritaire » du dispositif ; il s’agit de « repérer les talents » et « aménager la norme scolaire pour tenir compte de la diversité des publics et de leurs besoins spécifiques ». La philosophie « donner plus à ceux qui ont moins », la conception socioconstructiviste de l’hétérogénéité et même la formule « Education prioritaire » ont disparu. La circulaire de rentrée parue il y a un mois a inauguré cette nouvelle philosophie de l’éducation prioritaire avec la formule « donner plus à ceux qui en ont le plus besoin » : les internats d’excellence doivent recruter les élèves « méritants » dès la fin du primaire pour les extraire du collège CLAIR auquel ils sont destinés ; la logique de compensation qui avait présidé à la création des ZEP laisse désormais place à celle de « mérite ». [*Réduction du périmètre des établissements concernés, exclusion des zones rurales*] Le programme ECLAIR concerne uniquement les « quartiers défavorisés des zones urbaines » ; les zones rurales, périurbaines et maritimes en sont exclues, elles doivent faire l’objet de « politiques académiques prioritaires ». Dérogations pédagogiques pour un recentrage sur le socle commun, renoncement à l’entièreté des programmes et à la poursuite d’études Les expérimentations ou dérogations pédagogiques « doivent répondre aux besoins identifiés des élèves […] Elles portent en priorité sur l’acquisition des fondamentaux dans le 1er degré et leur renforcement au collège ». Par ailleurs, la part laissée aux Lycées dans ce vademecum (quasiment nulle) montre bien que la scolarité des élèves concernés n’a pas vocation à se poursuivre au-delà du collège. [*Individualisation des parcours, tri des élèves*] La « personnalisation du parcours des élèves » doit permettre à chacun de « développer au mieux ses capacités dans les parcours d’excellence ». Bien loin de l »objectif de mener l’ensemble d’une classe d’âge au BAC, la conception de « l’ambition scolaire » proclamée dans ce vademecum pour les élèves scolarisés en ECLAIR est discriminante : si les enseignants doivent se contenter de viser pour ces élèves l’acquisition du socle commun d’ici la fin du collège sans viser une poursuite d’études, ils doivent aussi « repérer les talents » qui pourront accéder aux « internats d’excellence », définis comme de « véritables laboratoires pour les expérimentations en tout genre, ayant vocation à alimenter la réflexion pédagogique notamment en ECLAIR ». [*Pour les élèves en difficulté, renforcement des dispositifs récemment mis en place*] Pour le 1er degré : les RASED ne sont pas mentionnés, « la pratique des PPRE doit être développée », l’aide personnalisée doit être utilisée pour « l’anticipation des leçons » notamment pour la lecture, l’accompagnement éducatif (arts, sports, sciences, LV) doit être « articulé aux programmes » et intégrés dans les « parcours d’excellence », les stages de remise à niveau doivent être développés et articulés à l’AP et à l’AE. A noter l’expérimentation de nouveaux rythmes scolaires qui doit permettre de « raccourcir la journée afin de […] faciliter l’accès à l’AE aux élèves qui bénéficient de l’AP ». Enfin, les enseignants hors ECLAIR pourront être sollicités pour assurer l’un de ces dispositifs d’aide si nécessaire. Pour le 2nd degré : La « personnalisation des parcours » vantée par la circulaire de rentrée prend ici toute sa dimension. Les élèves en difficulté seront concernés en premier chef par l’accompagnement personnalisé en 6ème (qui pourra être effectué par un PE… en supposant que cela permette de résoudre son problème, il faut espérer qu’il ne le vivra pas comme une mesure discriminante). Mais surtout, les différents dispositifs d’orientation précoce les toucheront de plein fouet : multiplication des formations en alternance dès la classe de 4ème, pré-apprentissage avec DIMA dès 15 ans, 3ème prépa-professionnelle ; ces dispositifs se résument à assurer l’éviction de ces élèves du cursus scolaire ordinaire et à remettre en selle des filières sélectives avant la fin de la scolarité obligatoire ; ils ne sont pas réservés aux seuls ECLAIR mais y trouvent une acuité particulièrement forte. [*Un chapitre consacré au climat scolaire*] A noter qu’il ne fait apparemment pas écho à la politique actuelle : plutôt qu’une conception sécuritaire il développe des pistes inspirées des travaux d’Eric Debarbieux, privilégiant la prévention et préconisant des sanctions justes, cohérentes et transparentes, ainsi que le respect des rythmes et l’aménagement de l’espace. Toutefois, rappelons-nous que c’est dans le cadre des discours sécuritaires sur la « violence » et la « sécurité » à l’école qu’a été annoncé le dispositif CLAIR en juin 2010 ! De plus, la volonté de nommer des « préfets des études » chargés, entre autres, de la « discipline de tout un niveau d’élèves en renfort du CPE », augure plus d’une volonté répressive qu’éducative. « Evaluation et orientation positive » pour développer « l’ambition scolaire des élèves » ? Ce concept s’appuie sans surprise sur le « livret de compétence expérimental » et les « internats d’excellence » ; on sait ce que ces dispositifs ont de positif… pour le monde économique.

