➤ école émancipée : D’où vient le CNDH Romeurope et sur quelles spécificités repose son action ?
Clotilde Bonnemason : Le Collectif National Droits de l’Homme Romeurope s’est créé en 2000 à l’issue d’une recherche-action à l’initiative de Médecins du monde sur l’accès à la santé des Roms en Europe. Le Collectif réunit à ce jour 45 associations et collectifs locaux en France qui ont pour objet le soutien et la défense des personnes en situation de précarité vivant dans des situations d’habitat très dégradé (squats, bidonvilles, rue) en majorité originaires d’Europe de l’Est, Roms ou perçues comme telles. Le CNDH Romeurope s’attache à défendre l’accès au droit commun et l’effectivité des droits de ces personnes en France. Le collectif se donne aussi pour but de combattre le racisme et les discriminations vécues par les personnes Roms ou désignées Roms. Le collectif a pour rôle de rassembler des associations nationales, locales et des collectifs locaux pour les renforcer et leur permettre d’échanger. Les remontées d’informations issues du terrain permettent au collectif d’avoir une vision d’ensemble sur l’effectivité des droits et de porter les voix de ses membres auprès des instances nationales.
Pour résumer, la spécificité de Romeurope est d’être à la croisée de plusieurs problématiques : le mal-logement, le racisme anti-Rom et les politiques migratoires répressives.
➤ éé : Les expulsions de bidonvilles et squats se sont multipliées en 2017 et les reconduites à la frontière de citoyens européens ont continué. Quels en sont les effets pour les personnes et leur insertion. Quelles alternatives pour Romeurope ?
CB : Le recensement fait par la LDH, l’ERRC (Centre européen pour les droits des Roms) avec le soutien du CNDH Romeurope montre pour l’année 2017 que 11 309 personnes Roms ou perçues comme telles ont été expulsées de leurs lieux de vie. Cela fait 25 ans que les d’expulsions de bidonvilles et de squats aggravent la précarité de leurs habitant-es et tendent à les invisibiliser. Cette politique s’avère totalement inefficace car elle conduit nécessairement à la reconstitution de bidonvilles. Selon nous, il est temps d’arrêter le gaspillage d’argent public mis dans les expulsions et d’investir dans une politique de grande ampleur de résorption des bidonvilles permettant aux personnes de mener leur vie dans des conditions dignes.
Les Roumain-es sont les plus enfermé-es et éloigné-es parmi les citoyens européens. D’après le rapport annuel 2016 des associations qui interviennent en centre de rétention administrative, ils représentent 75 % des citoyens européens enfermés et 86 % d’entre eux sont effectivement éloignés. Les Roumain-es sont donc particulièrement ciblé-es et leur éloignement sert de manière assez limpide une politique du chiffre. En attestent certaines pratiques dans le Nord qui consistent pour les forces de l’ordre, à accompagner les personnes qui font l’objet d’une OQTF jusqu’à la frontière belge, puis les laisser revenir sur le territoire français. S’ajoute à cela aujourd’hui une nouvelle mesure qui menace les possibilités d’insertion des personnes : l’interdiction de circuler sur le territoire pour une durée maximale de trois ans assortie à une OQTF, qui peut avoir des conséquences catastrophiques en termes d’accès aux droits. Cette nouvelle mesure cible déjà de manière disproportionné ces citoyens roumains.
➤ éé : Entre 7 000 et 10 000 enfants et adolescent-es sont privé-es de scolarisation. Où en est le combat contre les pratiques discriminatoires (mairies, éducation nationale …) ?
CB : Une large majorité des enfants et jeunes vivant en bidonvilles et en squats n’est pas scolarisée. Ce combat pour l’école est essentiel et il s’agit d’un combat commun avec de nombreux autres enfants exclus de l’école : les enfants hébergés et déplacés d’hôtels en hôtels, les mineurs isolés, que leur minorité soit reconnue ou pas.
À côté de ces mobilisations, le combat juridique continue : en 2016, le maire de Saint-André-Lez-Lille a été enjoint par le Tribunal administratif d’inscrire un enfant à l’école primaire. Suite à une décision de la Cour de Cassation, nous attendons que la Cour d’appel de Versailles se prononce à nouveau sur l’affaire d’une maire accusée de discrimination envers des enfants Roms non scolarisés sur sa commune. Si la discrimination était reconnue, la victoire serait historique. Le Défenseur des droits est un appui considérable par ses décisions régulières, qui condamnent les différentes pratiques abusives et discriminatoires. Néanmoins, l’enjeu principal pour permettre aux enfants d’avoir accès à l’école reste de mettre enfin tous les acteurs concernés autour d’une même table, en particulier les services de l’éducation nationale et les collectivités qui se défaussent souvent sur les associations et les enseignant-e-s pour assurer une scolarité à ces enfants. ●
Propos recueillis par Bruno Dufour