ÉÉ : En quoi la fiscalité est-elle injuste (impôts direct/indirects, entreprises/particuliers…) et que faut-il dénoncer en premier lieu ?
– Vincent Dreuzet : Un exemple est parlant : la taxe sur la valeur ajoutée, payée par tous, représente la moitié des recettes fiscales. Or, les 10 % les plus pauvres consacrent 8,1 % de leurs revenus à la payer contre 3,4 % pour les 10 % les plus riches. N’en déplaise aux libéraux, qui voient en la TVA un impôt « neutre », la TVA est injuste. Or, c’est le premier impôt, loin devant l’impôt sur le revenu (moins de 20 % de recettes fiscales). L’impôt sur le revenu a été affaibli depuis 10 ans du fait de la baisse des taux du barème et de plus, les revenus financiers ont été sortis du barème progressif, ils sont imposés pour l’essentiel au taux proportionnel. L’impôt sur le revenu a ainsi perdu de sa progressivité et corrige de moins en moins les inégalités de revenus. Rajoutons à cela le nombre et le coût des niches fiscales (près de 500 pour un coût annuel de 75 milliards d’euros) qui sont massivement utilisés par les contribuables riches qui défiscalisent à outrance et les impôts locaux qui augmentent sans cesse (du fait des transferts de compétences ou de la hausse des besoins sociaux) alors que leur assiette est obsolète… et on aura compris en quoi le système fiscal est véritablement injuste. [**ÉÉ : Quelles sont les principales pistes alternatives ?*] – V.D. : On distingue trois niveaux de fiscalité : local, national et international. La fiscalité locale mérite d’être réécrite : ses bases sont obsolètes et truffées d’injustice malgré les corrections qui sont intervenues au début des années 2000 avec la prise en compte du revenu fiscal de référence servant au calcul des dégrèvements. Il faudrait déterminer une valeur foncière de référence sur laquelle serait calculé l’impôt, celui-ci ne devant pas augmenter plus que le revenu. S’agissant de la fiscalité nationale, l’élargissement des bases (sur tous les impôts) par la remise en cause de certaines niches fiscales est indispensable. De plus, l’impôt sur le revenu doit être plus progressif. Cela passe par des mesures d’assiette (par exemple en réintégrant les revenus financiers au barème progressif) et par un barème d’une dizaine de tranches avec un taux marginal de 70 % au-delà d’un certain niveau de revenu, incitant à ne pas verser des rémunérations « outrancières ». On rétroagirait ainsi sur la distribution primaire des revenus. S’agissant de la fiscalité du patrimoine, outre la suppression du bouclier fiscal, on pourrait remplacer l’impôt de solidarité sur la fortune par un impôt général sur le patrimoine, à assiette large et au taux relativement faible mais qui, combiné à un impôt sur le revenu fort et au renforcement des droits de donation et de succession, rendrait le système fiscal beaucoup plus progressif. Enfin, un serpent fiscal européen (harmonisation de l’impôt sur les sociétés et de la TVA, échanges automatiques d’informations…) et la création d’impôts européens et de taxes globales permettraient de stopper la concurrence fiscale et sociale et de dégager des ressources (pour l’aide au développement par exemple). [**ÉÉ : Dans la situation actuelle, le rapport fiscalité/protection sociale est interrogé et prête à discussion. Deux positions sont défendues : élargir l’assiette (taxer les produits financiers…) ou maintenir la conception des retraites comme un salaire socialisé (différé) et alors augmenter les salaires bruts… Quelle est ta position sur le sujet ?*] – V.D. : Je préfère la notion de salaire socialisé, la notion de salaire différé prête trop à confusion car on peut penser qu’il s’agit d’une somme mise de côté pendant la période d’activité en prévision de la retraite. Cela ne correspond pas à la réalité car les cotisations des actifs d’aujourd’hui paient les pensions des retraités d’aujourd’hui. Ceci signifie qu’une partie de la rémunération du travail des actifs d’aujourd’hui finance les retraites des actifs d’hier (les retraités d’aujourd’hui) en fonction de droits acquis tout au long de la carrière professionnelle. Il y a donc une véritable solidarité interprofessionnelle. Signalons que le minimum vieillesse est financé par l’impôt et vient compléter le tableau des « retraites ». Pour l’Union SNUI SUD Trésor Solidaires, les retraites doivent être principalement financées par la cotisation (hormis le minimum vieillesse). Notre réflexion sur l’élargissement de l’assiette n’implique pas une étatisation de la sécu (il faut deux budgets indépendants distincts) et concerne plutôt les branches assurance maladie et famille qui relèvent davantage de droits universels. Du reste, cela fait longtemps que l’élargissement progresse sans qu’il soit réellement débattu et assumé. Or, en abandonnant ce terrain, on prend le risque de laisser les libéraux l’occuper, en mettant en place des financements injustes… Le débat reste ouvert. Propos recueillis par Monique Migneau