**2- Le statut d’enseignant : un nouveau pas vers la dérèglementation

Depuis 2008, chaque mesure ouvre une nouvelle brèche dans le statut d’enseignant : – dans le premier degré, recrutement d’étudiants en master en tant que contractuels, proposition d’heures supplémentaires pour les stages pendant les vacances, primes de passation des évaluations nationales, développement des postes à profil, modification du temps de service… – dans le second degré, c’est sensiblement identique : les conditions de travail sont extrêmement dégradées (postes « à cheval » sur deux ou trois établissements, extension des zones de remplacement, y compris hors de la discipline de l’enseignant, heures supplémentaires en augmentation constante, dénaturation des missions, etc), le recours à l’emploi précaire est banalisé, et aggravé encore par la « réforme » dite masterisation. Aujourd’hui, ce texte consacre un paragraphe à « l’innovation en matière de gestion de ressources humaines » : au prétexte d’« encourager des équipes stables et motivées autour d’un projet pédagogique partagé », sont développées toutes les méthodes managériales basées sur l’intéressement de l’individu, qui sont connues pour casser les solidarités et l’équité entre les personnels. [*Des affectations hors règlementation, au mépris de toutes les règles statutaires*] Pour le 1er degré: « Expérimenter des modalités permettant aux directeurs d’école et aux enseignants d’adhérer en toute connaissance de cause au projet d’école et au projet de réseau (postes fléchés, entretiens professionnels, procédures d’avis) ». Pour le 2nd degré : « Recrutement local des personnels par le chef d’établissement », sur « profil à partir d’une fiche de poste qui définit les missions de la personne à recruter » pour son « adhésion au dispositif ECLAIR et un engagement à y participer pour 5 ans ». C’est la fin du barème pour les mutations et obtentions de postes, la fin du paritarisme qui garantit les droits des personnels. C’est le renforcement de l’évaluation au mérite et de la mise au pas des personnels. [*Des avantages individuels*] La « reconnaissance de l’implication des personnels » continuera de s’effectuer par le régime indemnitaire, mais aussi par la « prise en compte dans la carrière par l’avancement d’échelon ou la promotion de grade », et après 5 ans d’exercice en ECLAIR une « priorité d’affectation ou l’aide d’un conseiller mobilité de carrière ». A noter qu’en guise de stabilité, une prime au départ est proposée aux personnels au-delà des 5 ans. [*Une forte référence au  » référentiel de compétences professionnelles des enseignants « *] Le rappel systématique d’extraits du « référentiel enseignant » fait écho à l’actuelle tendance au formatage des enseignants, dès l’entrée dans le métier. A noter que, dans ce cadre, aucune référence n’est faite à la transmission des savoirs et des connaissances. Une modification du temps de service ? Dans « l’aménagement de l’espace réservé aux enseignants pour leur permettre de rester dans l’établissement après leurs cours. », faut-il voir une avancée pour les revendications des enseignants quant à l’aménagement de leurs locaux ? ou bien un lien avec les récentes « fuites » du rapport du comité de pilotage sur les rythmes scolaires proposant une révision à la hausse du temps de service des enseignants dans l’établissement incluant d’autres tâches que les cours ?! [*Une flexibilité des missions des personnels*] – participation de représentants du 1er degré aux « instances pédagogiques des EPLE » – « échanges de services entre 1er et 2nd degré » en particulier en sciences et LV – participation des PE à l’AP en collège et des professeurs à l’AE en primaire Les professeurs de collège deviennent PE, les PE professeurs de collège, les professeurs préfets… Ces dispositions viennent s’ajouter aux récentes mesures relatives au remplacement des professeurs entre différentes disciplines, traduisant une conception réductrice de la qualification nécessaire pour exercer une mission d’enseignement. Mais cette évolution vers une flexibilité accrue est aussi un pas supplémentaire vers la déréglementation du travail (temps, missions…), qui favorise le recrutement de précaires corvéables à merci (augmentations débridées du temps et de la charge de travail, porosité entre temps privé et professionnel, réduction du droit d’expression…) Dores et déjà, les fiches de postes à profil ECLAIR parues dans les établissements pour la préparation de la rentrée 2011, soulignent la nécessité de la disponibilité des personnels en dehors de leur temps de service.

**3- Le pilotage du système et ses moyens : une « école du socle commun » dans une gestion contractualisée, expérimentation ou visage futur de l’ensemble des établissements ?!

Le dispositif ECLAIR n’est autre que l’école du socle commun. La circulaire de rentrée du MEN, rendue publique en mai 2011, annonçait les « écoles du socle » comme incarnant les 3 axes principaux de la politique éducative du MEN : maîtrise des fondamentaux, personnalisation des parcours des élèves et autonomie des établissements. Le vademecum du dispositif ECLAIR décline précisément ce projet, par le « rencentrage sur les fondamentaux » (cf paragraphe 1) mais aussi sur le plan de l’organisation pédagogique : – « parrainages d’élèves de primaire par des élèves de collège » – institution de « commissions de liaison » entre enseignants du 1er et du 2nd degrés – utilisation du LPC comme outil privilégié de liaison – harmonisation des pratiques – familiarisation avec les locaux… Si certaines de ces pistes d’action peuvent sembler de prime abord répondre à la préoccupation de travailler la liaison école / collège, elles ne peuvent être déconnectées du cadre politique qui est imposé, avec la réduction drastique des moyens, la remise en question des statuts des personnels et le renoncement à un projet éducatif ambitieux pour tous. [*L’école du socle, c’est aussi « l’autonomie renforcée »*] Concernant la répartition des moyens, cela se traduit par une « contractualisation approfondie » : « les décisions de dotation s’appuient sur la démarche de contractualisation » et « les contrats d’objectifs s’appuient sur un diagnostic partagé, […] des tableaux de bord, […] des cibles chiffrés de résultats scolaires attendus, […] des programmes d’action »… élaborés par une « instance de pilotage sur le modèle du comité exécutif des RAR » et accompagnés et évalués par « les services académiques ou des chercheurs ». L’implication des enseignants dans le dispositif d’évaluation du programme ECLAIR passe aussi par une « auto-évaluation » au sein de l’établissement, une « élaboration d’évaluations par compétences » au niveau académique en vue de la formation et l’évaluation des enseignants, la « prise en compte des projets et performances de l’établissement lors de l’inspection des enseignants ». C’est aussi un recentrage de la formation continue de ces enseignants sur la « maîtrise des fondamentaux », et la conception d’outils d’évaluations des élèves « complémentaires aux protocoles nationaux, conçus et mis en oeuvre par des équipes interdegrés ».

Éléments de conclusion, perspectives

Le dispositif CLAIR imposé et expérimenté cette année dans les collèges a suscité de très nombreux problèmes et un refus massif des personnels ; ce vademecum étend pourtant l’expérimentation aux écoles. Il montre également la cohérence de toutes les mesures de la politique éducative que nous n’avons eu de cesse de dénoncer et de combattre depuis 2005. Le refus de ce dispositif par la FSU doit être fort. Il doit apparaître clairement dans la campagne de mobilisation de la rentrée 2011.

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